Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/766

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

crioient que l’Eglise romaine étoit la Babylone corrompue, que le pape étoit l’antechrist, qu’il falloit s’en séparer, & ils s’en sont séparés en effet. Aussi le schisme est actif de leur part.

Les Anglicans regardent parmi eux comme un schisme la séparation des non-conformistes, des presbytériens, des indépendans, des anabaptistes & autres qui ont prétendu réformer la réforme.

Schisme des Grecs, (Hist. ecclésiastique.) on appelle schisme des Grecs, la séparation de Photius d’avec la communion de Rome, vers l’an 868.

Comme cette séparation des Grecs & des Latins n’étoit pas seulement la plus grande affaire que l’Eglise chrétienne eût alors sur les bras, mais qu’elle est encore aujourd’hui regardée comme une chose très importante ; il en faut tracer l’origine, & c’est le peintre moderne de l’histoire universelle qui m’en fournira le tableau.

Le siege patriarchal de Constantinople étant, dit-il, ainsi que le trône, l’objet de l’ambition, étoit sujet aux mêmes révolutions. L’empereur Michel III. mécontent du patriarche Ignace, l’obligea à signer lui-même sa déposition, & mit à sa place Photius, eunuque du palais, homme d’une grande qualité, d’un vaste génie, & d’une science universelle. Il étoit grand-écuyer & ministre d’état. Les évêques pour l’ordonner patriarche, le firent passer en six jours par tous les degrés. Le premier jour on le fit moine, parce que les moines étoient alors regardés comme faisant partie de la hiérarchie. Le second jour il fut lecteur, le troisieme soudiacre, puis diacre, prêtre, & enfin patriarche, le jour de Noël en 858.

Le pape Nicolas prit le parti d’Ignace, & excommunia Photius. Il lui reprochoit surtout d’avoir passé de l’état laïc à celui d’évêque avec tant de rapidité ; mais Photius répondoit avec raison, que S. Ambroise, gouverneur de Milan, & à peine chrétien, avoit joint la dignité d’évêque à celle de gouverneur plus rapidement encore. Photius excommunia donc le pape à son tour, & le déclara déposé. Il prit le titre de patriarche écuménique, & accusa hautement d’hérésie les évêques d’Occident de la communion du pape. Le plus grand reproche qu’il leur faisoit, rouloit sur la procession du pere & du fils. Des hommes, dit-il dans une de ses lettres, sortis des ténebres de l’Occident, ont tout corrompu par leur ignorance. Le comble de leur impiété est d’ajouter des nouvelles paroles au sacré symbole autorisé par tous les conciles, en disant que le S. Esprit ne procede pas du pere seulement, mais encore du fils, ce qui est renoncer au christianisme.

On voit par ce passage & par beaucoup d’autres, quelle supériorité les Grecs affectoient en tout sur les Latins. Ils prétendoient que l’Eglise romaine devoit tout à la greque, jusqu’aux noms des usages, des cérémonies, des mysteres, des dignités. Baptême, eucharistie, liturgie, diocèse, paroisse, évêque, prêtre, diacre, moine, église, tout est grec. Ils regardoient les Latins comme des disciples ignorans, révoltés contre leurs maîtres.

Les autres sujets d’anathème étoient, que les Latins se servoient de pain non levé pour l’Eucharistie, mangeoient des œufs & du fromage en carême, & que leurs prêtres ne se faisoient point raser la barbe. Etranges raisons pour brouiller l’Occident avec l’Orient.

Mais quiconque est juste, avouera que Photius étoit non-seulement le plus savant homme de l’Eglise, mais un grand évêque. Il se conduisoit comme S. Ambroise ; quand Bazile, assassin de l’empereur Michel, se présenta dans l’église de Ste Sophie : vous êtes indigne d’approcher des saints mysteres, lui dit-il à haute voix, vous qui avez encore les mais souillées du sang de votre bienfaiteur. Photius ne trouva

pas un Théodose dans Bazile. Ce tyran fit une chose juste par vengeance. Il rétablit Ignace dans le siége patriarchal, & chassa Photius. Rome profita de cette conjoncture pour faire assembler à Constantinople le huitieme concile écuménique, composé de trois cens évêques. Les légats du pape présiderent, mais ils ne savoient pas le grec ; & parmi les autres évêques, très-peu savoient le latin. Photius y fut universellement condamné comme intrus, & soumis à la pénitence publique. On signa pour les cinq patriarches avant que de signer pour le pape ; ce qui est fort extraordinaire : car puisque les légats eurent la premiere place, ils devoient signer les premiers. Mais en tout cela les questions qui partageoient l’Orient & l’Occident ne furent point agitées : on ne vouloit que déposer Photius.

Quelque tems après, le vrai patriarche, Ignace, étant mort, Photius eut l’adresse de se faire rétablir par l’empereur Bazile. Le pape Jean VIII. le reçut à sa communion, le reconnut, lui écrivit ; & malgré ce huitieme concile écuménique, qui avoit anathématisé ce patriarche, le pape envoya ses légats à un autre concile à Constantinople, dans lequel Photius fut reconnu innocent par quatre cens évêques, dont trois cens l’avoient auparavant condamné. Les légats de ce même siége de Rome, qui l’avoient anathématisé, servirent eux-mêmes à casser le huitieme concile écuménique.

Combien tout change chez les hommes ! combien ce qui étoit faux, devient vrai selon les tems ! les légats de Jean VIII. s’écrient en plein concile : si quelqu’un ne reconnoît pas Photius, que son partage soit avec Judas. Le concile s’écrie ; longues années au patriarche Photius, & au patriarche Jean.

Enfin à la suite des actes du concile, on voit une lettre du pape à ce savant patriarche, dans laquelle il lui dit ; nous pensons comme vous ; nous tenons pour transgresseurs de la parole de Dieu, nous rangeons avec Judas ceux qui ont ajouté au symbole, que le S. Esprit procede du pere & du fils ; mais nous croyons qu’il faut user de douceur avec eux, & les exhorter à renoncer à ce blasphème.

Il est donc clair que l’Eglise romaine & la greque pensoient alors différemment de ce qu’on pense aujourd’hui. Il arriva depuis que Rome adopta la procession du pere & du fils ; & il arriva même qu’en 1274 l’empereur des grecs Michel Paléologue, implorant contre les turcs une nouvelle croisade, envoya au second concile de Lyon son patriarche & son chancelier, qui chanterent avec le concile en latin, qui ex patre filioque procedit. Mais l’Eglise greque retourna encore à son opinion, & sembla la quitter encore dans la réunion passagere qui se fit avec Eugene IV. Que les hommes apprennent de-là à se tolerer les uns les autres. Voilà des variations & des disputes sur un point fondamental, qui n’ont ni excité de troubles, ni rempli les prisons, ni allumé les buchers.

On a blâmé les déférences du pape Jean VIII. pour le patriarche Photius ; on n’a pas assez songé que ce pontife avoit alors besoin de l’empereur Bazile. Un roi de Bulgarie, nommé Bogoris, gagné par l’habileté de sa femme, qui étoit chrétienne, s’étoit converti, à l’exemple de Clovis & du roi Egbert. Il s’agissoit de savoir de quel patriarchat cette nouvelle province chrétienne dépendroit. Constantinople & Rome se la disputoient. La décision dépendoit de l’empereur Bazile. Voilà en partie le sujet des complaisances qu’eut l’évêque de Rome pour celui de Constantinople.

Il ne faut pas oublier que dans ce concile, ainsi que dans le précédent, il y eut des cardinaux. On nommoit ainsi des prêtres & des diacres qui servoient de conseils aux métropolitains. Il y en avoit à Rome