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cessités que la pierre qui tombe & que l’eau qui coule.

Les Al-Naiarianens disoient que Dieu à la vérité faisoit le bien & le mal, l’honnête & le deshonnête ; mais que l’homme libre s’approprioit ce qui lui convenoit.

Les Al-Assharites rapportoient tout à l’idée de l’harmonie universelle.

Que l’attachement servil à la philosophie d’Aristote, étouffa tout ce qu’il y eut de bons esprits parmi les Sarrasins.

Qu’avec cela ils ne posséderent en aucun tems quelque traduction fidele de ce philosophe.

Et que la Philosophie qui passa des écoles arabes dans celles de chrétiens, ne pouvoit que retarder le progrès de la connoissance parmi ces derniers.

De la théologie naturelle des Sarrasins. Ces peuples suivirent la philosophie d’Aristote ; ils perdirent des siecles à disputer des catégories, du syllogisme, de l’analytique, des topiques, de l’art sophistique. Or nous n’avons que trop parlé des sentimens de ces anciens. Voyez les articles Aristotélisme & Péripatéticiens. Nous allons donc exposer les principaux axiomes de la théologie naturelle des Sarrasins.

Dieu a tout fait & réparé ; il est assis sur un trône de force & de gloire : rien ne résiste à sa volonté.

Dieu, quant à son essence, est un, il n’a point de collegue ; singulier, il n’a point de pareil ; uniforme, il n’a point de contraire ; séparé, il n’a point d’intime ; ancien, il n’a rien d’antérieur ; éternel, il n’a point eu de commencement ; perdurable, il n’aura point de fin ; constant, il ne cesse point d’être, il sera dans tous les siecles des siecles orné de ses glorieux attributs.

Dieu n’est soumis à aucun decret qui lui donne des limites, ou qui lui prescrive une fin ; il est le premier & le dernier terme ; il est au-dehors & en-dedans.

Dieu, élevé au-dessus de tout, n’est point un corps ; il n’a pas de forme, & n’est pas une substance circonscrite, une mesure déterminée ; les corps peuvent se mesurer & se diviser. Dieu ne ressemble point aux corps. Il semble, d’après ce principe, que les Musulmans ne sont ni antropomorphites, ni matérialistes : mais il y a des sectes qui s’attachant plus littéralement à l’alcoran, donnent à Dieu des yeux, des piés, des mains, des membres, une tête, un corps. Reste à savoir s’il n’en est pas d’elles, comme des juifs & de nous : celui qui voudroit juger de nos sentimens sur Dieu par les expressions de nos livres, & par les nôtres, se tromperoit grossierement. Il n’y a aucun de nos théologiens qui s’en tiennent assez ouvertement à la lettre, pour rendre Dieu corporel ; & s’il reste encore parmi les fideles quelques personnes qui, accoutumées à s’en faire une image, voient l’éternel sous la forme d’un vieillard vénérable avec une longue barbe, elles ont été mal instruites, elles n’ont point entendu leur catéchisme ; elles imaginent Dieu comme il est représenté dans les morceaux de peinture qui décorent nos temples, & qui peut-être sont le premier germe de cette espece de corruption.

Dieu n’est point une substance, & il n’y a point de substance en lui ; ce n’est point un accident, & il n’y a point en lui d’accident ; il ne ressemble à rien de ce qui existe, ni rien de ce qui existe ne lui resemble.

Il n’y a en Dieu ni quantité, ni termes, ni limites, ni position différente ; les cieux ne l’environnent point ; s’il est dit qu’il est assis sur un trône, c’est d’une maniere & sous une acception qui ne marque ni contact, ni forme, ni situation, ni existence en un lieu déterminé, ni mouvement local. Son trône ne le soutient point ; mais il est soutenu avec tout ce qui l’environne par la bonté de sa puissance. Son trône est par-tout, parce qu’il regne par-tout. Sa main est par-tout, parce qu’il commande en tous lieux. Il n’est ni

plus éloigné, ni plus voisin du ciel que de la terre.

Il est en tout ; il est plus proche de l’homme que ses veines jugulaires ; il est présent à tout ; il est témoin de tout ce qui se passe ; sa proximité des choses n’a rien de commun avec la proximité des choses entr’elles ; ce sont deux essences, deux existences, deux présences différentes.

Il n’existe en quoi que ce soit, ni quoi que ce soit en lui ; il n’est le sujet de rien.

Il est immense, & l’espace ne le comprend pas ; il est très-saint, & le tems ne le limite pas. Il étoit avant le tems & l’espace, & il est à présent comme il a été de toute éternité.

Dieu est distingué de la créature par ses attributs ; il n’y a dans son essence que lui ; il n’y a dans les autres choses que son essence.

Sa sainteté ou perfection exclut de sa nature toute idée de changement & de translation ; il n’y a point en lui d’accident ; il n’est point sujet à la contingence ; il est lui dans tous les siecles ; exempt de dissolution, quant aux attributs de sa gloire ; exempt d’accroissement, quant aux attributs de sa perfection.

Il est de foi que Dieu existe présent à l’entendement & aux yeux pour les saints & les bienheureux, dont il fait ainsi le bonheur dans la demeure éternelle, où il leur accorde de contempler sa face glorieuse.

Dieu est vivant, fort, puissant, supérieur à tout ; il n’est sujet ni à excès, ni à impuissance, ni au sommeil, ni à la veille, ni à la vieillesse, ni à la mort.

C’est lui qui commande & qui regne, qui veut & qui peut ; c’est de lui qu’est la souveraineté & la victoire, l’ordre & la création.

Il tient les cieux dans sa droite ; les créatures sont dans la paume de sa main ; il a notifié son excellence & son unité par l’œuvre de la création.

Les hommes & leurs œuvres sont de lui ; il a marqué leurs limites.

Le possible est en sa main ; ce qu’il peut ne se compte pas ; ce qu’il sait ne se comprend pas.

Il sait tout ce qui peut être su ; il comprend, il voit tout ce qui se fait des extrémités de la terre jusqu’au haut des cieux ; il suit la trace d’un atome dans le vuide ; il est présent au mouvement délié de la pensée ; le mouvement le plus secret du cœur ne lui est pas caché ; il sait d’une science antique qui fut son attribut de toute éternité, & non d’une science nouvelle qu’il ait acquise dans le tems. La charge de l’univers est moins par rapport à lui, que celle d’une fourmi par rapport à l’étendue & à la masse de l’univers.

Dieu veut ce qui est ; il a disposé à l’événement ce qui se fera ; il n’y a par rapport à sa puissance ni peu ni beaucoup, ni petitesse ni grandeur, ni bien ni mal, ni foi ni incrédulité, ni science ni ignorance, ni bonheur ni malheur, ni jouissance ni privation, ni accroissement ni diminution, ni obéissance ni révolte, si ce n’est par un jugement déterminé, un décret, une sentence, un acte de sa volonté.

Ce fatalisme est l’opinion dominante des Musulmans. Ils accordent tout à la puissance de Dieu, rien à la liberté de l’homme.

Ce que Dieu veut, est ; ce qu’il ne veut pas, n’est pas ; le clin de l’œil, l’essor de la pensée sont par sa volonté.

C’est lui par qui les choses ont commencé, qui les a ordonnées, qui les réordonnera ; c’est lui qui fait ce qu’il lui plaît, dont la sentence est irrévocable, dont rien ne retarde ou n’avance le decret, à la puissance duquel rien ne se soustrait, qui ne souffre point de rebelles, qui n’en trouve point, qui les empêche par sa miséricorde, ou qui les permet par sa puissance ; c’est de son amour & de sa volonté que l’homme tient la faculté de lui obéir, de le servir. Que les hommes, les démons & les anges se rassem-