Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/837

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voyant plus l’ouvrage, même en le regardant plus long-tems. Joindre ces deux parties (mais quelle difficulté !) c’est le sublime de la sculpture.

Nous avons étalé les merveilles qu’elle a produites, en parlant des Sculpteurs ; nous allons continuer de la considérer comme antique & moderne. Enfin le lecteur trouvera la maniere dont elle opere en marbre, en pierre, en bois, en plâtre, en carton, en bronze. Pour ce qui regarde ses deux parties les plus intéressantes, qui sont les bas reliefs, & l’art de draper, on les a traité aux mots Relief bas, & Draperies. Article de M. Falconet le sculpteur.

Sculpture antique, (Art d’imitation.) c’est principalement de celle des beaux jours de la Grece & de Rome, dont il s’agit d’entretenir ici le lecteur. Je ne m’arrêterai point à rechercher l’époque de ce bel art : elle se perd dans l’obscurité des siecles les plus reculés, & ressemble à cet égard aux autres arts d’une imitation sensible, tels que sont l’Architecture, la Peinture & la Musique. D’habiles gens donnent même à la Sculpture le droit d’aînesse sur l’Architecture, quoiqu’il paroisse naturel de regarder l’Architecture comme l’enfant de la nécessité, comme le fruit des premiers besoins des hommes qu’ils ont été obligés d’inventer, & dont ils ont fait leur occupation long-tems avant que d’imaginer la Sculpture, qui n’est que l’effet du loisir & du luxe : comment donc peut-il arriver que l’Architecture ait été devancée par un art qu’on n’a dû n’imaginer que long-tems après ?

On répond que le sculpteur ayant pour objet, par exemple, une figure humaine, le sculpteur a eu dans ses premieres & ses plus grossieres ébauches l’avantage de trouver un modele dans la nature ; car c’est dans l’imitation parfaite de la nature que consiste la perfection de son art ; mais il a fallu pour l’architecte que son imitation cherchât des proportions qui ne tombent pas de la même maniere sous les sens, & qui néanmoins une fois établies se conservent & se copient plus aisément.

Quoi qu’il en puisse être, la Sculpture a commencé par s’exercer sur de l’argille, soit pour former des statues, soit pour former des moules & des modeles. Les premieres statues qu’on s’avisa d’ériger aux dieux ne furent d’abord que de terre, auxquelles pour tout ornement on donnoit une couleur rouge. Des hommes qui honoroient sincerement de telles divinités ne doivent pas, dit Pline, nous faire honte. Ils ne faisoient cas de l’or & de l’argent ni pour eux-mêmes ni pour leurs dieux. Juvenal appelle une statue, comme celle que Tarquin l’ancien fit mettre dans le temple du pere des dieux, le Jupiter de terre, que l’or n’avoit point gâté ni souillé.

Fictilis, & nullo violatus Jupiter auro.

Ensuite on fit des statues du bois des arbres qui ne sont pas sujets à se corrompre, ni à être endommagés des vers, comme le citronnier, l’ébene, le cyprès, le palmier, l’olivier.

Jamais le ciel ne fut aux humains si facile,
Que quand Jupiter même étoit de simple bois :
Depuis qu’on le fit d’or, il fut sourd à leurs voix.

Après le bois, les métaux, les pierres les plus dures, & sur-tout le marbre, devinrent la matiere la plus ordinaire & la plus recherchée des ouvrages de sculpture. On en tiroit des carrieres de Paros & de Chio, & bientôt presque tous les pays en fournirent. L’usage de l’ivoire dans les ouvrages de sculpture étoit connu dès les premiers tems de la Grece.

Quoique les Egyptiens passent pour être les inventeurs de la Sculpture, ils n’ont point la même part que les Grecs & que les Romains, à la gloire de cet art. Les sculptures qui sont constamment des égyp-

tiens, c’est-à-dire celles qui sont attachées aux bâtimens

antiques de l’Egypte, celles qui sont sur leurs obélisques & sur leurs mumies n’approchent pas des sculptures faites en Grece & en Italie. S’il se rencontre quelque sphinx d’une beauté merveilleuse, on peut croire qu’il est l’ouvrage de quelque sculpteur grec, qui se sera diverti à faire des figures égyptiennes, comme nos peintres s’amusent quelquefois à imiter dans leurs ouvrages, les figures des tableaux des Indes & de la Chine. Nous mêmes n’avons-nous pas eu des artistes qui se sont divertis à faire des sphinx ? On en compte plusieurs dans les jardins de Versailles qui sont des originaux de nos sculpteurs modernes. Pline ne nous vante dans son livre aucun chef-d’œuvre de sculpture fait par un égyptien, lui qui nous fait de si longues & de si belles énumérations des ouvrages des artistes célebres. Nous voyons même que les sculpteurs grecs alloient travailler en Egypte.

Comme ils avoient forgé des dieux & des déesses, il falloit bien par honneur qu’ils leur élevassent des temples ornés de colonnes, d’architraves, de frontons & de diverses statues, dont le travail étoit encore bien plus estimable que le marbre dont on les formoit. Ce marbre sortoit si beau des mains des Myrons, des Phidias, des Scopas, des Praxiteles, qu’il fut l’objet de l’adoration des peuples tellement éblouis par la majesté de leurs dieux de marbre ou de bronze, qu’ils n’en pouvoient plus soutenir l’éclat. On a vu des villes entieres chez ce peuple facile à émouvoir, s’imaginer voir changer le visage de leurs dieux. C’est ainsi que parle Pline des superbes statues de Diane & d’Hecate, dont l’une étoit à Scio & l’autre à Ephese.

C’est donc à la Grece que la sculpture est redevable de la souveraine perfection où elle a été portée. La grandeur de Rome qui devoit s’élever sur les débris de celle des successeurs d’Alexandre, demeura long-tems dans la simplicité rustique de ses premiers dictateurs & de ses consuls, qui n’estimoient & n’exerçoient d’autres arts que ceux qui servent à la guerre & aux besoins de la vie. On ne commença à avoir du goût pour les statues & les autres ouvrages de sculpture qu’après que Marcellus, Scipion, Flaminius, Paul Emile & Mummius eurent exposé aux yeux des Romains ce que Syracuse, l’Asie, la Macédoine, Corinthe, l’Achaïe & la Béotie avoient de plus beaux ouvrages de l’art. Rome vit avec admiration les tableaux, les marbres, & tout ce qui sert de décoration aux temples & aux places publiques. On se piqua d’en étudier les beautés, d’en discerner toute la délicatesse, d’en connoître le prix, & cette intelligence devint un nouveau mérite, mais en même tems l’occasion d’un abus funeste à l’état. Mummius, après la prise de Corinthe, chargeant des entrepreneurs de faire transporter à Rome quantité de statues & de tableaux de la main des premiers maîtres, les menaça s’il s’en perdoit ou s’en gâtoit en chemin, de les obliger d’en fournir d’autres à leurs dépens-Cette grossiere ignorance n’est-elle pas, dit un historien, infiniment préférable à la prétendue science qui en prit bientôt la place ? Foiblesse étrange de l’humanité ! L’innocence est-elle donc attachée à l’ignorance ? Et faut-il que des connoissances & un goût estimables en soi ne puissent s’acquérir sans que les mœurs en souffrent, par un abus dont la honte retombe quelquefois, quoiqu’injustement, sur les arts mêmes ?

Ce nouveau goût pour les pieces rares fut bientôt porté à l’excès. Ce fut à qui orneroit le plus superbement ses maisons, à la ville & à la campagne. Le gouvernement des pays conquis leur en offroit les occasions. Tant que les mœurs ne furent pas corrompues, il n’étoit pas permis aux gouverneurs de rien acheter des peuples que le sénat leur soumettoit,