Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 15.djvu/585

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tien de ces propriétés qui se font connoître. Qu’est-ce en effet que l’entendement ? sinon l’ame elle-même entant qu’elle conçoit distinctement ; & la volonté de l’ame, n’est-ce pas l’ame elle-même considérée entant qu’elle veut ? Donc celui qui sait ce que c’est que l’entendement, la volonté, connoît l’essence de l’ame. De même celui qui connoît l’étendue, la solidité & la force en général, connoît l’essence du corps. Comment se persuader que le corps soit un être différent de ses propriétés, auquel l’étendue, la force, la solidité soient comme appliquées, qui le couvrent, de maniere qu’elles nous cachent le sujet ? N’est-il pas plus naturel, plus certain que l’étendue du corps n’est autre chose que le corps considéré par abstraction entant qu’étendu, & sans faire attention à la solidité, à la force ? Et peut-on se figurer un être étendu, solide, & capable d’agir, sans concevoir que c’est un corps ? De ces deux substances qu’il nous soit permis de nous élever à la substance infinie, premiere cause de toutes les substances créées, ou de tous les êtres. Comment pouvons-nous la connoître que par ses attributs ? Qu’est-ce que Dieu que l’Etre nécessaire, ayant en lui sa propre existence, éternel, immuable, infiniment parfait ? Cet Etre considéré sous toutes ces qualités, cet assemblage de perfections est la substance à laquelle nous donnons le nom de Dieu, & dont l’essence ne peut être connue, ni l’idée apperçue, qu’autant que nous avons celle de ses attributs ou de ses perfections.

Mettons cependant une réserve à ce que nous avons dit, que l’essence des substances nous étoit connue. Ce n’est pas à dire que nous connoissions à fond des êtres, tels que l’ame & le corps ; car nous pouvons bien connoître les qualités essentielles, & ignorer en même tems les attributs qui en découlent, tout comme nous pouvons très-bien entendre un principe, sans qu’il suive de-là que nous en découvrions toutes les conséquences. Le défaut de pénétration, d’attention, de réflexion, ne permet pas que nous envisagions un objet par toutes les faces qu’il peut avoir, ni que nous le comparions à tous ceux avec lesquels il a des rapports : ainsi de ce que nous connoissons en général l’essence de l’ame & du corps, on ne doit pas en conclure que nous connoissons l’essence de toutes les ames & de tous les corps en particulier. Ce qui fait la différence, ce qui distingue l’une de l’autre, c’est peut-être quelque chose de si fin & de si délicat, qu’il peut nous échapper facilement. Les essences des corps particuliers sont hors de la portée de nos sens, & nous ne les distinguons guere que par des qualités sensibles ; dès-lors l’illusion s’en mêle : nous perdons de vûe l’essence réelle, & nous sommes forcés à nous en tenir à l’essence nominale, qui n’est que l’assemblage des qualités sensibles auquel nous avons donné un nom. Voyez le ch. vj. du III. liv. de l’Essai sur l’entendement humain de M. Locke, & plusieurs autres § §. de cet excellent ouvrage.

Je ne sais si le peu que nous avons dit des substances en général, n’est pas ce qu’il y a de plus simple & de plus vrai sur un sujet que l’on couvre de ténebres à force de vouloir l’analyser. Cela même ne suffiroit-il pas pour faire sentir la fausseté de la définition que l’on a donnée des substances, comme étant ce qui est en soi, & conçu par soi-même, ou dont l’idée n’a pas besoin pour être formée de l’idée d’autre chose ? En connoît-on mieux les substances ? Apperçoit-on ici l’union de l’idée d’être avec celle d’indépendance de toute autre chose ? Est on fondé à ajouter à l’essence de la substance ce qui n’est point renfermé dans son idée, savoir l’existence en soi & indépendante de ses attributs ? Ce qui indique assez que ceux qui veulent bâtir un système sur ce principe, & isoler la substance de ses qualités, n’ont d’autre but que de confondre tout sous l’idée d’une seule substance néces-

saire, qui nous est & nous sera toujours inconnue,

tant qu’on voudra la considérer comme un simple sujet existant sans ses qualités, & indépendamment de ses déterminations, que l’on ne peut en séparer ni les confondre entr’elles sans absurdité. Voyez sur le système de Spinosa une ample réfutation dans un fort bon ouvrage, qui a paru nouvellement sous le titre d’Examen du Fatalisme.

Substances animales, (Chimie.) je renfermerai sous cette dénomination générale, toutes les diverses parties des animaux que la Chimie a soumises jusqu’à présent à l’analyse ; & principalement leurs parties solides ou organisées, telles que les chairs (Voyez Chair, Anatomie.), les tendons, cartilages, os, cornes, ongles ; les écailles proprement dites ; les poils, les plumes, la soie, &c. & il sera d’autant plus convenable de traiter de toutes ces substances dans un seul article, que les Chimistes n’en ont retiré jusqu’à présent que les mêmes principes, & par conséquent qu’elles ne sont proprement qu’un même & unique sujet chimique. Cette identité de nature, soit réelle, soit relative à l’état présent des connoissances chimiques, est principalement observée sur les animaux les plus parfaits, les quadrupedes, les oiseaux, les poissons, les reptiles. Quelques insectes ont une composition différente, mais plutôt entrevue jusqu’à présent que convenablement établie, excepté cependant sur un petit nombre d’especes, & nommément sur la fourmi, à laquelle nous avons accordé aussi un article particulier. Voyez Fourmi, Chimie.

Certaines parties fluides des animaux ont encore la plus grande analogie chimique avec leurs parties solides, c’est-à-dire que l’analyse vulgaire les résout aussi dans les mêmes principes, à-peu-près. Il est même assez bien connu que l’humeur que j’appelle proprement animale, fondamentale, constituante, savoir la mucosité animale ; & que l’humeur en laquelle celle-ci dégenere immédiatement, savoir la lymphe, que ces humeurs, dis-je, sont au fond une même substance avec les parties solides ou organiques des animaux. Et cette vérité est non-seulement prouvée par l’identité des produits de leur analyse respective, mais encore par l’observation physiologique du changement successif de la mucosité, ou de la lymphe en diverses parties solides ou organisées ; ce changement est sur-tout singulierement remarquable dans la production de la soie, qui est sensiblement dans le ver sous la forme d’une masse uniforme de vraie mucosité, qui a la consistance d’une gelée tendre & légere, se résolvant très-aisément en liqueur, &c. & qui est immédiatement & soudainement changée en filets très-solides, en passant par certaine filiere disposée dans la tête du ver. Ainsi analyser de la soie, analyser un cartilage, un os, un muscle, c’est proprement, & quant au fond, analyser de la mucosité, ou de la lymphe animale. Quelques-unes de ces substances solides ne different réellement de leur matiere primordiale, que par une différente proportion, ou plutôt par une surabondance de terre comme nous l’observerons dans la suite de cet article.

Il s’agit donc ici de la lymphe & des parties solides qui en sont formées. Quant à cette humeur générale, ou plutôt cet assemblage, cet océan (comme les Physiologistes l’appellent) de diverses humeurs animales, connu sous le nom de sang, cette substance animale mérite d’être considérée à part, par cette circonstance même d’être un mêlange très-composé, non-seulement chargé de la véritable matiere animale, c’est-à-dire, de la lymphe, & d’une partie qui lui paroît propre & qui le spécifie, savoir la partie rouge ; mais encore de diverses matieres excrémenticielles, ou étrangeres à la matiere ani-