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savans françois qui n’ont pas eu le don de l’invention.

Gendre (Louis le) obtint quelques bénéfices de M. du Harlay, archevêque de Paris, & mourut dans cette ville en 1733. à 78 ans. Il a mis au jour plusieurs ouvrages, entr’autres, 1°. la vie de M. de Harlay son bienfaiteur ; 2°. celle du cardinal d’Amboise ; 3°. une histoire de France en 3 vol. in-fol. & en 7 vol. in-12. cette histoire n’est pas supérieure à celle de Mezeray & du P. Daniel ; mais on y trouve des particularités curieuses sur les coutumes des François, en différens tems de la monarchie. Les écoliers de l’université de Paris sont redevables à l’abbé le Cendre de la fondation des prix qui s’y distribuent solemnellement depuis 1747.

Noel (Alexandre), dominicain & docteur de sorbonne, mourut à Paris en 1724, âgé de 86 ans ; il a publié divers ouvrages théologiques & polémiques, que peu de gens lisent ; mais on a réimprimé son histoire ecclésiastique, latine, qui avoit déplu aux inquisiteurs ; il y a dans cette histoire des dissertations assez estimées.

Lemery (Nicolas) naquit en 1645, & se dévoua tout entier à la chimie, qu’il étudia à Rouen, à Paris, & à Montpellier ; ensuite il en donna des leçons lui-même. Cette science, connue depuis long tems en Allemagne, étoit toute nouvelle en France, où on la regardoit comme une espece de magie : le laboratoire de M. Lemery étoit une cave, & presque un antre magique, éclairé de la seule lueur des fourneaux ; cette singularité ne lui valut qu’un plus grand nombre d’auditeurs, & les femmes même oserent être du nombre. Sa réputation augmenta ; les préparations qui sortoient de ses mains eurent un débit prodigieux, & le seul magistere de Bismuth payoit toute la dépense de sa maison ; ce magistere n’étoit pourtant autre chose que ce qu’on appelle du blanc d’Espagne, mais M. Lemery étoit le seul alors dans Paris, qui possedât ce trésor.

Il fit imprimer en 1675 son cours de Chimie, qui se vendit aussi rapidement que si c’eût été un ouvrage de galanterie, ou de satyre ; on le traduisit en latin, en anglois, en espagnol, & le président de la société royale de Séville nommoit Lemery, le grand Lemery ; cependant comme le grand Lemery étoit huguenot, on lui interdit à Paris ses cours de chimie, & la vente de ses préparations. Il se réunit à l’église catholique en 1686, pour éviter de plus grands malheurs.

Il publia en 1697 sa Pharmacopée universelle, & quelques tems après, son traité des drogues simples. On les a réimprimé plusieurs fois ; mais on a donné depuis dans les pays étrangers, de beaucoup meilleurs ouvrages en ce genre.

En 1699, M. Lemery fut nommé de l’académie des Sciences, & en 1707, il donna son traité de l’Antimoine ; il y considere ce minéral par rapport à la médecine, & par rapport à la physique ; mais malheureusement la curiosité physique a beaucoup plus d’étendue que l’usage médicinal.

Après l’impression de ce livre, M. Lemery commença à se ressentir des infirmités de la vieillesse ; enfin il fut frappé d’une attaque sérieuse d’apoplexie qui l’enleva en 1715, à l’âge de 70 ans.

Amand (Marc-Antoine-Gerard, sieur de Saint) poëte françois, né en 1594, mourut en 1661, âgé de 67 ans. Sa vie n’a presque été qu’une suite continuelle de voyages ; ce qui, si nous en croyons Despreaux, satyr. I. vers 97-108. n’aida guere à sa fortune.

Saint-Amand n’eut du ciel que sa veine en partage :
L’habit qu’il eut sur lui, fut son seul héritage :
Un lit, & deux placets composoient tout son bien ;

Ou, pour en mieux parler, Saint-Amand n’avoit rien.
Mais quoi ! las de traîner une vie importune,
Il engagea ce rien pour chercher la fortune,
Et tout chargé de vers qu’il devoit mettre au jour,
Conduit d’un vain espoir, il parut à la cour.
Qu’arriva-t-il enfin de sa muse abusée ?
Il en revint couvert de honte & de risée ;
Et la fievre au retour terminant son destin,
Fit par avance en lui, ce qu’auroit fait la faim.

M. l’abbé d’Olivet remarque que cette peinture en beaux vers pourroit bien n’avoir pour fondement que l’imagination de M. Despréaux, qui sans doute a cru qu’en plaçant ici un nom connu, cela rendroit sa narration plus vive & plus gaie. Les poésies de Saint-Amand font foi qu’il n’avoit pas attendu si tard ni à mendier les graces de la cour, ni à mettre au jour les vers qu’il avoit faits dans cette vue. Pour ce qui est de sa pauvreté, tout le monde en convient assez ; il faut que sa mauvaise conduite & ses débauches y aient beaucoup contribué, puisqu’il avoit assez de ressources pour vivre commodément s’il avoit su le faire d’une maniere rangée.

Il avoit été reçu à l’académie françoise dès l’origine de cette assemblée, & s’engagea de recueillir les termes grotesques & burlesques pour la partie comique du dictionnaire que l’académie avoit entrepris ; cette occupation lui convenoit tout à-fait, car on voit par ses écrits qu’il étoit fort versé dans ces sortes de termes.

Ses œuvres ont été imprimées à Paris en trois volumes in 4°. Le premier en 1627, le second en 1643, & le troisieme en 1645. Son ode, intitulée la Solitude, est sa meilleure piece, au jugement de Despréaux ; mais un défaut qui s’y trouve, c’est qu’au milieu d’agréables & de belles images, l’auteur y vient offrir à la vue, fort mal-à-propos, les objets les plus dégoûtans, des crapauds, des limaçons qui bavent, le squelette d’un pendu, & autres choses de cette nature.

Son Moise sauvé éblouit d’abord quelques personnes ; mais il tomba dans un mépris dont il n’a pû se relever, depuis l’art poétique de Despréaux, qui parlant de cette idille héroïque, chant III. vers 264.

N’imitez pas ce fou, qui décrivant les mers,
Et peignant au milieu de leurs flots entr’ouverts,
L’hebreu sauvé du joug de ses injustes maîtres,
Met pour les voir passer les poissons aux fenêtres ;
Peint le petit enfant, qui va, saute, revient,
Et joyeux à sa mere, offre un caillou qu’il tient
Sur de trop vains objets, c’est arrêter la vûe.

Un défaut inexcusable de Saint-Amand, suivant la remarque du même écrivain, c’est qu’au lieu de s’étendre sur les grands objets, qu’un sujet si majestueux lui présentoit, il s’est amusé à des circonstances petites & basses, & met en quelque sorte les poissons aux fenêtres par ces deux vers.

Et là près des remparts que l’œil peut transpercer,
Les poissons ébahis le regardent passer.

Enfin, ce poëte n’a montré quelque génie que dans des morceaux de débauche, & de satyres outrées, & quelquefois dans ses bons mots. On lui attribue celui-ci qui est assez plaisant : se trouvant dans une compagnie, où il se rencontra un homme qui avoit les cheveux noirs & la barbe blanche ; on demanda la raison de cette différence bisarre ; alors Saint-Amand sans la chercher, se tourna vers cet homme, & lui dit : « Apparemment, Monsieur, que vous avez plus travaillé de la mâchoire que du cerveau. »

Pradon (Nicolas) autre poëte françois, mort en 1698, a eu son nom extrèmement ridiculisé par les