Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/56

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Avarus représente homo, parce qu’il est au même genre, au même nombre, au même cas, & qu’il renferme dans sa signification l’idée d’une qualité qui convient non omni sed soli naturæ humanæ, comme parlent les Logiciens ; mais avarus n’est pas pour cela un pronom : pareillement quas représente litteras, parce qu’il est au même genre, au même nombre, & au même cas, & que l’idée démonstrative qui en constitue la signification, est déterminée ici à tomber sur litteras, par le voisinage de l’antécédent litteris qui leve l’équivoque ; mais quas n’est pas non plus un pronom, 1°. parce qu’il n’empêche pas que l’on ne soit obligé d’exprimer litteras dans la construction analytique de la phrase ; 2°. parce que la nature du pronom ne consiste pas dans la fonction de représenter les noms & d’en tenir la place, mais dans celle d’exprimer des êtres déterminés par l’idée d’une relation personnelle.

2°. Je dis que qui, quæ, quod, ne doit point être appellé relatif, quoique ses terminaisons mises en concordance avec le nom auquel il est appliqué, semblent prouver & prouvent en effet qu’il se rapporte à ce nom. C’est que si l’on fondoit sur cette propriété la dénomination de relatif, il faudroit par une conséquence nécessaire, l’accorder à tous les adjectifs, aux participes, aux articles, puisque toutes ces especes s’accordent en genre, en nombre, & en cas, avec le nom auquel ils se rapportent effectivement : que dis-je ? tous les verbes seroient relatifs par leur matériel, puisque tous s’accordent avec le sujet auquel ils se rapportent. Mais si cela est, quelle confusion ? Il y aura apparemment des verbes doublement relatifs, & par le matériel & par le sens : par exemple, dans bellum Pompeïus confecit, le verbe confecit sera relatif à Pompeïus par la matiere, à cause de la concordance ; & il sera relatif à bellum par le sens, à cause du régime du complément. Je n’insisterai pas davantage là-dessus, de peur de tomber moi-même dans la confusion, pour vouloir rendre trop sensible celle qu’une juste conséquence introduiroit dans le langage grammatical : je me contenterai de dire que quas n’est pas plus relatif dans quas litteras, que iis n’est relatif dans iis litteris.

3°. Aucun des deux termes par lesquels on désigne qui, quæ, quod, ni l’union des deux, ne font entendre la vraie nature de ce mot. C’est un adjectif conjonctif, & c’est ainsi qu’il falloit le nommer & que je le nomme.

C’est un adjectif ; voilà ce qu’il a véritablement de commun avec tous les autres mots de cette classe : comme eux, il présente à l’esprit un être indéterminé, désigné seulement par une idée précise qui peut s’adapter à plusieurs natures ; & comme eux aussi, il s’accorde en genre, en nombre, & en cas, avec le nom ou le pronom auquel on l’applique, en vertu du principe d’identité, qui suppose cette indétermination de l’adjectif : qui vir, quæ mulier, quod bellum, qui consules, quæ litteræ, quæ negotia, &c. L’idée précise qui caractérise la signification individuelle de qui, quæ, quod, est une idée métaphysique d’indication, ou de démonstration, comme is, ea, id.

Il est conjonctif, c’est-à-dire, qu’outre l’idée démonstrative qui en constitue la signification, & en vertu de laquelle il seroit synonyme d’is, ea, id : il comprend encore dans sa valeur totale celle d’une conjonction ; ce qui en le différenciant d’is, ea, id, le rend propre à unir la proposition dont il fait partie à une autre proposition. Cette propriété conjonctive est telle que l’on peut toujours décomposer l’adjectif par is, ea, id, & par une conjonction telle que peuvent l’exiger les circonstances du discours. Ceci mérite d’autant plus d’être approfondi, que la Grammaire générale, (édit. de 1746, suite du chap. ix. de la part. II.) prétend qu’il y a des cas où le mot dont

il s’agit, est visiblement pour une conjonction & un pronom démonstratif : ce sont les propres termes de l’auteur : que dans d’autres occurrences, il ne tient lieu que de conjonction : & que dans d’autres enfin, il tient lieu de démonstratif, & n’a plus rien de conjonction.

Il est constant en premier lieu, & avoué par dom Lancelot, & par tous les sectateurs de P. R. que le qui, quæ, quod des Latins, & son correspondant dans toutes les langues, est démonstratif & conjonctif dans toutes les occurrences où la proposition dans laquelle il entre fait partie du sujet ou de l’attribut d’une autre proposition. Æsopus auctor quam materiam reperit, hanc ego polivi versibus senariis ; c’est comme si Phedre avoit dit, hanc ego materiam polivi versibus senariis, & Æsopus auctor eam repperit. (Liv. I. prol.) Ce n’est pas toujours par la conjonction copulative que cet adjectif se décompose : par exemple, les savans qui sont plus instruits que le commun des hommes, devroient aussi les surpasser en sagesse, c’est-à-dire, les savans devroient surpasser en sagesse le commun des hommes, car ces hommes sont plus instruits qu’eux ; autre exemple, la gloire qui vient de la vertu a un éclat immortel, c’est-à-dire, la gloire a un éclat immortel, si cette gloire vient de la vertu. On peut y joindre l’exemple cité par la grammaire générale, tiré de Tite Live, qui parle de Junius Brutus : Is quem primores civitatis, in quibus fratrem suum ab avunculo interfectum audisset ; l’auteur le réduit ainsi, Is quem primores civitatis, et in his fratrem suum interfectum audisset, ce qui est très-clair & très-raisonnable.

« Mais, ajoute-t-on, (Part. II. suite du ch. jx.) le relatif perd quelquefois sa force de démonstratif, & ne fait plus que l’office de conjonction : ce que nous pouvons considérer en deux rencontres particulieres.

» La premiere est une façon de parler fort ordinaire dans la langue hébraïque, qui est que lorsque le relatif n’est pas le sujet de la proposition dans laquelle il entre, mais seulement partie de l’attribut, comme lorsque l’on dit, pulvis quem projicit ventus ; les Hébreux alors ne laissent au relatif que le dernier usage, de marquer l’union de la proposition avec une autre ; & pour l’autre usage, qui est de tenir la place du nom, ils l’expriment par le pronom démonstratif, comme s’il n’y avoit point de relatif : de sorte qu’ils disent quem projicit eum ventus… Les Grammairiens n’ayant pas bien distingué ces deux usages du relatif, n’ont pu rendre aucune raison de cette façon de parler, & ont été réduits à dire que c’étoit un pléonasme, c’est-à-dire une superfluité inutile ».

Quiconque lit ce passage de P. R. s’imagineroit qu’il y a en hébreu un adjectif démonstratif & conjonctif, correspondant au qui, quæ, quod latin, & pouvant s’accorder en genre & en nombre avec son antécédent ; & dans ce cas, il semble en effet qu’il n’y ait rien autre chose à dire que d’expliquer l’hébraisme par le pléonasme, qui est réellement très-sensible dans le passage de saint Pierre, oὗ τῷ μώλωπι αὐτοῦ ἰάθητε, cujus livore ejus sanati estis. Surpris d’un usage si peu raisonnable, & si difficile à expliquer, j’ouvre les grammaires hébraïques, & je trouve dans celle de M. l’abbé Ladvocat (pag. 67.) que « le pronom relatif en hébreu est אשר, & qu’il sert pour tous les genres, pour tous les nombres, pour tous les cas, & pour toutes les personnes ». Je passe à celle de Masclef (tom. I. cap. iij. n°. 4. pag. 69.), & j’y trouve : pronomen relativum est אשר, quod omnibus generibus, casibus, ac numeris inservit, significans, pro variâ locorum exigentiâ, qui, quæ, quod, cujus, cui, quem, quorum, quos, &c.

Cette indéclinabilité du prétendu pronom relatif, combinée avec l’usage constant des Hébreux d’y joindre l’adjectif démonstratif lorsqu’il n’est pas le