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voile. Ce trait qui ne se trouve pas dans l’antique, & qui appartient au sculpteur, exprime ingénieusement l’inutilité d’un grand nombre de tentatives, que les anciens & les modernes avoient faites pour parvenir jusqu’aux sources du Nil, en remontant son canal.

Mais comme le bas-relief est une partie très-intéressante de la Sculpture, je crois devoir transcrire ici les réflexions de M. Etienne Falconet sur cette sorte d’ouvrage ; il les avoit destinées lui-même au Dictionnaire encyclopédique.

Il faut, dit-il, distinguer principalement deux sortes de bas-reliefs, c’est-à-dire le bas-relief doux, & le bas-relief saillant, déterminer leurs usages, & prouver que l’un & l’autre doivent également être admis selon les circonstances.

Dans une table d’Architecture, un panneau, un fronton, parties qui sont censées ne devoir être point percées, un bas-relief saillant, à plusieurs plans, & dont les figures du premier seroient entierement détachées du fond, feroit le plus mauvais effet, parce qu’il détruiroit l’accord de l’architecture, parce que les plans reculés de ce bas-relief feroient sentir un renfoncement où il n’y en doit point avoir ; ils perceroient le bâtiment, au-moins à l’œil. Il n’y faut donc qu’un bas-relief doux & de fort peu de plans ; ouvrage difficile par l’intelligence & la douceur des nuances qui en font l’accord ; ce bas-relief n’a d’autre effet que celui qui résulte de l’architecture à laquelle il doit être entierement subordonné.

Mais il y a des places où le bas-relief saillant peut être très-avantageusement employé, & où les plans & les saillies, loin de produire quelque désordre, ne font qu’ajouter à l’air de vérité que doit avoir toute imitation de la nature. Ces places sont principalement sur un autel, ou telle autre partie d’architecture que l’on supposera percée, & dont l’étendue sera suffisamment grande, puisque dans un grand espace, un bas-relief doux ne feroit aucun effet à quelque distance.

Ces places & cette étendue sont alors l’ouverture d’un théâtre, où le sculpteur suppose tel enfoncement qu’il lui plaît, pour donner à la scene qu’il représente, toute l’action, le jeu, & l’intérêt que le sujet exige de son art, en le soumettant toujours aux lois de la raison, du bon goût, & de la précision. C’est aussi l’ouvrage par où l’on peut reconnoître plus aisément les rapports de la Sculpture avec la Peinture, & faire voir que les principes que l’une & l’autre puisent dans la nature, sont absolument les mêmes. Loin donc toute pratique subalterne, qui n’osant franchir les bornes de la coutume, mettroit ici une barriere entre l’artiste & le génie.

Parce que d’autres hommes, venus plusieurs siecles avant nous, n’auront tenté de faire que quatre pas dans cette carriere, nous n’oserions en faire dix ! Les sculpteurs anciens sont nos maîtres, sans doute, dans les parties de leur art où ils ont atteint la perfection ; mais il faut convenir que dans la partie pitoresque des bas-reliefs, les modernes ne doivent pas autant d’égards à leur autorité.

Seroit-ce parce qu’ils ont laissé quelques parties à ajouter dans ce genre d’ouvrage, que nous nous refuserions à l’émulation de le perfectionner ? Nous qui avons peut-être porté notre peinture au-delà de celle des anciens, pour l’intelligence du clair-obscur ; n’oserions-nous prendre le même essor dans la sculpture ? Le Bernin, le Gros, Algarde, nous ont montré qu’il appartient au génie d’étendre le cercle trop étroit que les anciens ont tracé dans leurs bas-reliefs. Ces grands artistes modernes se sont affranchis avec succès d’une autorité qui n’est recevable qu’autant qu’elle est raisonnable.

Il ne faut cependant laisser aucun équivoque sur le jugement que je porte des bas-reliefs antiques. J’y

trouve, ainsi que dans les belles statues, la grande maniere dans chaque objet particulier, & la plus noble simplicité dans la composition ; mais quelque noble que soit cette composition, elle ne tend en aucune sorte à l’illusion d’un tableau, & le bas-relief y doit toujours prétendre.

Si le bas-relief est fort saillant, il ne faut pas craindre que les figures du premier plan ne puissent s’accorder avec celle du fond. Le sculpteur saura mettre de l’harmonie entre les moindres saillies & les plus considérables : il ne lui faut qu’une place, du goût & du génie. Mais il faut l’admettre, cette harmonie : il faut l’exiger même, & ne point nous élever contre elle, parce que nous ne la trouvons pas dans des bas-reliefs antiques.

Une douceur d’ombres & de lumieres monotones qui se répetent dans la plûpart de ces ouvrages, n’est point de l’harmonie. L’œil y voit des figures découpées, & une planche sur laquelle elles sont collées, & l’œil est révolté.

Ce seroit mal défendre la cause des bas-reliefs antiques, si on disoit que ce fond qui arrête si désagréablement la vue, est le corps d’air serein & dégagé de tout ce qui pourroit embarasser les figures. Puisqu’en peignant, ou dessinant d’après un bas-relief, on a grand soin de tracer l’ombre qui borde les figures, & qui indique si bien qu’elles sont collées sur cette planche, qu’on appelle fond : on ne pense donc pas que ce fond soit le corps d’air. Il est vrai que cette imitation ridicule est observée pour faire connoitre que le dessein est fait d’après de la sculpture. Le sculpteur est donc seul blâmable d’avoir donné à son ouvrage un ridicule qui doit être représenté dans les copies, ou les imitations qui en sont faites.

Dans quelque place, & de quelque saillie que soit le bas-relief, il faut l’accorder avec l’architecture ; il faut que le sujet, la composition & les draperies soient analogues à son caractere. Ainsi la mâle austérité de l’ordre toscan n’admettra que des sujets & des compositions simples : les vêtemens en seront larges, & de fort peu de plis. Mais le corinthien & le composite demandent de l’étendue dans les compositions, du jeu & de la légéreté dans les étoffes.

De ces idées générales, M. Falconet passe à quelques observations particulieres qui sont d’un homme de génie.

La regle de composition & d’effet étant la même pour le bas-relief que pour le tableau, les principaux acteurs, dit-il, occuperont le lieu le plus intéressant de la scene, & seront disposés de maniere à recevoir une masse suffisante de lumiere, qui attire, fixe, & repose sur eux la vue, comme dans un tableau, préférablement à tout autre endroit de la composition. Cette lumiere centrale ne sera interrompue par aucun petit détail d’ombres maigres & dures, qui n’y produiroient que des taches, & détruiroient l’accord. De petits filets de lumiere qui se trouveroient dans de grandes masses d’ombre, détruiroient également cet accord.

Point de raccourci sur les plans de devant, principalement si les extrémités de ces raccourcis sortoient en avant : ils n’occasionneroient que des maigreurs insupportables. Perdant de leur longueur naturelle, ces parties seroient hors de vraissemblance, & paroîtroient des chevilles enfoncées dans les figures. Ainsi pour ne point choquer la vue, les membres détachés doivent, autant qu’il sera possible, gagner les fonds. Placés de cette maniere, il en résultera un autre avantage : ces parties se soutiendront dans leur propre masse ; en observant cependant que, lorsqu’elles sont détachées, elles ne soient pas trop adhérentes au fond : ce qui occasionneroit une disproportion dans les figures, & une fausseté dans les plans.