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c’est ainsi que la barbarie commençoit à finir chez ces peuples, par conséquent Pierre leur souverain n’eut pas tant de peine à policer sa nation, que quelques auteurs ont voulu nous le persuader.

Alexis Mikaelovitz avoit déja commencé d’annoncer l’influence que la Russie devoit avoir un jour dans l’Europe chrétienne. Il envoya des ambassadeurs au pape, & à presque tous les grands souverains de l’Europe, excepté à la France, alliée des Turcs, pour tâcher de former une ligue contre la Porte ottomane. Ses ambassadeurs ne réussirent cependant dans Rome, qu’à ne point baiser les piés du pape, & n’obtinrent ailleurs que des vœux impuissans.

Le même czar Alexis proposa d’unir, en 1676, ses vastes états à la Pologne, comme les Jagellons y avoient joint la Lithuanie ; mais plus son offre étoit grande, moins elle fut acceptée. Il étoit très-digne de ce nouveau royaume, par la maniere dont il gouvernoit les siens. C’est lui qui le premier fit rédiger un code de lois, quoiqu’imparfait ; il introduisit des manufactures de toiles & de soie, qui, à la vérité, ne se soutinrent pas, mais qu’il eut le mérite d’établir. Il peupla des déserts vers le Volga & la Kama, de familles lithuaniennes, polonoises & tartares, prises dans ses guerres ; tous les prisonniers auparavant étoient esclaves de ceux auxquels ils tomboient en partage ; Alexis en fit des cultivateurs : il mit autant qu’il put la discipline dans ses armées. Il appella les arts utiles dans ses états : il y fit venir de Hollande, à grands frais, le constructeur Bothler, avec des charpentiers & des matelots, pour bâtir des frégates & des navires. Enfin, il ébaucha, il prépara l’ouvrage que Pierre a perfectionné. Il transmit à ce fils tout son génie, mais plus développé, plus vigoureux, & plus éclairé par les voyages.

Sous le regne de Pierre, le peuple russe qui tient à l’Europe, & qui vit dans les grandes villes, est devenu civilisé, commerçant, curieux des arts & des sciences, aimant les spectacles, & les nouveautés ingénieuses. Le grand homme qui a fait ces changemens, est heureusement né dans le tems favorable pour les produire. Il a introduit dans ses états les arts qui étoient tout perfectionnés chez ses voisins ; & il est arrivé que ces arts ont fait plus de progrés en 50 ans chez ses sujets, déja disposés à les goûter, que partout ailleurs, dans l’espace de trois ou quatre siecles ; cependant ils n’y ont pas encore jetté de si profondes racines, que quelque intervalle de barbarie, ne puisse ruiner ce bel édifice commencé dans un empire dépeuplé, despotique, & où la nature ne répandra jamais ses bénignes influences.

Dans l’état qu’il est aujourd’hui, la nation russe est la seule qui trafique par terre avec la Chine ; le profit de ce commerce est pour les épingles de l’impératrice. La caravane qui se rend de Pétersbourg à Pékin, emploie trois ans en voyage & au retour. Aussitôt qu’elle arrive à Pékin, les marchands sont renfermés dans un caravancerai, & les Chinois prennent leur tems pour y apporter le rebut de leurs marchandises qu’ils sont obligés de prendre, parce qu’ils n’ont point la liberté du choix. Ces marchandises se vendent à Pétersbourg à l’enchere, dans une grande salle du palais italien ; l’impératrice assiste en personne à cette vente ; cette souveraine fait elle-même des offres, & il est permis au moindre particulier d’encherir sur elle ; aussi le fait-on, & chacun s’empresse d’acheter à très-haut prix.

Outre le bénéfice de ces ventes publiques, la cour fait le commerce de la rhubarbe, du sel, des cendres, de la bierre, de l’eau-de-vie, &c. L’état tire encore un gros revenu des épiceries, des cabarets, & des bains publics, dont l’usage est aussi fréquent parmi les Russes que chez les Turcs.

Les revenus du souverain de Russie se tirent de la capitation, de certains monopoles, des douanes, des ports, des péages, & des domaines de la couronne. Ils ne montent pas cependant au-delà de treize millions de roubles, (soixante-cinq millions de notre monnoie). Avec ces revenus, la Russie peut faire la guerre aux Turcs, mais elle ne sauroit, sans recevoir des subsides, la faire en Europe ; ses fonds n’y suffiroient pas : la paie du militaire est très-modique dans cet empire. Le soldat russe n’a point par jour le tiers de la paie de l’allemand, ni même du françois ; lorsqu’il sort de son pays, il ne peut subsister sans augmentation de paye ; & ce sont les puissances alliées de la Russie, qui fournissent chérement cette augmentation.

La couronne de Russie est héréditaire, les filles peuvent succéder, & le souverain a un pouvoir absolu sur tous ses sujets, sans rendre compte de sa conduite à personne. L’air de la plus grande partie de la Russie est extrément froid, les neiges & les glaces y regnent la meilleure partie de l’année ; le grain qu’on y seme n’y meurit jamais bien, excepté du côté de la Pologne, où on fait la récolte trois mois après la semaille. Il n’y croît point de vin, mais beaucoup de lin. Ses principales rivieres sont le Volga, le Don, le Dnieper & le Dwina. Ses lacs donnent du poisson en abondance. Les forêts sont pleines de gibier, & de bêtes fauves. Le commerce des Russes est avantageux à la France, utile à la Hollande, & défavorable à l’Angleterre. Il consiste en martres, zibelines, hermines, & autres fourrures, cuirs de bœufs appellés cuirs de Russie, lin, chanvre, suif, goudron, cire, poix-résine, savon, poisson salé, &c. Extrait de la description de la Russie, par M. de Voltaire. Geneve, 1759. in-8°. tom. I. Voyez aussi description de l’empire de Russie, par Perri, Amsterd. 1720, 2. vol. in-12. & la description historiq. de l’empire russien, traduit de l’allemand, du baron de Stralemberg, Holl. 1757, 2. vol. in-12. (Le chevalier de Jaucourt.)

RUSTAN, (Géog. mod.) petit pays de France, aux confins du Bigorre & de l’Astarac. Son chef-lieu est S. Sever de Rustan.

RUSTICANA, (Géog. anc.) ville de la Lusitanie. Elle est placée dans les terres par Ptolomée, l. II. c. v. & marquée entre Talabriga & Mendeculia. Cellarius, Géogr. ant. l. II. c. j. croit que c’est la même ville que l’itinéraire d’Antonin nomme Rusticiana, & qu’il place sur la route d’Emérita à Saragosse, entre Turmuli & Cappara, à vingt-deux milles de la premiere de ces villes, & à égale distance de la seconde. (D. J.)

RUSTICITÉ, s. f. (Gram.) terme à l’usage des habitans des villes, par lequel ils désignent la grossiéreté, simplicité, rudesse des mœurs, du caractere, du discours des gens de la campagne.

RUSTIQUE, adj. (Gram.) qui appartient à la campagne. La maison rustique ; l’économie rustique ; les choses rustiques : il se prend aussi dans le même sens que rusticité. Je suis rustique & fier.

Rustique, adj. (Archit.) épithete qu’on donne à la maniere de bâtir, dans l’imitation plutôt de la nature que de l’art.

Rustique, ordre, (Architect.) ce mot se dit du premier de cinq ordres d’architecture, c’est-à-dire, de l’ordre toscan, qui est le moins orné, & celui qui approche le plus de la simplicité de la nature.

On dit aussi un ouvrage rustiqué, en terme d’architecture, quand les pierres ne sont que piquées, au lieu d’être travaillées poliment & uniment. (D. J.)

Rustiques, dieux, (Mythol.) les dieux rustiques chez les Romains, étoient les dieux de la campagne, & qui présidoient à l’agriculture. On distinguoit les dieux rustiques en grands & en petits. Les grands dieux