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soient le sujet, l’épistate demandoit les avis.

On distinguoit deux sortes d’assemblées, les unes ordinaires & les autres extraordinaires. Des premieres que les prytanes seuls avoient droit de convoquer, il y en avoit quatre durant chaque prytanie en des jours & sur des sujets marqués. Les dernieres se convoquoient tantôt par les prytanes, tantôt par les généraux, & n’avoient de sujet ni de jour, qu’autant que les occasions leur en donnoient. On négligeoit quelquefois les formalités à l’approche d’un péril manifeste. Diodore, liv. XVI. rapporte que le peuple d’Athènes, à la nouvelle irruption de Philippe, s’attroupa au théâtre sans attendre, selon la coutume, l’ordre du magistrat.

On ouvroit l’assemblée par un sacrifice & par une inprécation. L’on sacrifioit à Cérès un jeune porc, pour purifier le lieu que l’on arrosoit du sang de la victime. L’imprécation mêlée aux vœux se faisoit en ces termes : « Périsse maudit des dieux avec sa race, quiconque agira, parlera ou pensera contre la république ». La cérémonie achevée, le poëdres exposoient au peuple pourquoi on l’assembloit ; ils lui rapportoient l’avis du sénat des cinq cens, c’est-à-dire des cinquante sénateurs tirés de chaque tribu, & demandoient la ratification, la réforme ou l’improbation de cet avis. Si le peuple ne se sentoit pas en disposition de l’approuver sur l’heure, un héraut commis par l’épistate s’écrioit à haute voix : « Quel citoyen au-dessus de cinquante ans veut parler » ? Le plus ancien orateur montoit alors dans la tribune, lieu élevé d’où l’on pouvoit mieux se faire entendre.

Après qu’il avoit parlé, s’il se trouvoit six mille citoyens dans l’assemblée, ils formoient le decret en opinant de la main. On le dressoit après avoir recueilli les suffrages, & on l’intituloit du nom de l’orateur ou du sénateur dont l’opinion avoit prévalu. On mettoit avant tout la date, dans laquelle on faisoit entrer premierement le nom de l’archonte, ensuite le jour du mois, enfin le nom de la tribu qui étoit en tour de présider ; voici la formule d’une de ces dates, qui suffira pour faire juger de toutes les autres : « Sous l’archonte Mnésiphile, le trentieme jour du mois Hécatombeon, la tribu de Pandion étant en tour de présider…… »

Dans les causes criminelles, les juges prononçoient deux fois ; d’abord ils jugeoient le fond de la cause, & ensuite ils établissoient la peine. Sur le premier jugement, ils ne faisoient que déclarer s’ils condamnoient l’accusé, ou s’ils le renvoyoient absous ; que si la pluralité des voix étoit pour la condamnation, alors, au cas que le crime ne fût pas capital, on obligeoit le coupable à déclarer lui même la peine qu’il avoit méritée. Après cela suivoit un second jugement des magistrats, qui proportionnoient eux-mêmes la peine au crime. Les Athéniens avoient une loi qui leur prescrivoit en termes formels de garder cet ordre dans les condamnations : « Que les juges, disoit cette loi, proposent au coupable différentes peines, que le coupable s’en impose une, & qu’enfin les juges prononcent sur la peine qu’il s’est imposée ». Si le coupable usoit d’indulgence envers lui-même, les juges se chargeoient du soin d’établir par la séverité une plus exacte compensation. Cioéron fait mention de cet usage ; dans le premier livre de l’orateur il parle de Socrate en ces termes : « Ce grand homme fut aussi condamné, non-seulement quant au fond de la cause, mais aussi quant au genre de la peine, car c’étoit une coutume à Athènes que dans les causes qui n’étoient pas capitales, on demandoit au coupable quelle peine il croyoit avoir méritée ; comme donc on eut fait cette demande à Socrate, il répondit qu’il croyoit avoir mérité qu’on lui décernât les plus grandes récom-

penses, & qu’on le nourrît dans le prytanée aux

dépens de la république, ce qui dans la Grece passoit pour le comble de l’honneur ». Cette réponse de Socrate irrita tellement les juges, qu’en sa personne ils condamnerent à mort le plus vertueux de tous les Grecs.

Dans les affaires politiques, les Athéniens ne voyoient, n’entendoient, ne se décidoient que par les passions de leurs orateurs. Le plus habile disposoit de tout emploi militaire ou politique. Arbitre de la guerre ou de la paix, il armoit ou désarmoit le peuple à son gré. Il ne faut donc pas s’étonner que dans un état où la science de la persuasion jouissoit d’un privilege si flatteur, on la cultivât avec tant de soin, & que chacun à l’envi consacrât ses veilles à perfectionner en soi le souverain art de la parole.

Athènes fut la premiere des villes greques qui récompensa par des couronnes ceux de ses sujets qui avoient rendu quelque service important à l’état. Ces couronnes n’étoient d’abord que de deux petites branches d’olivier entrelacées, & c’étoient les plus honorables ; dans la suite, on les fit d’or, & on les avilit. La premiere couronne d’olivier que les Athéniens décernerent fut à Périclès. Une pareille coutume étoit très-louable, soit qu’on la considere en elle-même, soit qu’on la regarde par rapport au grand homme pour qui elle fut établie ; car d’une part les récompenses glorieuses sont les plus efficaces de toutes pour exciter les hommes à la vertu ; & d’un autre côté, Périclès méritoit bien qu’un si bel usage prît commencement en sa personne.

Il faut encore distinguer les couronnes que la république donnoit à ses citoyens, des couronnes étrangeres qu’ils recevoient. La loi d’Athènes ordonnoit à l’égard des premieres qu’on les distribuât dans l’assemblée du sénat, lorsque c’étoit le sénat qui les avoit décernées, & dans l’assemblée du peuple lorsqu’elles avoient été accordées par le peuple. La loi permettoit pourtant quelquefois de les distribuer sur le théatre, ou qu’on les proclamât en plein théatre. Celui qui recevoit une de ces couronnes l’emportoit dans sa maison ; & c’étoit un monument domestique qui perpétuoit à jamais le souvenir de ses services. Au commencement on ne donnoit que rarement de ces couronnes honorables ; on les prodiguoit du tems de Démosthene par habitude, par coutume, par brigue, sans choix & sans discernement.

On appelloit couronnes étrangeres les couronnes que les peuples étrangers envoyoient par reconnoissance à quelque citoyen d’Athènes ; ces peuples néanmoins n’en pouvoient envoyer qu’après en avoir obtenu la permission par une ambassade. On ne distribuoit ces sortes de couronnes que sur le théatre, & jamais dans l’assemblée du sénat ou du peuple. Ceux à qui elles étoient envoyées ne pouvoient pas les emporter dans leurs maisons ; ils étoient obligés de les déposer dans le temple de Minerve où elles restoient consacrées ; c’étoit, dit Eschine, afin que personne dans l’ardeur de plaire aux étrangers préférablement à sa patrie, ne se corrompe & ne se pervertisse.

Les revenus d’Athènes montoient du tems de Démosthene à 400 talens, c’est-à-dire 82 mille 500 livres sterlings, en estimant le talent, comme le D. Bernard, à 206 livres sterlings 5 shelings. Elle entretenoit une trentaine de mille hommes à pié, & quelques mille de cavalerie ; c’est avec ce petit nombre de troupes que remplie de projets de gloire, elle augmentoit la jalousie, au lieu d’augmenter l’influence.

D’ailleurs elle ne fit point ce grand commerce que lui promettoit le travail de ses mines, la multitude de ses esclaves, le nombre de ses gens de mer, son autorité sur les villes greques, & plus que tout cela, les belles institutions de Solon, son négoce ma-