Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/451

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S, s. f. (Gramm.) c’est la dix-neuvieme lettre & la quinzieme consonne de notre alphabet. On la nomme communément esse, qui est un nom féminin ; le système du bureau typographique, beaucoup plus raisonnable qu’un usage aveugle, la nomme se, s. m. Le signe de la même articulation étoit σ ou ς chez les Grecs, & ils l’appelloient sigma ; c’étoit ס chez les Hébreux, qui lui donnoient le nom de samech.

Cette lettre représente une articulation linguale, sifflante & forte, dont la foible est ze. Voyez Lingual. Ce dont elle est le signe est un sifflement, hoc est, dit Wachter (Proleg. sect. 2. §. 29.), habitus fortis, à tumore linguæ palato allisus, & à dentibus in transitu oris laceratus. Ce savant étymologiste regarde cette articulation comme seule de son espece, nam unica sui organi littera est (Ib. sect. 3. §. 4. in s.)  ; & il regarde comme incroyable la commutabilité, si je puis le dire, des deux lettres r & s, dont on ne peut, dit-il, assigner aucune autre cause que l’amour du changement, suite naturelle de l’instabilité de la multitude. Mais il est aisé de voir que cet auteur s’est trompé, même en supposant qu’il n’a considéré les choses que d’après le système vocal de sa langue. Il convient lui-même que la langue est nécessaire à cette articulation, habitus fortis, à tumore linguæ palato allisus. Or il regarde ailleurs (Sect. 2. §. 22.), comme articulations ou lettres linguales, toutes celles quæ motu linguæ figurantur ; & il ajoute que l’expérience démontre que la langue se meut pour cette opération en cinq manieres différentes, qu’il appelle tactus, pulsus, flexus, tremor & Tumor. Voilà donc par les aveux mêmes de cet écrivain, la lettre s attachée à la classe des linguales, & caractérisée dans cette classe par l’un des cinq mouvemens qu’il attribue à la langue, tumor ; & il avoit posé, sans y prendre garde, les principes nécessaires pour expliquer les changemens de r en s, & de s en r, qui ne devoient pas lui paroître incroyables, mais très-naturels, ainsi que bien d’autres qui portent tous sur l’affinité des lettres commuables.

La plus grande affinité de la lettre s est avec la lettre z, telle que nous la prononçons en françois : elles sont produites l’une & l’autre par le même mouvement organique, avec la seule différence du plus ou du moins de force ; s est le signe de l’articulation ou explosion forte ; z est celui de l’articulation ou explosion foible. De-là vient que nous substituons si communément la prononciation du z à celle de s dans les mots qui nous sont communs avec les Latins, chez qui s avoit toujours la prononciation forte : ils disoient mansio, nous disons maizon en écrivant maison ; ils écrivoient miseria, & prononçoient comme nous ferions dans miceria ; nous écrivons d’après eux misere, & nous prononçons mizere.

Le second degré d’affinité de l’articulation s est avec les autres articulations linguales sifflantes, mais surtout avec l’articulation che, parce qu’elle est forte. C’est l’affinité naturelle de s avec ch, qui fait que nos grassayeuses disent de messants soux pour de méchans choux, des seveux pour des cheveux ; M. le sevalier pour M. le chevalier, &c. C’est encore cette affinité qui a conduit naturellement les Anglois à faire de la lettre s une lettre auxiliaire, qui avec h, représente l’articulation qui commence chez nous les mots chat, cher, chirurgien, chocolat, chute, chou : nous avons choisi pour cela la lettre c, que nous prononçons

souvent comme s ; & c’est la raison de notre choix ; les Allemands ont pris ces deux lettres avec h pour la même fin, & ils écrivent schild (bouclier), que nous devons prononcer child, comme nous disons dans Childeric. C’est encore par la même raison d’affinité que l’usage de la prononciation allemande exige que quand la lettre s est suivie immédiatement d’une consonne au commencement d’une syllabe, elle se prononce comme leur sch ou le ch françois, & que les Picards disent chelui, chelle, cheux, chent, &c. pour celui, celle, ceux, cent, que nous prononçons comme s’il y avoit selui, selle, seux, sent.

Le troisieme degré d’affinité de l’articulation s est avec l’articulation gutturale ou l’aspiration h, parce que l’aspiration est de même une espece de sifflement qui ne differe de ceux qui sont représentés par s, z, & même v & f, que par la cause qui le produit. Ainsi c’est avec raison que Priscien, lib. I. a remarqué que dans les mots latins venus du grec, on met souvent une s au lieu de l’aspiration, comme dans semis, sex, septem, se, si, sal, qui viennent de ἡμὶς, ἓξ, ἑπτὰ, ἑ, εἰ, ἅλς : il ajoute qu’au contraire, dans certains mots les Béotiens mettoient h pour s, & disoient par exemple, muha pour musa, propter cognationem litteræ s cum h.

Le quatrieme degré d’affinité est avec les autres articulations linguales ; & c’est ce degré qui explique les changemens respectifs des lettres r & s, qui paroissent incroyables à Wachter. Voyez R. De-là vient le changement de s en c dans corne, venu de sorba ; & de c en s dans raisin venu de racemus ; de s en g dans le latin tergo, tiré du grec éolien τέρσω ; & de g en s dans le supin même tersum venu de tergo, & dans miser tiré de μυγερός ; de s en d dans medius, qui vient de μέσος, & dans tous les génitifs latins en idis venus des noms en s, comme lapis, gén. lapidis pour lapisis ; glans, gen. glandis pour glansis ; & de d en s dans raser du latin radere, & dans tous les mots latins ou tirés du latin, qui sont composés de la particule ad & d’un radical commençant par s, comme asservare, assimilare, assurgere, & en françois assujettir, assidu, assomption ; de s en t dans saltus qui vient de ἄλσους ; & dans tous les génitifs latins en tis venus avec crément des noms terminés par s, comme miles, militis ; pars, partis ; lis, litis, &c. ce changement étoit si commun en grec, qu’il est l’objet d’un des dialogues de Lucien, où le sigma se plaint que le tau le chasse de la plûpart des mots ; de t en s dans nausea venu de ναυτία, & presque par-tout où nous écrivons ti avant une voyelle, ce que nous prononçons par s, action, patient, comme s’il y avoit acsion, passient.

Enfin le dernier & le moindre degré d’affinité de l’articulation s, est avec celles qui tiennent à d’autres organes, par exemple, avec les labiales. Les exemples de permutation entre ces especes sont plus rares, & cependant on trouve encore s changée en m dans rursum pour rursùs, & m en s dans sors venu de μόρος ; s changée en n dans sanguis, sanguinaire venus de sanguis ; & n changée en s dans plus tiré de πλέον, &c.

Il faut encore observer un principe étymologique qui semble propre à la lettre s relativement à notre langue, c’est que dans la plûpart des mots que nous avons empruntés des langues étrangeres, & qui commencent par la lettre s suivie d’une autre consonne, nous avons mis e avant s, comme dans esprit de spiritus, espace de spatium, espérance ou espoir de spes, esperer de sperare, escarbot de σκάραβος, esquif de σκάφη, &c.

Il me semble que nous pouvons attribuer l’origine de cette prosthèse à notre maniere commune de