Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/716

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’écluse qui est éloignée du pont de cent toises environ.

La digue de bois & pierres ou estocades de la pêcherie traverse la riviere d’une rive à l’autre ; elle est formée de pieux qui se nomment poulains ; ils exhaussent la chaussée assez haute, pour qu’elle puisse s’élever, ensorte qu’il reste sept à huit piés de hauteur au-dessus du niveau des plus basses marées.

Sur la tête des poulains sont placées en talut en forme d’arboutant, de grosses solives ou poutrelles que l’on nomme jumens ; elles ont quinze à vingt piés de longueur ; elles sont appuyées encore sur un talut de pierre, arrêtées par le haut par des solles longuerines ou longs bordages de trois pouces d’épaisseur, de différentes largeurs ; il y en a trois semblables par le bas ; les pieux des poulains & les jumens sont éloignés de 18 à 24 pouces l’un de l’autre. La tête des jumens avance au-delà de celle des poulains d’environ trois piés, pour empêcher par cet avance les saumons qui viennent au bas de la pêcherie, de se pouvoir élancer au-dessus.

Le talut de la digue qui est exposé au courant de la riviere, est garni du pié jusqu’au-dessus, de clayonnage ou de claies de six piés de long, de trois de large ; on en met trois ou quatre l’une sur l’autre ; le pié de ce clayonnage qui tombe au-bas de la digue, y est arrêté par les pierres qui sont au-bas du talut : ces claies ne durent ordinairement que deux années, à moins qu’elles ne soient plutôt emportées par les lavasses, comme il arrive quelquefois. Il faut jusqu’à cent douzaines de ces claies pour garnir le talut de cette digue : ce clayonnage en est la conservation.

Il y a au milieu de cette digue une ouverture fermée seulement de claies ou d’échelles à claires voies, comme on l’a observé ci-devant dans les autres pêcheries, pour donner lieu à l’écoulement des eaux & au passage du frai du saumon qui cherche à se jetter à la mer, & à ceux qui y veulent retourner après avoir frayé : cette largeur reste ouverte dans le même tems que celle des chaussées & tonnes de pierres.

Le saumon qui veut monter, & qui ne trouve aucun passage le long de cette digue, la cottoie ; comme son instinct le porte alors à remonter, il cherche toujours jusqu’à ce qu’il ait trouvé une issue ; il y a au bout de la digue du côté de l’est, un coffre, boutique ou goret ; il peut avoir environ un pié de largeur & 10 de long ; il est enfoncé d’environ les dans l’eau ; il n’y a à la boutique qu’un seul trou de 18 pouces d’ouverture en quarré placé au plus bas du coffre ; il est armé de fer, & les bouts qui en sont formés en pointe, se resserrent, ensorte qu’il ne reste au plus que le passage d’un gros saumon, qui n’y peut même encore entrer qu’en forçant un peu les pointes du guide, qui prête & se remet ensuite. Les pêcheurs nomment cette garniture le guide ou guidau, parce qu’il conduit le poisson, qui entre aussitôt qu’il l’a trouvé, & qui ne peut plus sortir de la boutique, quand il y est une fois entré, parce qu’il est arrêté par les pointes du guideau ; on le retire de ce réservoir d’abord que l’on s’apperçoit qu’il y est entré ; les pêcheurs, pour les y pêcher, ont un haveneau emmanché, dont le sac est formé de mailles, qui ont dix-huit, dix-neuf & vingt lignes en quarré ; on y pêche quelquefois vingt, trente & quarante saumons d’une seule marée ; on porte ces saumons à Rennes, Saint Malo, Brest & autres villes de la province, & même jusqu’à Paris, quand la saison le permet ; les frais du transport ne sont pas un obstacle à ce commerce, par la vente avantageuse qu’on en fait ; il y a eu quelques années où l’où en a pris une quantité telle que tous frais faits, le propriétaire de la pêcherie en a eu plus de dix mille livres net de profit, ainsi qu’il l’a

lui même assuré. Voyez les figures dans nos Planc. de pêche.

La deuxieme espece de pêche se fait entre la chaussée & la digue, avec deux bateaux, dans chacun desquels sont deux hommes, dont l’un nage, & l’autre tient une perche de deux à trois brasses de long ferrée par le bas ; à cette perche est amarré un filet en forme de sac, de chalut ou ret traversier, sans flottes par la tête, ni pierres, ni plomb par le pié ; son ouverture par le haut de la gueule a environ cinq brasses ; le bas de la même ouverture en a quatre ; les côtés ont six brasses de longueur, & le fond du sac en a autant ; les mailles du ret dont il est composé, sont de la grandeur de celle du haveneau, dont on se sert pour faire la pêche dans le coffre : ce sont les mêmes mailles que celles des seines dérivantes pour la pêche de l’alose & du saumon dans les rivieres où l’on en fait la pêche ; au coin du fond du sac est amarrée une petite cordelette que l’on nomme guide, que l’un des pêcheurs qui tient la poche presse dans l’index de la main droite, & que l’autre tient dans celui de sa gauche ; les deux bateaux ne sont éloignés l’un de l’autre que de trois brasses au plus, ils vont de conserve : & quand l’un d’eux s’apperçoit par sa cordette ou guide, qu’il y dans le filet du poisson de pris, ce qu’il sent dans l’instant par le mouvement extraordinaire que le saumon fait faire au filet en s’agitant quand il est arrêté, il avertit aussitôt le pêcheur de l’autre bateau ; ils relevent alors chacun leur pêche en même tems ; ils se rapprochent, & retirent le poisson de leur pêche par l’ouverture du sac qu’ils mettent auparavant dans leurs bateaux ; ils tuent le saumon en le-retirant, & recommencent ensuite la pêche.

Cette pêche ne se peut faire que de jour seulement, les pêcheurs traînant ainsi leur filet par fond, parce que le saumon qui monte, ne paroît guere au-dessus de l’eau, qu’il refoule aisément, étant alors dans sa force ; au contraire quand il retourne à la mer, & qu’il est alors énervé de l’opération du frai, il s’en retourne en troupe ; & comme il n’a point de force, il se laisse emporter par le courant de l’eau, & nage à sa surface.

Le tems de la pêche du saumon à Châteaulin, est depuis le mois d’Octobre ou au commencement de Novembre jusqu’à Pâques qu’on prend ce grand poisson ; depuis Pâques jusqu’à la S. Jean, qu’on la continue encore ; on ne pêche guere alors que le saumon que les pêcheurs bretons nomment guenie, qui est gris, ou jeune saumon de l’année ; au commencement de Juillet on tient les vannes des écluses ouvertes, pour laisser au saumon la liberté de monter.

Les rivieres où les saumons & les truites abondent, ne sont ordinairement point poissonneuses, parce que les saumons mangent les autres poissons, & s’en nourrissent ; ils sont même si voraces qu’ils s’entremangent.

Rien ne fait plus de tort à la pêche de ce poisson que la saison où les riverains mettent rouir leurs chanvres ; les eaux empoisonnées en chassent tous les poissons, qui n’y reviennent qu’après que ces eaux corrompues se sont écoulées.

Description de la pêche des saumons & des truites avec grands verveux. La pêche des saumons & des truites se fait encore dans le ressort de l’amirauté d’Abbeville ; les pêcheurs qui la pratiquent font cette pêche avec de grands verveux, que les Picards nomment vergneuls ou vergneux, dont l’ouverture est d’une brasse environ ; ils en placent quatre à cinq côte-à-côte, ensorte que ces instrumens barrent toute la riviere, & l’ouverture est exposée au courant ; ainsi ils ne pêchent ces poissons que lorsqu’ils descendent pour aller à la mer, à-moins qu’ils ne les retournent pour pêcher de marée montante.

Les verveux sont tenus ouverts, au moyen de plu-