Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 13.djvu/628

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sortes de conditions, soldat, politique, homme de lettres, philosophe, théologien, alchimiste, pyrrhonien, charlatan, voyageur, médecin, érudit, astrologue, riche, pauvre, méprisé, considéré ; que sais-je quoi encore ? Il n’est pas trop de notre objet de suivre cet homme divers sans toutes ses formes ; nous remarquerons seulement ici qu’il eut de commun avec la plûpart des philosophes, de connoître l’ignorance, l’hypocrisie, & la méchanceté des prêtres, de s’en expliquer quelquefois trop librement, & d’avoir par cette indiscrétion empoisonné toute sa vie. Un inquisiteur s’étoit emparé d’une pauvre femme qu’il avoit résolu de perdre ; Agrippa osa prendre sa défense, & le voilà lui-même accusé d’hérésie, & forcé de pourvoir à sa sureté. Il erre, mais par-tout il trouve des moines, par-tout il les déchire, & par-tout il en est persécuté. Il met lui-même le comble à son infortune, par son ouvrage de la vanité des sciences. Cette misérable production aliéna tous les esprits. Il tomba dans l’indigence : il emprunta ; ses créanciers le poursuivirent, & le firent emprisonner à Bruxelles. Il ne sortit des prisons de Bruxelles que pour tomber dans celles de Lyon. La cour de France, qu’il avoit irritée par des expressions peu ménagées sur la mere du roi régnant, crut devoir l’en châtier ; ce fut la derniere de ses peines. Il mourut en 1536, après avoir beaucoup couru, beaucoup étudié, beaucoup invectivé, beaucoup souffert, & peu vécu. Nous allons exposer quelques-uns des principes de cette philosophie qu’Agrippa & d’autres ont professée sous le nom d’occulte. Ils disoient :

Il y a trois mondes, l’élémentaire, le céleste & l’intellectuel.

Chaque monde subordonné est régi par le monde qui lui est supérieur.

Il n’est pas impossible de passer de la connoissance de l’un à la connoissance de l’autre, & de remonter jusqu’à l’archétype. C’est cette échelle qu’on appelle la magie.

La magie est une contemplation profonde qui embrasse la nature, la puissance, la qualité, la substance, les vertus, les similitudes, les différences, l’art d’unir, de séparer, de composer ; en un mot, le travail entier de l’univers.

Il y a quatre élémens, principes de la composition & de la décomposition, l’air, le feu, l’eau & la terre.

Ils sont triples chacun.

Le feu & la terre, l’un principe actif, l’autre principe passif, suffisent à la production des merveilles de la nature.

Le feu par lui-même, isolé de toute matiere à laquelle il soit uni, & qui serve à manifester sa présence & son action, est immense, invisible, mobile, destructeur, restaurateur, porté vers tout ce qui l’avoisine, flambeau de la nature, dont il éclaire les secrets. Les mauvais démons le fuient, les bons le cherchent ; ils s’en nourrissent.

La terre est le suppôt des élémens, le réservoir de toutes les influences célestes ; elle a en elle tous les germes & la raison de toutes les productions : les vertus d’en haut la fécondent.

Les germes de tous les animaux sont dans l’eau.

L’air est un esprit vital qui pénetre les êtres, & leur donne la consistence & la vie, unissant, agitant, remplissant tout : il reçoit immédiatement les influences qu’il transmet.

Il s’échappe des corps des simulacres spirituels & naturels qui frappent nos sens.

Il y a un moyen de peindre des images, des lettres qui portées à-travers l’espace immense, peuvent être lûes sur le disque de la lune qui les éclaire, par quelqu’un qui sait & qui est prévenu.

Dans le monde archétype tout est en tout ; pro-

portion gardée, c’est la même chose dans celui-ci.

Les élémens dans les mondes inférieurs, sont des formes grossieres, des amas immenses de matiere. Au ciel, il sont d’une nature plus énergique, plus subtile, plus active, vertus dans les intelligences ; idées dans l’archétype.

Outre les qualités élémentaires que nous connoissons, les êtres en ont de particulieres, d’inconnues, d’innées, dont les effets nous étonnent : ce sont ces dernieres que nous appellons occultes.

Les vertus occultes émanent de Dieu, unes en lui, multiples dans l’ame du monde, infuses dans les esprits, unies ou séparées des corps, foibles ou fortes, selon la distance de l’être à l’archétype.

Les idées sont les causes de l’existence & de la spécification ; c’est d’elles que naissent les qualités qui passent dans la matiere en raison de son aptitude à les recevoir.

Dieu est la source des vertus ; il les confie aux anges ses ministres ; les anges les versent sur les cieux & les astres ; les astres les répandent sur les hommes, les plantes, les animaux, la terre, les élémens.

Voici donc l’ordre d’émanation des vertus : les idées, les intelligences, les cieux, les élémens, les êtres.

Aucun être n’est content de sa nature, s’il est privé de tout secours divin.

Les idées sont les causes premieres de la forme & des vertus.

Les vertus ne passent point des êtres supérieurs aux inférieurs sans l’intermede de l’ame du monde, qui est une cinquieme essence.

Il n’y a pas une molécule dans l’univers à laquelle une particule de cette ame du monde, ou de cet esprit universel ne soit présente.

Distribuée en tout & par-tout, elle ne l’est pas également. Il y a des êtres qui en prennent les uns plus, les autres moins.

Il y a antipathie & sympathie en tout : de-là une infinité de rapports, d’unions & d’aversions secrettes.

Les êtres en qui la vertu, la particule divine est moins embarrassée de matiere, ne cessent pas de produire des effets étonnans après leurs destructions.

Les choses inférieures sont dominées par les supérieures. Les mœurs des hommes dépendent des astres.

Le monde sublunaire est gouverné par les planetes, & le monde planétaire par celui des fixes.

Chaque astre a sa nature, sa propriété, sa condition, ses rayons qui vont imprimer sur les êtres un caractere, une signature distincte & particuliere.

Quelquefois les influences se confondent dans un même être ; elles y entrent selon des rapports déterminés par un grand nombre de causes, entre lesquelles la possession est une des principales.

Il y a une liaison continue de l’ame du monde à la matiere ; c’est en conséquence de cette liaison que l’ame du monde agit sur tout ce qui est.

On peut remonter des choses d’ici bas aux astres, des astres aux intelligences, des intelligences à l’archétype. C’est une corde qui touchée à un bout frémit à l’autre ; & la magie consiste à juger de la correspondance de ces mouvemens qui s’exécutent à des distances si éloignées. C’est une oreille fine qui saisit des résonnances fugitives, imperceptibles aux hommes ordinaires. L’homme ordinaire n’entend que dans un point. Celui qui a la science occulte, entend sur la terre, au ciel & dans l’intervalle.

Il y a de bons & de mauvais génies.

On s’unit aux bons génies par la priere & les sacrifices ; aux mauvais par des arts illicites.

Il y a des moyens d’attacher un esprit à un corps.

Il y a des suffumigations analogues à des influen-