Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/299

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On ne sauroit expliquer comment à l’occasion d’une idée, ce mouvement se produit aux levres & au reste du visage ; on ne doit pas même espérer d’y parvenir ; il y a beaucoup de phénomenes en ce genre inexplicables, & quelques-uns dont on peut fournir l’explication ; mais il faut se ressouvenir que l’imagination influe beaucoup ici, comme dans toutes les sensations.

Le visage seul est le siege du ris modéré. Les angles des levres s’écartent par l’action du zigomatique, du buccinateur & du risorius de Santorini. Les joues forment par une espece de duplicature une petite fosse entre la bouche & les côtés du visage ; à cet état se joignent des expirations alternatives qui se suivent vite, & sont peu ou point sonores ; elles le sont beaucoup, quand le ris est immodéré ; alors les muscles du bas-ventre sont agités, l’action des muscles abdominaux oblige le diaphragme de remonter. Lorsque le ris commence à se former, on inspire, on n’expire point ; ensuite les expirations viennent ; elles sont sonores, fréquentes, petites ; elles ne vuident point tout l’air du thorax ; par-là l’air est pressé contre la glotte ; la glotte resserrée laisse sortir de vrais sons, & en montant & descendant, elle comprime les vaisseaux sanguins.

Ainsi 1°. lorsqu’on est frappé de quelque idée plaisante ou ridicule, on rit avec bruit, parce que la poitrine se resserrant, le larynx en même tems est comprimé, le diaphragme agit par de petites secousses, l’action des muscles abdominaux le force de remonter, & fait sortir l’air à diverses reprises.

2°. Comme il y a une liaison entre le diaphragme, les muscles du visage & du larynx, par le moyen des nerfs, on ne doit pas être surpris, si les mouvemens du ris se font sentir au visage & au larynx.

3°. Puisque les poumons sont comprimés dans l’expiration, on voit que dans le tems qu’on rit, le sang ne doit pas passer librement dans les vaisseaux du poumon ; ainsi la circulation ne se fait pas alors avec la même facilité qu’auparavant.

4°. Quand on rit, les veines jugulaires se gonflent, de même que la tête ; cela vient de ce que le sang ne peut pas entrer librement dans le cœur, en descendant de la tête, le cœur se resserrant, & le poumon n’étant pas libre ; pour la tête, c’est une nécessité qu’elle devienne enflée, puisque le sang ne peut alors se décharger dans les veines non plus que la sérosité.

Il arrive souvent qu’en riant on vient à ne pouvoir pas respirer ; cela doit arriver ainsi quand les secousses continuent long-tems & avec violence, puisqu’alors le sang ne passe pas librement dans les poumons comprimés par l’expiration.

6°. On pleure un peu à force de rire. Rien de plus voisin du ris que son extrémité opposée, les pleurs, quoiqu’elles viennent d’une cause contraire ; mais par ces pleurs je n’entends pas de simples larmes, car outre ces larmes, il y a dans l’action de pleurer plusieurs affections de la poitrine avec inspiration ; le thorax dilaté est comprimé alternativement & promptement, à-peu-près comme dans le ris, avec une grande expiration, aussi-tôt suivie du retour de l’air dans les poumons. On a donc en pleurant les mêmes anxiétés qu’en riant ; on conserve à-peu-près la même figure, si ce n’est que les yeux sont plus poussés en-avant, & s’enflent en quelque sorte par les larmes. En effet, qu’on pleure ou qu’on rie, ce sont à-peu-près les mêmes muscles du visage qui jouent, c’est pourquoi on peut à-peine distinguer la différence qui se trouve entre les mouvemens de ces deux états dans le visage ; le ris des mélancoliques ressemble fort aux pleurs.

7°. Le ris dégénere quelquefois en convulsion ; cela n’est pas surprenant, puisqu’il n’est lui-même

qu’une espece de convulsion ; le diaphragme étant violemment agité, peut par le moyen de l’intercostal de la huitieme paire, & des nerfs diaphragmatiques, causer des convulsions dans les muscles, avec lesquels ces nerfs communiquent médiatement ou immédiatement.

8°. Quand on rit long-tems & avec beaucoup de force, il peut se faire que les vaisseaux pulmonaires se rompent ; aussi a-t-on vû quelquefois succeder aux violentes secousses que le poumon souffre quand on rit, des crachemens de sang.

9°. L’apoplexie vient souvent d’un arrêt de sang ; or nous avons dit que dans le ris immodéré, le sang ne passe pas librement dans les vaisseaux pulmonaires, ni par le cerveau : il peut donc se faire que l’apoplexie succede aux mouvemens violens qui agitent la machine quand on a long-tems ri immodérément.

10°. Il y a dans les auteurs quelques observations sur les effets du ris poussé à l’excès. Chrysippe, au rapport de Laerce, Zeuxis & Philémon, au rapport de Valere Maxime, rioient jusqu’à l’entiere extinction de leurs forces. Dans le ris immodéré, le ventricule droit plein de sang qui ne passe pas au gauche, & qui empêche la décharge de celui des veines jugulaires, nous offre une stagnation à-peu-près aussi considérable que dans les efforts ; de-là des ruptures d’ulceres quelquefois salutaires, au rapport de Scheuchzer, mais de-là aussi quelquefois des hémoptysies, & des convulsions nerveuses, funestes dans les plaies des nerfs.

Cependant, sans trop craindre ces tristes effets du ris excessif dont parlent les auteurs, & d’un autre côté sans les regarder comme des chimeres, il convient de ne se livrer qu’à des ris modérés, qui sont les fruits d’une joie douce & toujours bienfaisante. Par tous les mouvemens qui arrivent alors, le sang se divise, les vaisseaux qui n’avoient pas assez de force pour chasser les humeurs, sont pressés ; plusieurs parties qui étoient sans vigueur sont agitées, & reçoivent plus de sang ; les humeurs sont poussées dans les pores sécrétoires, la transpiration s’augmente, le sang circule plus vîte au ventricule gauche, & de-là au cerveau, où il se filtre conséquemment plus d’esprits ; en un mot toute la machine en retire des avantages.

On ne rit ordinairement que parce que l’ame est agréablement affectée, c’est ce que nous éprouvons fréquemment dans nos spectacles. La cause du rire à la comédie, dit Voltaire, est une de ces choses plus senties que connues ; l’admirable Moliere, ajoute-t-il, & Regnard quelquefois, excitent en nous ce plaisir, sans nous en rendre raison, & sans nous dire leur secret. Des méprises, des travestissemens qui occasionnent ces méprises, les contrastes qui en sont les suites, produisent un ris général, tandis qu’il y a des caracteres ridicules dont la représentation plaît, sans causer ce ris immodéré de joie ; Trissotin & Vadius, par exemple, semblent être de ce genre. Le Joueur, le Grondeur, qui font un plaisir inexprimable, ne causent guere un ris éclatant.

On distingue plusieurs especes de ris ; il est des ris moqueurs & méprisans, où ce ne sont que quelques muscles du visage qui agissent, sans expiration ni inspiration. Il en est de plus corporels, produits par la titillation, par une pure convulsion des nerfs subcutanés, à laquelle se joint la convulsion sympathique du diaphragme ; l’inflammation de cette cloison, fait naître un ris sardonique.

Il y a des gens qui ont tâché d’expliquer les tempéramens des hommes par leurs diverses manieres de rire. Nous ne donnons plus dans ces fadaises, non plus que dans la superstition des anciens, qui tiroient d’heureux présages du rire des enfans au moment de