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d’Apollonie de Thrace. Ce colosse dont la hauteur étoit de trente coudées (45 piés) avoit couté cinq cens talens, (environ deux millions trois cens cinquante mille livres de notre monnoie.) Telle étoit la statue colossale de Jupiter que l’empereur Claude avoit consacrée dans le champ de Mars ; & tel le Jupiter que Lysippe fit à Tarente, qui avoit quarante coudées de haut.

Mais un nombre presque infini d’artistes s’illustrerent par la prodigieuse quantité de petites statues de fonte & de bronze qu’ils produisirent, les unes grandes comme nature, & d’autres seulement d’un ou deux piés. On en est convaincu par la quantité de petits bronzes, qui subsistent encore. Il est vrai que les bronzes grecs sont rares, & que nous n’en connoissons guere que de romains ; mais nous ne pouvons douter que Rome n’ait toujours été le singe de la Grece. La seule flotte de Mummius transporta de Corinthe à Rome trois mille statues de marbre ou de bronze, dont vraissemblablement la plus grande partie étoit ce que nous appellons des bronzes au-dessus & au-dessous d’un pié.

Les Grecs étoient dans l’usage de couvrir leurs bronzes avec du bitume ou de la poix. Ils ne pouvoient prendre cette précaution que pour les conserver, & leur donner l’éclat & le brillant qu’ils aimoient. Pline est étonné que les Romains ayent préféré la dorure à cet usage ; & en cela il parle non-seulement en philosophe ennemi du luxe, mais en homme de goût, & au fait des Arts. La dorure a plusieurs inconvéniens, dont le principal sur-tout quand on dore une statue qui n’a point été faite pour être dorée, est de l’empêcher de s’éclairer selon la pensée & l’intention de l’auteur. Quant à la poix dont les anciens couvroient leurs bronzes, nous n’avons rien à desirer ; les fumées & les préparations de nos artistes sont d’autant préférables, qu’elles ont moins d’épaisseur.

Il paroît par Pline, que la premiere statue de bronze que l’on ait fondue à Rome, fut une Cérès consacrée par Spurius Cassius, qui fut tué par son propre pere pour avoir aspiré à la royauté. Les statues de Romulus, que l’on voyoit dans le capitole, & des rois prédécesseurs de Tarquin, avoient été fondues ailleurs, & transportées ensuite à Rome. Cependant, quoique l’usage de la fonte fût très-ancien en Italie, elle continua de former ses dieux de terre ou de bois jusqu’à la conquête de l’Asie. Toutes ces observations sont de M. de Caylus : je les ai puisées dans ses Dissertations sur Pline, dont il a enrichi les mémoires de Littérature. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Sculpture en Marbre ; c’est l’art de tirer & de faire sortir d’un bloc de marbre une statue, un grouppe de figures, un portrait, en coupant, taillant & ôtant le marbre.

Lorsqu’un sculpteur statuaire veut exécuter une statue, un grouppe de figures, ou autre sujet en marbre, il commence par modeler, soit en terre, soit en cire, une ou plusieurs esquisses, voyez Modele & Esquisses de son sujet, pour tâcher de déterminer, dès ces foibles commencemens ses attitudes, & s’assurer de sa composition. Lorsqu’il est satisfait, & qu’il veut s’arrêter à une de ses esquisses, il en examine toutes les proportions. Mais comme dans ces premiers projets il se trouve beaucoup plus d’esprit & de feu que de correction ; il est indispensablement obligé de faire un modele plus grand & plus fini, dont il fait les études. Voyez Etudes d’après le naturel. Ce deuxieme modele achevé, il le fait monter & tirer en plâtre, pour le conduire à faire un troisieme modele, qu’il fait à l’aide de l’échelle de proportion ou pié réduit, de la même grandeur & proportion qu’il veut exécuter son sujet

en marbre. C’est alors qu’il redouble ses attentions, qu’il examine & qu’il recherche avec soin toute la correction, la finesse, la pureté & l’élégance des contours. Il fait encore mouler en plâtre ce troisieme modele afin de le conserver dans sa grandeur & dans sa proportion. Car s’il se contentoit de son modele en terre, il ne retrouveroit plus ses mesures, parce que la terre en se séchant se concentre & se retire, ce qui le jetteroit dans un extrême embarras. Pour déterminer la base du bloc de marbre, il fait faire un lit sous la plinte du bloc, voyez Lit sous la plinte, & ce lit lui sert de base générale pour diriger toutes ses mesures & tirer toutes ses lignes. Alors il donne sur le bloc de marbre les premiers coups de crayon, puis il le fait épanneler, Voyez Epanneler. Ensuite il fait élever à même hauteur le modele & le bloc de marbre, chacun sur une selle semblable & proche l’une de l’autre à sa discrétion, voyez Selle. Quand le modele & le bloc de marbre sont placés à propos, l’on pose horisontalement sur la tête de l’un & de l’autre des chassis de menuiserie, quarrés & égaux, & qui reviennent juste en mesure avec ceux qui portent les bases ou les plintes des figures, voyez les Planches & les fig. de la Sculpture. L’on a de grandes regles de bois qui portent avec elles plusieurs morceaux de bois armés d’une pointe de fer qui parcourent à volonté tout le long de la regle, & que l’on fixe néanmoins où l’on veut avec des vis : c’est l’effet du trusquin, voyez Trusquin. Ces regles se posent perpendiculairement contre les chassis qui sont au-dessus & au-dessous du modele pour y prendre des mesures & les rapporter sur le bloc de marbre, en les posant sur les chassis dans la même direction où elles ont été posées sur ceux du modele. C’est avec ces regles qu’on pourroit mieux appeller compas, à cause de leur effet, que l’artiste marque & établit tous les points de direction de son ouvrage, ce qu’il ne pourroit pas faire avec les compas ordinaires, dont on ne sauroit introduire les pointes dans les fonds & cavités dont il faut rapporter les mesures. Il est manifeste que cette opération se réitere sur les quatre faces du bloc de marbre & du modele autant de fois que le besoin le requiert : car la figure étant isolée, demande à être travaillée avec le même soin dans toutes ses faces.

L’artiste ayant trouvé & établi des points de direction, qu’il a posés à son gré sur les parties les plus saillantes de son ouvrage, comme sont les bras, les jambes, les draperies & autres attributs ; il retrace de nouveau les masses ou sommes de la figure du sujet, & fait jetter à-bas les superfluités du marbre jusqu’au gros de la superficie, par des ouvriers ou éleves, se reposant sur eux de ce pénible travail, mais ayant toujours les yeux sur l’ouvrage, de crainte que ces foibles ouvriers n’atteignent les véritables nus & points du sujet. Il doit aussi leur faire faire attention à ne travailler que sur le fort du marbre, cela s’entend, en ce que les outils & les coups de masse soient toujours dirigés vers le centre du bloc. Autrement ils courroient risque d’étonner & d’éliter quelques parties du marbre qui n’est presque jamais également sain, étant souvent composé de parties poufes & de parties fieres. Voyez Pouf & Fier.

Les outils dont on se sert pour cette ébauche, sont la masse, les pointes, les doubles pointes, la marteline & la gradive, avec lesquels, en ôtant le superflu petit-à-petit, on voit sortir le sujet. Alors l’artiste suit de près l’approche de la figure, avec le ciseau & tous les autres outils qui lui sont nécessaires ; & il ne la quitte plus qu’il ne l’ait terminée au plus haut point de perfection qu’il est capable de lui donner.

De quelque outil qu’il se serve, soit marteline,