Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/665

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Hanifites, les Melkites, les Schafites, les Henbalites, les Mutazalites, &c.... & toutes ces distinctions extravagantes qui sont nées, qui naissent & qui naîtront dans tous les tems & chez tous les peuples où l’on appliquera les notions de la Philosophie aux dogmes de la Théologie. La fureur de concilier Aristote avec Mahomet, produisit parmi les musulmans les mêmes folies que la même fureur de concilier le même philosophe avec Jesus-Christ avoit produites ou produisit parmi les chrétiens ; ils eurent leur al-calam ou théosophie.

Dans les commencemens les musulmans prouvoient la divinité de l’alcoran avec un glaive bien tranchant : dans la suite, ils crurent devoir employer aussi la raison ; & ils eurent une philosophie & une théologie scholastique, & des molinistes & des jansénistes, & des déistes & des pyrrhoniens, & des athées & des sceptiques.

Alkinde naquit à Basra de parens illustres ; il fut chéri de Al-Mamon, de Al-Mosateme & de Ahmede ; il s’appliqua particulierement aux Mathématiques & à la Philosophie : Aristote étoit destiné à étouffer ce que la nature produiroit de génie chez presque tous les peuples ; Alkindi fut une de ses victimes parmi les Sarrasins. Après avoir perdu son tems aux cathégories, aux prédicamens, à l’art sophistique, il se tourna du côté de la Médecine avec le plus grand succès ; il ne négligea pas la philosophie naturelle ; ses découvertes le firent soupçonner de magie. Il avoit appliqué les Mathématiques à la Philosophie ; il appliqua la Philosophie à la Médecine ; il ne vit pas que les Mathématiques détruisoient les systèmes en Philosophie, & que la Philosophie les introduisoit en Médecine. Il fut ecclectique en religion ; il montra bien à un interprete de la loi qui le déchiroit publiquement, & qui avoit même attenté à sa vie, la différence de la Philosophie & de la superstition ; il auroit pu le châtier, ou employer la faveur dont il jouissoit à la cour, & le perdre ; il se contenta de le reprimander doucement, & de lui dire : « ta religion te commande de m’ôter la vie, la mienne de te rendre meilleur si je puis : viens que je t’instruise, & tu me tueras après si tu veux ». Que pense-t-on qu’il apprit à ce prêtre fanatique ? l’Arithmétique & la Géométrie. Il n’en fallut pas davantage pour l’adoucir & le réformer ; c’est peut-être ainsi qu’il en faudroit user avec les peuples féroces, superstitieux & barbares. Faites précéder le missionnaire par un géométre ; qu’ils sachent combiner des vérités, & puis vous leur ferez combiner ensuite des idées plus difficiles.

Thabit suivit la méthode d’Alkindi ; il fut géométre, philosophe, théologien & medecin sous le calife Mootade. Il naquit l’an de l’hégire 221, & mourut l’an de la même époque 288.

Al-Farabe méprisa les dignités & la richesse, s’enfuit de la maison paternelle, & s’en alla entendre Mesué à Bagdad ; il s’occupa de la Dialectique, de la Physique, de la Méthaphysique, & de la Politique ; il joignit à ces études celles de la Géométrie, de la Médecine, & de l’Astronomie, sans lesquelles on ne se distinguoit pas dans l’école de Mesué. Sa réputation parvint jusqu’à l’oreille des califes ; on l’appella ; on lui proposa des récompenses, mais rien ne lui parut préférable aux douceurs de la solitude & de la méditation ; il abandonna la cour au crime, à la volupté, à la fausseté, à l’ambition, au mensonge & à l’intrigue : celui-ci ne fut pas seulement de la philosophie, il fut philosophe ; une seule chose l’affligeoit, c’est la briéveté de la vie, l’infirmité de l’homme, ses besoins naturels, la difficulté de la science, & l’étendue de la nature. Il disoit, du pain d’orge, de l’eau d’un puits, un habit de laine ; & loin de moi ces joies trompeuses, qui finissent par des larmes. Il s’é-

toit attaché à Aristote ; il embrassa les mêmes objets.

Ses ouvrages furent estimés des Arabes & des Juifs ceux ci les traduisirent dans leur langue. Il mourut l’an 339 de l’hégire, à l’âge de 80 ans.

Eschiari ou al-Asshari appliqua les principes de la philosophie péripatéticienne aux dogmes relevés de l’Islamisme, fit une théologie nouvelle, & devint chef de la secte appellée de son nom des Assharites ; c’est un syncretisme théosophique. Il avoit été d’abord motazalite, & il étoit dans le sentiment que Dieu est nécessité de faire ce qu’il y a de mieux pour chaque être ; mais il quitta cette opinion.

Asshari, suivant à toute outrance les abstractions, distinctions, précisions aristotéliques, en vint à soutenir que l’existence de Dieu différoit de ses attributs.

Il ne vouloit pas qu’on instituât de comparaison entre le créateur & la créature. Maimonide qui vivoit au milieu de tous ces hérésiarques musulmans, dit qu’Aristote attribuoit la diversité des individus à l’accident, Asaria à la volonté, Mutazali à la sagesse ; & il ajoute pour nous autres Juifs, c’est une suite du mérite de chacun & de la raison générale des choses.

La doctrine d’Alshari fit les progrès les plus rapides. Elle trouva des sectateurs en Asie, en Afrique, & en Espagne. Ce fut le docteur orthodoxe par excellence. Le nom d’hérésiarque demeura aux autres théologiens. Si quelqu’un osoit accuser de fausseté le dogme d’Asshari, il encouroit peine de mort. Cependant il ne se soutint pas avec le même crédit en Asie & en Egypte. Il s’éteignit dans la plupart des contrées au tems de la grande révolution ; mais il ne tarda pas à se renouveller, & c’est aujourd’hui la religion dominante ; on l’explique dans les écoles ; on l’enseigne aux enfans ; on l’a mise en vers, & je me souviens bien, dit Léon, qu’on me faisoit apprendre ces vers par cœur quand j’étois jeune.

Abul Hussein Enophi succéda à al-Asshari. Il naquit à Bagdad ; il y fut élevé ; il y apprit la philosophie & les mathématiques, deux sciences qu’on faisoit marcher ensemble & qu’il ne faudroit jamais séparer. Il posséda l’astronomie au point qu’on dit de lui, que la terre ne fut pas aussi-bien connue de Ptolomée que le ciel d’Essophi. Il imagina le premier un planisphere, où le mouvement des planetes étoit rapporté aux étoiles fixes. Il mourut l’an 383 de l’hégire.

Qui est-ce qui a parcouru l’histoire de la Médecine & qui ignore le nom de Rases, ou al-Rase, ou Abubecre ? Il naquit à Rac, ville de Perse, d’où son pere l’emmena à Bagdad pour l’initier au commerce ; mais l’autorité ne subjugue pas le génie. Rasès étoit appellé par la nature à autre chose qu’à vendre ou acheter. Il prit quelque teinture de Médecine, & s’établit dans un hôpital. Il crut que c’étoit là le grand livre du médecin, & il crut bien. Il ne négligea pas l’érudition de la philosophie, ni celle de son art ; ce fut le Galien des Arabes. Il voyagea : il parcourut différens climats. Il conversa avec des hommes de toutes sortes de professions ; il écouta sans distinction quiconque pouvoit l’instruire ou des médicamens, ou des plantes, ou des métaux, ou des animaux, ou de la philosophie, ou de la chirurgie, ou de l’histoire naturelle, ou de la physique, ou de la chimie. Arnauld de Villeneuve disoit de lui : cet homme fut profond dans l’expérience, sur dans le jugement, hardi dans la pratique, clair dans la spéculation. Son mérite fut connu d’Almansor qui l’appella en Espagne, où Rasès acquit des richesses immenses. Il devint aveugle à quatre-vingt ans, & mourut à Cordoue âgé de quatre-vingt-dix, l’an de l’hégire 101. Il laissa une multitude incroyable d’opuscules ; il nous en reste plusieurs.

Avicenne naquit à Bochara l’an 370 de l’hégire,