Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 13.djvu/630

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pés ? Le fait cependant n’est que trop vrai. C’est le désordre de l’imagination qui invente ces systèmes ; c’est la nouveauté qui les accrédite ; c’est l’intérêt qui les perpétue. S’il faut croire au diable, s’il faut s’y donner pour obtenir une dignité, jouir d’une femme, exterminer une rivale, connoître l’avenir, posséder un trésor, on y croira, on s’y donnera. Des femmes titrées, à l’entrée de la nuit, monteront dans leurs équipages, se feront conduire à l’extrémité d’un fauxbourg, grimperont à un cinquieme étage, & iront interroger, sous les tuiles, quelque vieille indigente à qui elles persuaderont elles-mêmes que le présent, l’avenir & le passé sont ouverts à ses yeux, & qu’elle possede le livre du destin. Il n’y a aucun excès auquel les gens à sabbats ne puissent se porter ; ils ne seront effrayés ni du meurtre, ni du vol, ni du sacrilege. C’est en encourageant la philosophie qu’on réussira à éteindre dans un état toute confiance dans les arts occultes. Les prestidigitateurs redoutent l’œil du philosophe. Déja ces femmes qui se font aujourd’hui piétiner, donner des coups d’épée, crucifier, frapper à coups de buches, étendre sur des brasiers, ont exclu de leurs assemblées théurgiques les beaux esprits, les physiciens, les académiciens, les prêtres mêmes ; elles disent que ces gens retardent par leur présence l’opération de Dieu, & que leurs merveilles ne s’operent qu’en faveur des libertins, des gens du monde & des juifs ; ce sont en effet les seuls qu’elles admettent, & ceux dont les lumieres ne sont pas fort à craindre pour elles.

Le mot philosophie pythagoreo-platonico-cabalistique n’étoit pas plus odieux sous François Patrice, que le mot encyclopédie aujourd’hui, que le mot philosophie dans tous les tems. Que fit cet homme ? il coupa à ce monstre deux de ses têtes. Il réduisit le système au Platonisme pur, & s’occupa sérieusement à connoître cette doctrine, & à la répandre. Combien l’érudition, la critique, l’histoire, la philosophie, les lettres n’auroient-elles pas dû à Patrice, si sa vie n’avoit pas été pleine de distractions & de troubles ! L’Aristotélisme n’eut pas d’ennemi plus redoutable & plus adroit. Il l’attaqua sous cent formes diverses. Son nom est encore célebre dans l’histoire littéraire, quoiqu’il ait professé le Platonisme de l’école d’Alexandrie, qu’il ait cherché à concilier la doctrine de l’académie avec celle de l’Eglise, & qu’il ait prétendu que le philosophe athénien avoit connu la résurrection des morts, entrevu nos mysteres, & prédit la venue de Jesus-Christ. Il ne soupçonna pas la supposition de tous ces livres qui avoient été publiés dans les premiers tems du Christianisme sous les noms d’Hermès, d’Orphée, de Zoroastre, de Pythagore & d’autres ; il recuillit le poëmandre, le discours sacré, la clef, le discours à son fils, le discours à Asclépius, la Minerve du monde, & s’en fit éditeur ; il tenta même de rapprocher Aristote, Jesus-Christ & Platon. Voici le titre du plus rare de ses ouvrages : Nova de universis philosophia libri IV. comprêhensa, in qua Aristotelem methodo non per motum, sed per lucem & lumina ad primam causam ascenditur ; deinde nova quædam & peculiari methodo Platonica rerum universitas à Deo deducitur, autore Francisco Patricio, philosopho eminentissimo, & in celeberrimo romano gymnasio summa cum laude eandem philosophiam publicè interpretata. Quibus poslremo sunt adjecta Zoroast… oracula cccxx. ex Platonicis collecta, Hermetis Tremegisti libellis & fragmenta quotcumque reperiuntur, ordine scientifico disposita. Asclepii discipuli tres libelli, mystica Ægyptiorum à Platone dictata, ab Aristotele excepta & perempta philosophia. Platonicorum dialogorum novus penitus à Francisco Patricio inventus ordo scientificus. Capita demum multa in quibus Plato concors, Aristoteles vero catholicæ fidei adversarius ostenditur. Telesius renouvelloit alors la philosophie parménidiene, & Patricius

profita de ses idées. Il dit, l’unité étoit avant tout ; tout procede de l’unité. L’unité est Dieu. Dieu est l’auteur des premieres monades ; les premieres monades, des autres monades ; celles-ci des essences ; les essences, des vies ; les vies, des intelligences ; les intelligences, des esprits ; les esprits, des natures ; les natures, des propriétés ; les propriétés, des especes ; les especes, des corps. Tout est dans l’espace, la chaleur & la lumiere. L’objet de la philosophie est de s’élever à Dieu. La sensation est le premier principe de la connoissance. La lumiere céleste est l’image de Dieu. Dieu est la lumiere primitive. La lumiere est présente à tout, vivifie tout, informe tout, &c... Il crut donner à toutes ces imaginations télésiennes, parménidienes & platoniciennes du relief par des expressions nouvelles ; mais le tems qui apprécie tout, a réduit son travail à rien, & nous regrettons qu’un homme aussi laborieux, aussi pénétrant, qui sut tant de choses, qui eut tant de talens, soit né dans des circonstances si malheureuses, qu’il étoit presque impossible qu’il en tirât un grand avantage. Il naquit en 1529 & vécut cinquante-un ans. Il eut une amie du premier mérite ; c’est la célebre Tarquinia Molza. Cette femme sut les langues grecque, latine & étrusque. Elle lisoit les historiens, les poëtes, les orateurs, les philosophes anciens comme s’ils avoient écrit dans son idiome maternel. Aristote, Pindare, Sophocle & Platon lui étoient familiers. Elle avoit étudié la logique. La morale, la physique & l’astrologie même ne lui étoient point étrangeres. Elle étoit musicienne jusqu’à étonner les premiers maîtres de l’Italie. Il y a peut-être plus de femmes qui se sont illustrées, que d’hommes qui se sont fait un nom, eu égard au petit nombre de celles qu’on éleve, & qu’on destine aux choses importantes. Quant à l’énergie de l’ame, elle a une mesure donnée dans la plus grande des terreurs, celle de la mort. Or combien ne compte-t-on pas de femmes qui ont bravé la mort. Tout être qui sait braver la mort, l’attendre sans se troubler, la voir sans pâlir, la souffrir sans murmurer, a la plus grande force d’ame, peut concevoir les idées les plus hautes, est capable du plus violent enthousiasme, & il n’y a rien qu’on n’en doive attendre, soit qu’il parle, soit qu’il agisse, sur-tout si une éducation convenable a ajouté aux qualités naturelles ce qu’elles ont coutume d’en recevoir.

Le Pythagoreo-platonico-cabalisme fit aussi quelques progrès en Angleterre. On y peut compter parmi ses sectateurs Théophile Gallé, Radulphe Cudworth & Henri Morus.

Gallé se fit un système théosophique, cartésien, platonicien, aristotélicien, mosaïque & rationnel. Confondant tout, il corrompit tout.

Cudworth fut atomiste & plastique en philosophie naturelle, & platonicien, selon l’école d’Alexandrie, en métaphysique & morale.

Morus passa successivement de l’aristotélisme au platonisme, du platonisme au scepticisme, du scepticisme au quiétisme, & du quiétisme à la théosophie & à la cabale.

Il suit de ce qui précede que ces derniers philosophes se sont tourmentés long-tems & inutilement pour restituer une philosophie dont il ne restoit aucune trace certaine ; qu’ils ont pris les visions de l’école d’Alexandrie pour la doctrine de Platon ; qu’ils ont méconnu la supposition des ouvrages attribués à Pythagore & à d’autres anciens philosophes ; qu’ils se sont perdus dans les ténébres de la cabale des Hébreux ; qu’ils ont fait le plus mauvais usage qu’il étoit possible des connoissances incroyables qu’ils avoient acquises, & qu’ils n’ont presque servi de rien au progrès de la véritable philosophie.

PYTHIA, (Géog. anc.) lieu de Bithinie, où il y avoit des sources d’eau chaude. Procope, au cinquie-