Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 15.djvu/500

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les, qui faute de bien ne trouvoient pas à se marier, il avoit couvert de pourpre la statue qu’on avoit fait dresser à son honneur, & y avoit fait rapporter une cuirasse dorée & d’autres ornemens, qui furent pillés par les Romains.

Voilà la premiere statue grecque qui irrita leur cupidité, mais dès qu’ils furent vainqueurs & maîtres de la terre, ils embellirent leur ville des plus fameuses statues répandues dans le monde. Métrodore de Scepsis dit que les Volociniens furent attaqués par les Romains, sans autre motif que celui de s’emparer de deux mille statues qui servoient à l’ornement de leur ville. Mummius en enleva un grand nombre de l’Achaïe, Lucullus du Pont, Antoine d’Ephèse ; Néron fit enlever toutes celles qui étoient à Olympie ; le seul Caton se contenta de transporter de Cypre à Rome la statue de Zénon par considération pour le mérite de ce philosophe.

Il étoit ordinaire à Rome de mettre des statues jusques sur les tombeaux. Festus Pompeius raconte qu’on trouvoit près de la porte romaine un lieu appellé Statuæ Cinciæ, à cause du grand nombre de statues qui y étoient sur les sépultures de la famille Cincia ; mais les lois Athéniennes défendoient même de poser des statues de Mercure au-dessus des colonnes sépulchrales ; & Démétrius de Phalere à qui l’on avoit élevé plus de trois cens statues, réduisit la hauteur des colonnes ou des pyramides sépuchrales à trois coudées.

Lucien dans le dialogue intitulé Philopseudes, ou le Crédule, fait mention d’une statue qui avoit la vertu de guérir la fievre, & dont les genoux étoient chargés des marques de la reconnoissance de ceux qui en avoient obtenu quelque soulagement ; & il rapporte tout de suite la punition d’un malheureux qui avoit volé le petit trésor de cette statue. Mais le même auteur se moque des statues qu’on prétendoit qui suoient, qui se remuoient, & qui rendoient des oracles. Cependant les Romains portoient un tel respect, une telle vénération aux statues de leurs princes, que la loi défendoit à un maître de maltraiter son esclave qui s’étoit réfugié auprès de la statue d’un empereur ; & du tems de Tibere, c’étoit une espece de crime, que d’avoir seulement changé de robe devant une statue. L’empereur Claude fit ôter celle d’Auguste de la place publique, où l’on exécutoit les coupables condamnés, pour ne la point profaner par un pareil spectacle.

Pausanias observe aussi que les Grecs regardoient comme une affaire capitale de voler une statue, ou de l’ôter de sa place. Il nous a conservé là-dessus l’histoire de Théagene, fils de Thémosthène, prêtre d’Hercule à Thasos. Dans son enfance il étoit d’une si grande force, qu’à l’âge de neuf ans, revenant du lieu où il alloit faire ses exercices, il enleva, dit-on, une statue d’airain ; il fut arrêté, & on ne fit grace à son âge, qu’à condition qu’il la replaceroit ; ce qu’il exécuta dans le moment. Il remporta jusqu’à 1400 prix en différens jeux de la Grece, si nous en croyons le texte grec du même Pausanias ; car le traducteur qui les a réduits à 400, ne s’y est déterminé que par le motif d’une plus grande vraissemblance. Un de ses concurrens qui l’avoit trop souvent rencontré dans son chemin pendant qu’il vivoit, avoit passé de la jalousie à une haine si forte contre lui, qu’il alloit toutes les nuits charger de coups de fouet la statue de ce vainqueur ; & cette statue étant tombée sur celui qui la traitoit si indignement, l’écrasa. Ses enfans demanderent en justice vengeance de la mort de leur pere, fondés sur la loi de Dracon qui condamnoit à l’exil, les choses même inanimées, qui avoient occasionné la mort d’un homme ; les Thasiens ordonnerent que la statue seroit précipitée dans la mer ; mais ils en furent punis par la stérilité de

leurs terres. Ils envoyerent à Delphes ; l’oracle leur conseilla de rappeller les exilés ; on oublia la statue de Théagene, & la stérilité continua : nouvelle députation ; l’oracle rappella le souvenir de l’injure faite à Théagene : des plongeurs tirerent la statue de la mer ; on la rétablit avec honneur. Elle fut depuis en très-grande vénération ; & on imploroit son secours en différentes maladies.

On profanoit les statues en les renversant par terre, en les couvrant de boue, en arrachant ou biffant les inscriptions, comme Pline le fait connoître dans le panégyrique de Trajan ; Suétone exprime avec bien de la force ce sentiment du sénat lui-même à la mort de Domitien ; voici ses termes : Contrà senatus adeò lætatus est, ut repleta certatim curia non temperaret, quin mortuum contumeliosissimo atque acerbissimo acclamationum genere laceraret, scalas etiam afferri, clypeosque, & imagines ejus coram detrahi, & ibidem solo affigi juberet, novissimè eradendos ubique titulos, & abolendam omnem memoriam decerneret.

Ces observations générales sur les statues, suffiront à la plûpart des lecteurs ; mais les curieux desireront encore des détails particuliers qui leur facilitent l’intelligence de Pline, de Pausanias, & des autres écrivains de la Grece & de Rome : tâchons de les servir en quelque chose.

La liberté de faire des statues, multiplia les temples & les divinités : nous ne connoissons les dieux par le visage, dit Cicéron, que parce qu’il a plu aux Peintres & aux Sculpteurs de nous les représenter ainsi : deos eâ facie novimus quâ Pictores & Sculptores voluerunt. Aussi Aristophane appelle les Sculpteurs θεοποιοὺς, faiseurs de dieux, & Julius Pollux, la statuaire, θεοποιητικὴ, la fabrication des dieux.

La matiere de cet art statuaire, artis statuariæ, comme Pline l’appelle, fut le métal de toutes especes ; car quoique le cuivre & le bronze en fussent la matiere la plus commune, cependant, les Egyptiens, & d’autres peuples, y employerent le fer, l’or, & l’argent. La premiere statue de bronse qu’on vit à Rome, fut celle de la déesse Cérès ; on la fit des deniers provenans de la vente des meubles de Cassius, qui fut tué par son propre pere, parce qu’il aspiroit à la royauté. Il est vrai que la statue d’Hercule dédiée par Evandre, & celle de Janus consacrée par Numa, étoient plus anciennes & de même métal ; mais la fonte en venoit de dehors, nec dubium in Hetruriâ factitatas, dit Pline, l. XXXIV. c. vij.

Les premieres statues d’argent qu’on vit à Rome étoient d’Asie ; je parle de celles de Pharnace & de Mithridate, rois de Pont, que Pompée fit porter dans son triomphe ; il est vrai que bientôt après on commença d’en fondre à Rome, & dans les provinces de l’empire. Les premieres furent à l’honneur d’Auguste, & on en fit un grand nombre. Dans la suite, on fondit deux statues d’argent en l’honneur de Commode, dont l’une pesoit quinze cens livres, & dont l’autre étoit accompagnée d’un taureau & d’une vache d’or, à cause que ce prince affectoit le titre de fondateur de Rome, & qu’il s’avisa d’appeller cette ville coloniam commodianam. Domitien, au rapport de Suétone, ordonna qu’on ne fit aucune statue à sa ressemblance pour mettre au capitole, si elle n’étoit d’or ou d’argent, & d’un certain poids, par lui désigné : statuas sibi in capitolio non nisi aureas & argenteas poni permisit, ac ponderis certi. Il me semble par les vers suivans de Stace, que le poids des statues d’or fixé par Domitien, étoit de cent livres.

Da capitolinis æternum sedibus annum,
Quo niteant sacri centeno pondere vultus
Cæsaris.

Toutefois les empereurs romains ne furent pas