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& tantôt des magistrats civils qui donnoient le nom à l’année, car les éponymes de Sardes n’ont pas toujours été les mêmes officiers ; il paroît que sous les regnes de Tibere & de Trajan, le proconsul, gouverneur de la province, étoit éponyme ; sous presque tous les regnes suivans jusqu’à Gallien les années étoient marquées par la suite des archontes ou des strateges.

Enfin la ville de Sardes avoit des prêtres ou des pontifes d’un ordre distingué, qu’on appelloit stéphanéphores, parce qu’ils portoient une couronne de laurier, & quelquefois une couronne d’or dans les cérémonies publiques. Ce sacerdoce étoit établi dans plusieurs villes de l’Asie, à Smyrne, à Magnésie du Méandre, à Tarse, &c. On voit par les monumens que cette dignité étoit annuelle & éponyme dans quelques villes. Les stéphanéphores, anciennement consacrés au ministere des dieux, furent aussi attachés au culte des empereurs.

IX. Ce précis historique, extrait du savant mémoire de M. l’abbé Belley, & qu’il a rédigé d’après les inscriptions & les médailles de la ville de Sardes, fait assez connoître quel secours l’histoire peut tirer d’une étude approfondie des monumens antiques. Il nous reste à extraire du même mémoire l’histoire abrégée des révolutions de la ville de Sardes, depuis la fin du troisieme siecle jusqu’à présent.

Sous le haut empire, la Lydie fit toujours partie de l’Asie proconsulaire, mais dans la suite cette province fut démembrée ; les pays dont elle étoit composée formerent autant de provinces particulieres : ce changement arriva sous Dioclétien & Maximien Hercule, auxquels les historiens ont reproché d’avoir affoibli l’empire en divisant ses grandes provinces. Ainsi la Lydie devint alors province. & nous voyons dans la notice de l’empire qu’elle fut gouvernée par un consulaire ; Sardes étoit sa ville métropole. Constantin divisa l’Asie en dix provinces, dont l’une étoit la Lydie, dont Sardes fut toujours la métropole. Comme la qualité des eaux rendoit la situation de cette ville propre aux manufactures, nous voyons qu’anciennement les belles teintures de pourpre & d’écarlate faisoient partie de son commerce & de ses richesses. Dans les derniers siecles de l’empire romain, on y établit une fabrique d’armes.

Mais ce qui rendit la ville de Sardes illustre sous les princes chrétiens, ce fut la dignité de son église. Elle étoit une des sept premieres églises d’Asie, fondée par l’apôtre S. Jean. Méliton, un de ses évêques, écrivit en faveur des Chrétiens, & adressa leur apologie à l’empereur Marc Aurele. Ses évêques eurent le rang de métropolitains, Méonius assista en cette qualité au concile général assemblé à Ephese l’an 431, pour condamner les erreurs de Nestorius. Leur jurisdiction étoit fort étendue, & leur suite est assez connue jusqu’à la ruine de la ville.

Depuis le regne d’Héraclius, l’empire d’Orient ayant été divisé pour l’ordre civil en pays ou districts, la Lydie fit partie du district des Thracésiens, & Sardes fut toujours la capitale de ce département. Cette nouvelle division a subsisté jusqu’à la grande invasion des Turcs au commencement du quatorzieme siecle, qui se fit dans la partie occidentale de l’Asie mineure l’an 1313 sous le regne de l’empereur Andronic. Plusieurs chefs de tribus s’étoient rendus indépendans des sultans de Cogni ; & s’étant fortifiés, ils se répandirent vers l’Occident. Mentecha s’empara d’Ephese & de la Carie ; Aïdin de la Lydie jusqu’à Smyrne, Sarkan de Magnésie du Sipyle & des pays voisins jusqu’à Pergame ; Ghermian de la Phrygie Pacatienne ; Carase de la Phrygie ou Troade, depuis Asso jusqu’à Cyzique ; & Osman de la Paphlagonie & d’une partie de la Bithynie. Voilà l’époque de plu-

sieurs toparchies turques ou principautés particulieres,

dont les noms subsistent encore dans la division que font les turcs de l’Anatolie, ou, comme ils disent, Anadoli.

Osman, duquel descendent les princes Ottomans, fonda un empire qui s’étendit en peu de tems dans trois parties du monde. Bajazeth, son quatrieme successeur, auroit détruit l’empire des Grecs, s’il n’avoit été arrêté dans ses vastes projets par Timur-Beck ou Tamerlan, qui le fit prisonnier à la bataille d’Ancora (Ancyre en Galatie) en 1402. Timur ravagea toute l’Anatolie, & envoya ses généraux faire des courses en différens cantons. L’un d’entr’eux dévasta la Lydie & la ville de Sardes, enleva l’or, l’argent, & tout ce qui s’y trouva de précieux : c’est l’époque fatale de la ruine de cette grande ville.

Timur marcha en personne contre Smyrne, & la prit ; ce conquérant remit en possession de la Lydie les fils d’Aïden, qui en avoient été dépouillés par Bajazeth. Amurat détruisit leur famille, & leur principauté ; Sardes ne put se relever, & n’eut plus d’évêque depuis l’an 1450 ; ses droits métropolitains passerent à l’église de Philadelphie, qui en est éloignée de 27 milles. La Lydie, que les Turcs nomment Aïdin-Eili, le pays d’Aïdin, resta soumise à l’empire Ottoman.

Imith a décrit dans son voyage l’état auquel la ville de Sardes étoit réduite l’an 1671 ; ce n’est plus, dit-il, qu’un misérable village composé de quelques chaumieres où logent un petit nombre de turcs presque tous pâtres, dont le bien consiste en troupeaux qui paissent dans la plaine voisine. Il y reste très-peu de chrétiens, sans église & sans pasteur, & qui sont réduits pour vivre à cultiver des terres ; cependant, continue-t-il, Sardes au milieu de sa désolation montre encore des vestiges de son ancienne splendeur : on trouve au midi ce la ville de grandes colomnes entieres & sur pié, d’autres renversées & brisées ; l’on voit à l’orient des ruines d’édifices, & d’un magnifique palais, répandues dans une grande étendue de terrein. Les choses ont encore dépéri depuis. L’on sait aujourd’hui de M. Askew, qui a voyagé dans l’Asie mineure depuis l’année 1744, que Sardes est totalement deserte, & qu’il n’y reste aucune habitant, ni turc, ni chrétien ; & que l’on ne trouve plus dans ses anciennes ruines, que quelques inscriptions indéchifrables.

De tous ses titres, Sardes n’a conservé que son nom : les Turcs la nomment encore Sart. Suivant la géographie écrite en langue turque, qui a été imprimée à Constantinople depuis quelques années, Sardes & son territoire sont compris dans le district ou liva de Tiré, qui fait partie d’Aïdin-Eïli. Le Tmole y est nommé Boz-dag, c’est-à-dire, Montagne de glace. Les princes turcs qui résidoient à Magnésie, alloient ordinairement passer l’été sur cette montagne, pour éviter les chaleurs de la plaine, & prendre le divertissement de la chasse. Le géographe turc observe qu’au nord de la montagne on voit un lac poissonneux, & dont les eaux sont très belles ; il peut avoir de circuit dix milles, qui font environ trois lieues de France : ce doit être le lac de Gygès, dont Homere a parlé, & qui a été célebre dans toute l’antiquité. La plaine de Sardes, qui est une des plus spacieuses & des plus fertiles de l’Asie, est présentement inculte, on l’appelle la plaine de Nymphi.

Tel est l’état du territoire & de l’ancienne capitale de Crœsus. Ce prince si renommé par ses richesses, par ses libéralités, par le soin qu’il prit d’attirer à sa cour les premiers sages de son tems, n’est pas moins fameux par les vicissitudes des événemens de sa vie. Après avoir soumis à sa puissance presque tous les peuples de l’Asie en-deçà du fleuve Halys, il perdit