Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/491

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du volume qui contient l’article Cobalt, plusieurs Chimistes ont fait de nouvelles expériences pour approfondir la nature de ce minéral singulier, & ils en ont porté un jugement tout différent de celui de M. Brandt & des personnes qui ont adopté son sentiment. Cela posé, on a cru devoir rapporter ici les expériences & les idées nouvelles qui ont paru sur ce sujet ; malheureusement, loin d’éclaircir la matiere, elles ne font qu’augmenter nos incertitudes. M. Rouelle, ainsi que quelques autres Chimistes françois, ont cru trouver la confirmation du sentiment de M. Brandt, parce qu’ils ont tiré du safre, c’est-à-dire du verre coloré par le cobalt, une substance parfaitement semblable à un régule semi-métallique, & qui, mêlé de nouveau avec du verre, le coloroit en bleu. Malgré cela, la plûpart des Minéralogistes & Métallurgistes allemands, refusent de regarder le cobalt comme un demi-métal particulier, & prétendent que la substance réguline que l’on tire du cobalt est une combinaison. M. Lehmann dans le 590 de la nouvelle édition de sa Minéralogie, publiée en allemand à Berlin en 1760, dit que « le cobalt dont on fait la couleur bleue, abstraction faite de l’arsenic qu’il contient, ne peut point donner ni un métal, ni un demi-métal, de quelque façon qu’on s’y prenne, mais en se vitrifiant avec un sel alkali & une terre vitrifiable, il s’en précipite une substance appellée speiss, qui ressemble à un demi-métal, mais qui réellement n’est qu’une combinaison de cuivre, de fer, d’arsenic, & d’une terre propre à colorer en bleu ». Le même auteur ajoute dans le §. 91. « 1°. Que la matiere colorante qui se trouve dans le cobalt qui donne du speiss, est quelque chose de purement accidentel, c’est pour cela qu’elle se sépare de la partie réguline, tant par la vitrification, que par d’autres opérations chimiques ; & même si l’on fait fondre à plusieurs reprises le speiss, produit par le cobalt avec du sel alkali & du sable, il perd à la fin toute sa propriété de colorer en bleu. 2°. On peut s’assurer de la maniere suivante de ce qui entre dans la composition de la matiere réguline du cobalt qui donne le bleu ; pour cet effet, l’on n’a qu’à prendre du prétendu régule de cobalt pur, le faire fondre à plusieurs reprises avec de la fritte le verre, jusqu’à ce qu’il n’en parte plus de fumée, ni d’odeur arsenicale ; alors on n’aura qu’à le remettre de nouveau en régule, en extraire la partie cuivreuse, par le moyen de l’alkali volatil, jusqu’à ce que ce dissolvant ne devienne plus bleu ; enfin, si l’on dissout le résidu dans les acides, & qu’on précipite la dissolution, on ne tardera point à appercevoir le fer ».

M. de Justi, célebre chimiste allemand, très-versé dans la minéralogie, paroît être du même avis que M. Lehmann ; il croit que la terre métallique du cobalt qui colore le verre en bleu, est produite par une combinaison du fer avec l’arsenic. Il appuie cette conjecture sur un fait attesté par M. Cramer, qui dit dans sa Docimasie, avoir oui dire que M. Henckel avoit eu le secret de colorer le verre en bleu, en faisant calciner de la limaille d’acier de Styrie. Un des amis de M. de Justi, qui avoit été le disciple de M. Henckel, l’a assuré de la vérité de ce fait, ajoutant même que pour faire cette expérience, il prenoit trois parties de limaille d’acier qu’il mêloit exactement avec une partie d’arsenic, & qu’il faisoit réverberer ce mélange pendant trois jours, à un feu qui étoit doux au commencement, mais qu’il augmentoit par degrés.

Le même M. de Justi nous apprend, que la manganèse ou magnésie qui est un minéral ferrugineux, si on la joint avec de l’arsenic, & si on la calcine ensuite, devient propre à donner une couleur bleue

au verre. Le même auteur parle d’un cobalt noir semblable à la mine d’arsenic noire, qui se trouve dans les terres de la dépendance du duc de Saxe-Cobourg, ainsi qu’au petit Zell, dans la basse-Autriche ; ce cobalt contenoit une grande quantité de fer & devoit sa couleur noire à ce métal, mais il ne contenoit que très-peu, ou même point du-tout d’arsenic ; en mélant ensemble & faisant calciner ce cobalt noir & ferrugineux avec d’autre cobalt ordinaire, gris & chargé d’arsenic : M. de Justi dit que de ce mélange, il résultoit une matiere très-propre à colorer le verre en bleu, c’est-à-dire à faire du safre. Il ajoute qu’il n’y a point de cobalt qui ne contienne des parties ferrugineuses plus ou moins abondamment, & il prétend que les cobalts ne sont propres à donner du bleu, que lorsqu’ils contiennent une juste proportion de fer & d’arsenic à la fois ; le cobalt noir du petit Zell donnoit à la vérité tout seul une assez bonne couleur, mais elle devenoit infiniment plus belle, lorsqu’on faisoit calciner ce cobalt avec un autre cobalt très-chargé d’arsenic. De plus, M. de Justi assure qu’il ne s’est point encore trouvé jusqu’ici de cobalt qui ne contint une portion d’argent, d’où il conjecture que l’argent pourroit contribuer à la couleur bleue que produit le cobalt. Telles sont les idées répandues dans différens mémoires sur le cobalt que M. de Justi vient d’insérer dans ses œuvres Chimiques, publiées en allemand en 1760.

J’ajouterai encore à ces faits, que l’on a donné à M. de Montamy, premier maître d’hôtel de M. le duc d’Orleans, un morceau de cobalt noir trouvé en Espagne, près de la ville d’Aranda, dans la vieille Castille. Cette mine de cobalt calcinée ne donnoit que peu d’indice d’arsenic, cependant M. de Montamy n’a pas laissé d’en tirer un bleu de la plus grande beauté qu’il a employé dans les couleurs pour l’émail, dont il va bientôt enrichir le public. Ce cobalt a donné un bleu très-supérieur à celui des cobalts de Saxe & des autres pays d’Allemagne.

Dans la vie du célebre Becher, on rapporte que ce savant chimiste ayant pris du mécontentement des Saxons, les menaça de faire tomber leurs manufactures de safre, en donnant aux Anglois le secret d’en faire avec du bronze ou de l’alliage métallique dont on fait les cloches, appellé en anglois bell-metal ; peut-être aussi que le bell-metal dont Becher vouloit parler, étoit un minéral qu’il savoit contenir du cobalt.

On peut conclure de tous les faits qui viennent d’être rapportés, que la vraie nature du cobalt n’est point encore parfaitement connue ; que l’on ne connoît point toutes ses mines, & qu’il pourroit y avoir plusieurs manieres de faire du safre. Quoi qu’il en soit, nous allons décrire celle qui se pratique à Schneeberg, en Misnie, qui est l’endroit de toute l’Europe où l’on fait la plus grande quantité de safre, ce qui produit un revenu très-considérable pour l’électeur de Saxe & pour ceux qui sont intéressés dans ces manufactures.

Comme les mines de cobalt qui se trouvent en Misnie sont accompagnées d’une très-grande quantité de bismuth, on est obligé d’en séparer ce demi-métal, qui donnoit une mauvaise couleur au safre. Pour cet effet, on forme une aire, on y place deux longs morceaux de bois, le long desquels on arrange des petits morceaux de bois minces fort proches les uns des autres. On jette la mine par-dessus, on allume le bois lorsqu’il fait du vent, & le bismuth qui est aisé à fondre se sépare de la mine.

Nous ne répéterons point ici ce qui a été dit de la maniere de calciner le cobalt, pour en dégager l’arsenic dont il est abondamment chargé dans la mine ; cette calcination se fait dans un fourneau destiné à cet usage, on étend le cobalt pulvérisé grossiérement