Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/822

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S’il étoit question, dit-il, dans ce calcul des ouvrages de Lysippe, de statues de marbre, & même de figures de bronze de grandeur naturelle, ou faites chacune sur différens modeles, quoiqu’il en ait produit plusieurs de ce genre, le nombre de six cens dix morceaux de la main d’un seul artiste ne seroit ni possible, ni vraissemblable ; la connoissance des arts & leur marche dans l’exécution vont heureusement servir à lever tous nos doutes.

Quand la pratique de la fonte est familiere à un artiste & qu’il a sous ses ordres des gens capables de l’aider, les ouvrages se multiplient en peu de tems ; l’artiste n’a proprement besoin que de faire des modeles en terre ou en cire, manœuvre que l’on sait être aussi prompte que facile. Le moule, la fonte & le soin de réparer sont des opérations qui ne demandent point la main du maître, & cependant la figure n’est pas moins regardée comme son ouvrage.

Ajoutons à ces facilités que l’on peut jetter un très grand nombre de figures dans le même moule, & sans doute que toutes les fois qu’il en sortoit une de son fourneau, Lysippe s’étoit imposée la loi de mettre à-part un denier d’or, dont le nombre accumulé servit après sa mort à supputer la quantité de figures fondues dans son attelier. Il n’eût pas été difficile à Jean de Boulogne d’en faire autant dans le dernier siecle, & peut-être que si l’on comptoit le nombre de petites figures qu’il a produites de cette façon, on n’en trouveroit guere moins de six cens dix, indépendamment des grandes figures équestres & des autres statues ou bas-reliefs dont il a fait les modeles, & à la fonte desquels il a présidé.

Lysistrate de Sicyone, frere de Lysippe fut selon Pline, « le premier qui fit des portraits gypse, en appliquant le plâtre sur le visage de ceux dont il vouloit avoir la ressemblance, & qui jetta de la cire dans le creux que cette premiere opération avoit produit ; c’est ce que nous appellons moule. Avant le tems de cet artiste, on ne songeoit qu’à rendre les têtes les plus belles qu’il étoit possible : mais celui-ci s’attacha le premier à la ressemblance ». Pline dit tout de-suite : « Enfin la chose alla si loin, que l’on ne fit aucun ouvrage de sculpture sans employer la terre : Crevitque res in tantum, ut nulla signa statuæve sine argillâ fierent ». Il n’est pourtant pas étonnant que l’on ne fît plus aucun ouvrage de sculpture sans employer la terre ; parce qu’il n’y a dans le monde que la terre, la cire, ou le plâtre qui puissent obéir à l’ébauchoir, ou à la main du sculpteur, pour former son ouvrage & le mettre en état d’être moulé. Or, comme le plâtre & la cire sont encore plus difficiles à trouver que la terre, il est tout simple que les sculpteurs lui ayent donné généralement la préférence.

Lyson est mis par Pline, liv. XXXIV, ch. viij, au nombre des statuaires qui réussissoient particulierement à représenter des athletes, des gens armés, & des sacrificateurs. Pausanias dit qu’il avoit fait un morceau placé dans la salle du sénat qui représentoit le peuple d’Athènes.

Malas de Chio, s’acquit dans sa patrie avec son fils Micciades, une haute réputation : ils vivoient avant Dypœne & Scylis.

Menestrate. Pline, parlant de cet artiste, dit, livre XXXIV, ci. viij : On admire beaucoup l’Hercule de Menestratus & l’Hécate du même artiste. On voit cette derniere figure à Ephèse, derriere le temple. Le marbre en est si brillant, que les gardiens de ce temple avertissent les étrangers de la regarder avec précaution pour ménager leurs yeux.

Myron, athénien, disciple de Polyclete, vivoit dans la 84e olympiade, vers l’an du monde 3560. Il s’est rendu recommandable par une exacte imitation de la belle nature. La matiere sembloit s’animer sous

son ciseau ; plusieurs jolies épigrammes du IV. liv. de l’Anthologie font mention d’une vache qu’il avoit représentée en bronze avec un tel art, que cet ouvrage séduisoit & les pâtres & les animaux. Enfin, cette vache fameuse, à ce que prétendent plusieurs auteurs, pouvoit servir de modele, tant pour l’excellence de l’imitation que pour la perfection de la nature même. Cependant nous avons lieu de penser que nos statuaires seroient en état de représenter aujourd’hui des animaux du genre imité par Myron & par ses confreres beaucoup plus parfaits que ceux qui leur étoient connus. L’idée de la belle nature que les anciens se sont formée sur la plûpart des quadrupedes, en prenant pour exemples ceux de la Grece & d’Italie ; cette idée, dis-je, n’approche pas des modeles que nous offrent à cet égard divers pays de l’Europe.

Nous voyons certainement, selon la remarque de l’auteur des réfléxions sur la Poésie & la Peinture, que les taureaux, les vaches, & les porcs des bas-reliefs antiques ne sont point comparables aux animaux de la même espece, que la Flandre, la Hollande & l’Angleterre élevent. On trouve dans ces dernieres une beauté, où l’imagination des artistes qui ne les avoient point vus, étoit incapable d’atteindre. Les chevaux antiques, même celui sur lequel Marc-Aurèle est monté, & à qui Pietre de Cortone adressoit la parole toutes les fois qu’il passoit dans la cour du capitole, en lui disant par enthousiasme pittoresque : « Avance donc, ne sais-tu pas que tu es vivant » ? ces chevaux, dis je, n’ont point les proportions aussi élégantes, ni le corsage & l’air aussi nobles que les chevaux que les sculpteurs ont représentés, depuis qu’ils ont connu ceux d’Andalousie, ceux du nord de l’Angleterre, & depuis que l’espece de ces animaux s’est embellie dans différens pays par le mélange que les nations industrieuses ont su faire des races. En un mot, les hommes les plus habiles ne sauroient jamais, en prêtant à la nature toutes les beautés qu’ils imagineront, l’annoblir dans leurs inventions, autant qu’elle sait s’annoblir elle-même à la faveur de certaines conjonctures.

Je reviens au sculpteur d’Athènes. Il y avoit dans le temple de Samos une cour destinée pour les statues, parmi lesquelles on en voyoit trois colossales de sa main portées sur la même base. Marc-Antoine les avoit fait enlever ; mais Auguste y fit remettre celles de Minerve & d’Hercule, & se contenta d’envoyer celle de Jupiter au capitole.

Le mont Hélicon étoit embelli d’un Bacchus debout que Myron avoit fait, & qu’on estimoit être la plus belle de ses statues après l’Erechtée qui étoit à Athènes. Ce Bacchus, dit Pausanias, étoit un présent de Sylla, non qu’il l’ait fait faire à ses dépens, mais il l’enleva aux Orchoméniens de Mynies pour la donner aux Théopiens, ce que les Grecs appellent honorer les dieux avec l’encens d’autrui.

Myron étoit jaloux de l’immortalité ; & pour y participer par quelqu’un de ses ouvrages, il mit son nom presqu’en caracteres imperceptibles sur une des cuisses de sa statue d’Apollon, que possédoient les Athéniens.

Pline fait un bel éloge de cet artiste : Primus hic, dit-il, multiplicasse varietatem videtur, numerosior in arte quàm Polycletus, & in symmetriâ diligentior : cependant ce mot primus ne veut marquer qu’une plus grande variété dans la composition, & un plus grand soin dans l’exécution. En cela Myron l’emporta sur ses prédécesseurs. Pline ajoute qu’en fait de badinage, il fit un tombeau pour une cigale & pour une sauterelle. Et comme tout se répete dans le monde, un de nos artistes fit dans le dernier siecle le tombeau de la chatte de Madame de Lesdiguieres ; & cet ouvrage qui ne méritoit pas d’être relevé,