Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/817

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c’est-à-dire, près de douze mille livres de notre monnoie ; mais la mort de l’artiste, & de celui qui l’employoit, leur envia l’honneur d’un tel ouvrage, cui mors utriusque inviderit, dit Pline : le modele en plâtre d’une coupe qu’Octavius, chevalier romain, fit faire à ce même Arcésilaüs, lui couta un talent, quatre mille sept cens livres. Ces prix que nous rapportons exprès peuvent servir à fixer l’idée que les Romains avoient alors de la sculpture, & des ouvrages des grands sculpteurs.

Aristoclès. Pausanias compte trois sculpteurs de ce nom. Le premier & le plus ancien étoit Aristoclès de Cydon ; on ne sait point précisément dans quel siecle il fleurissoit. On voyoit à Olympie un groupe de sa main composé de deux figures représentant le combat d’Hercule contre une amazone à cheval. Ce groupe avoit été dédié par un Evagoras de la ville de Zancle en Sicile, avant que cette ville eût le nom de Messene.

Le second Aristoclès étoit fils de Claeotas. Il acquit beaucoup de gloire par deux statues, l’une de Ganymede enlevé par les dieux, & l’autre de Jupiter, qui donne deux magnifiques chevaux à Tros, pere du jeune prince. Ces deux statues furent placées vis-à-vis le temple de Pélops.

Le troisieme Aristoclès étoit frere de Canachus, dont je parlerai, & ne lui cédoit gueres en mérite. Il fleurissoit pendant la guerre de Peloponnèse.

Bathyclès étoit de Magnésie. Son âge est si peu connu, que Junius, dans son histoire des sculpteurs, a pris le parti de n’en point parler ; il ne sera pourtant pas impossible de le découvrir. Pausanias, qui marque ordinairement le tems des sculpteurs anciens dont il décrit les ouvrages, ne parle point de celui de Bathyclès, & dit au contraire, qu’il ne s’arrêtera pas à nommer le maître sous lequel il avoit appris son art, ni le prince sous lequel il fleurissoit ; ce qui suppose que de son tems, l’un & l’autre fait n’étoient ignorés de personne. Nous ne sommes plus aujourd’hui dans le même cas.

Diogene de Laërce, & 4 autres anciens écrivains, placent le sculpteur Bathyclès vers le tems de Crésus, de Solon, de Thalès, & des autres sages ou philosophes de la Grece. Crésus monta sur le trône de Lydie vers la 54. olympiade, l’an 559 avant J. C. & ce fut quelques années après, que les Lacédémoniens penserent à réparer le temple d’Amyclée, & à y faire ajouter les ornemens décrits par Pausanias. On voit donc par-là bien clairement le tems où fleurissoit le sculpteur Bathyclès.

C’est un artiste bien célebre dans l’antiquité ; on vantoit extrémement certaines coupes dont il étoit l’inventeur, & selon plusieurs anciens écrivains, ce n’étoit pas un trépié, mais une coupe de la main de ce sculpteur, que les sept sages de la Grece consacrerent à Apollon, après se l’être renvoyé les uns aux autres. Quoi qu’il en soit, le trône de ce dieu à Amyclée immortalisa Bathyclès. Voici la description qu’en fait Pausanias. Elle est d’autant plus curieuse, que l’ouvrage représentoit presque la fable entiere.

Non-seulement, dit-il, le trône d’Amyclée est de la main de Bathyclès, mais tout l’ouvrage, & les accompagnemens ainsi que la statue de Diane Leucophryné. Les graces & les heures, au nombre de deux, les unes & les autres soutiennent ce trône par-devant & par-derriere. Sur la gauche Bathyclès a représenté Echidne avec Typhon, & sur la droite des Tritons.

Dans un endroit, Jupiter & Neptune enlevent Taïgete, fille d’Atlas, & Alcyone sa sœur ; Atlas y tient aussi sa place. Dans un autre vous voyez le combat d’Hercule avec Cycnus, & le combat des Centaures chez Pholus, ici c’est Thésée qui combat le Minotaure, mais pourquoi traîne-t-il le Minotaure

enchaîné & encore vivant ? c’est ce que je ne sais pas, ajoute Pausanias. Là, continue-t-il, c’est une danse de Phéaciens & de Démodocus qui chante.

Ces bas-reliefs vous présentent une infinité d’objets tout-à-la-fois. Persée coupe la tête à Méduse ; Hercule terrasse le géant Thurius, Tyndare combat contre Eurytus ; Castor & Pollux enlevent les filles de Leucippe ; Bacchus tout jeune est porté au ciel par Mercure ; Minerve introduit Hercule dans l’assemblée des dieux, il y est reçu, & prend possession du séjour des bienheureux.

Pélée met son fils Achille entre les mains de Chiron, qui en effet l’éleva & fut, dit-on, son précepteur ; Céphale est enlevé par l’Aurore à cause de sa beauté ; les dieux honorent de leur présence & de leurs bienfaits les noces d’Harmonie. Achille combat contre Memnon ; Hercule châtie Diomede, roi de Thrace, & tue de sa main Nessus auprès du fleuve Enénus ; Mercure amene les trois déesses pour être jugées par le fils de Priam ; Adraste & Tydée terminent la querelle d’Amphiaraüs avec Lycurgue, fils de Pronax ; Junon arrête ses regards sur Io, fille d’Inachus, déja métamorphosée en vache ; Minerve échappe à Vulcain qui la poursuit ; Hercule combat l’hydre de la maniere dont on le raconte, & dans un autre endroit il traîne après lui le chien du dieu des enfers.

Anaxias & Mnasinoüs paroissent montés sur de superbes coursiers, Mégapenthe & Nicostrate, tous deux fils de Ménélas, sont sur le même cheval ; Bellérophon abat à ses piés le monstre de Lycie ; Hercule chasse devant lui les bœufs de Géryon. Sur le rebord d’en-haut, on voit les fils de Tyndare à cheval, l’un d’un côté, l’autre de l’autre ; au-dessous ce sont des sphinx, & au-dessus des bêtes féroces ; un léopard vient attaquer Castor, & une lionne veut se jetter sur Pollux. Tout au haut, Bathycles a représenté une troupe de magnésiens qui dansent & se réjouissent ; ce sont ceux qui lui avoient aidé à faire ce superbe trône.

Le dedans n’est pas moins travaillé ni diversifié ; du côté droit où sont les Tritons, le sanglier de Calydon est poursuivi par des chasseurs ; Hercule tue les fils d’Actor ; Calaïs & Zétès défendent Phinée contre les Harpies ; Apollon & Diane percent Tityus de leurs fleches ; Thésée & Pirithoüs enlevent Helene ; Hercule étrangle un lion ; le même Hercule mesure ses forces contre le centaure Oréüs ; Thésée combat le Minotaure. Au côté gauche, c’est encore Hercule qui lutte avec l’Achéloüs ; là vous voyez aussi ce que la fable nous apprend de Junon, qu’elle fut enchaînée par Vulcain ; plus loin c’est Acaste qui célebre des jeux funebres en l’honneur de son pere ; ensuite vous trouverez tout ce qu’Homere dans l’Odyssée raconte de Ménélas & de Protée l’égyptien. Dans un autre endroit Admette attele à son char un sanglier & un lion ; dans un autre enfin, ce sont les Troyens qui font des funerailles à Hector, &c.

Voilà sans doute le sujet le plus vaste que la sculpture ait jamais traité. L’imagination ne se prete point à un si prodigieux travail, & comprend encore moins comment tant d’objets différens représentés en petit, étoient si distincts & si nets, qu’à lire la description qu’en fait Pausanias, on croiroit qu’il parcourt des yeux une galerie de tableaux grands comme nature.

Bupalus & Athénis, natifs de l’île de Chio, tous deux freres & fameux sculpteurs, ayant un jour apperçu le poëte Hipponax, furent frappés de sa figure ; elle leur parut toute propre à servir de modele d’un grotesque divertissant. Ils en firent des statues où ils aiderent la nature de leur mieux, c’est-à-dire, lui donnerent un air le plus ridicule qu’il leur fut possible. Hypponax florissoit vers la 60 olympiade,