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sont de gros in-douze. Ce sont des livres trop volumineux pour des enfans, qui aiment à changer souvent, & qui croient avancer d’autant ; si c’est une illusion, il est utile de la leur laisser, parce qu’elle sert à les encourager. Ajoutez à cette premiere observation, que des livres si considérables sont par là même beaucoup trop chers pour leur destination ; la partie la moins aisée des citoyens est la plus nombreuse, & les enfans ont le tems de déchirer plusieurs fois des livres un peu gros, avant que d’arriver à la fin.

Un syllabaire doit donc être d’un volume très mince, tant pour n’être pas si long-tems nécessaire aux enfans, dont il faut ménager & non pas émousser le goût, que pour être d’une acquisition plus facile pour tous les ordres de citoyens. Il s’en faut beaucoup qu’ils puissent tous fournir à leurs enfans, ces secours ingénieux mais dispendieux, que l’art a inventés pour apprendre à lire avec succès, comme des fiches, des cartes, une boëte typographique, &c. Mais il y en a peu qui ne puissent faire l’acquisition d’un petit livre élémentaire : & s’il est assez bien fait pour être utile aux pauvres citoyens, les riches mêmes feront peut-être bien de ne pas le dédaigner. Il n’est pas bien sûr que le méchanisme de l’enseignement par le bureau typographique, n’accoutume pas les jeunes esprits à une espece de marche artificielle, qu’il n’est ni possible, ni avantageux de leur faire suivre partout.

Mais à quoi faut-il réduire un syllabaire, pour lui donner toute l’utilité dont il est susceptible ? A l’exposition juste & méthodique de tous les élémens des mots, & à quelque petit discours suivi qui sera la matiere préparée des premiers essais de lecture.

I. Elémens des mots. La premiere chose qu’il faut faire connoître aux enfans, ce sont les lettres, & les diverses combinaisons de lettres auxquelles l’usage a attaché la représentation des élémens simples de la voix. Je n’irai point grossir cet article d’un détail minutieux qui ne peut pas convenir ici, on trouvera (articles Lettre, Consonne, Voyelle, Diphtongue), de quoi y suppléer.

Après les lettres doivent venir les diverses combinaisons des consonnes, & l’on feroit bien de partager ces combinaisons en sections, d’après ce qui est dit de leur sociabilité, au mot Syllabe.

Les syllabes viendront ensuite : 1°. les syllabes physiques, où le son simple est précédé d’une consonne : 2°. celles où il est précédé de deux consonnes : 3°. celles où il est précédé de trois consonnes : 4°. les syllabes dont le son sensible est une diphtongue réelle & auriculaire, soit seule, soit précédée d’une, de deux ou de trois consonnes.

Je ne parle point des syllabes artificielles finales, où le son sensible est suivi d’une consonne, parce que je crois qu’il est plus utile & plus vrai de détacher cette consonne finale pour la prononcer à-part avec son schéva ou e muet presque insensible, comme je l’ai montré ailleurs. Voyez Syllabe.

Je ne dis pas non plus qu’il faut nommer toutes les consonnes avec ce schéva ou e muet, conformément aux vûes de la grammaire générale, adoptées depuis par MM. Dumas & de Launay, & par les maîtres les plus sages. Cette épellation me paroît si vraie, si simple & si utile ; & l’ancienne au contraire, si inconséquente, si embarrassée, & si opposée aux progrès des enfans, que je pense qu’il n’est plus nécessaire d’insister sur cela.

Mais je remarquerai, comme une chose importante, que pour ce qui concerne les syllabes dont j’ai indiqué le détail & les divisions, il n’en faut omettre aucune dans les tables que l’on en dressera : syllabis nullum compendium est, perdiscendæ omnes. C’est l’avis de Quintilien. (Inst. I. j. 5.) ; & il veut qu’on y ar-

rête les enfans jusqu’à ce qu’on ait toute la certitude

possible qu’ils ne sont plus embarrassés de la distinction d’aucune syllabe. Je suis persuadé qu’ils ne le seront jamais guere, s’ils nomment les consonnes par le schéva ; parce qu’il est aisé de leur faire concevoir, qu’au lieu de schéva, il faut mettre le son qui suit la consonne.

II. Essais de lecture. Quand les enfans seront fermes sur leurs lettres & sur leurs syllabes, il faut leur faire lire quelque chose ; mais cela doit être préparé. Je ne trouve rien de mieux imaginé que l’expédient que j’ai vu employé dans quelques syllabaires. Le discours qui doit servir de matiere aux premieres lectures, est imprimé à droite sur la page recto, sous la forme ordinaire ; & vis-à-vis, à gauche sur le verso, le même discours est imprimé en pareils caracteres, mais avec une séparation & un tiret entre chacune des syllabes de chaque mot. Par exemple :

Dieu tou-ché de la ve-rtu de Jo-se-ph, lui fit trou-ver gra-ce de-vant le gou verneu-r.

Dieu touché de la vertu de Joseph, lui fit trouver grace devant le gouverneur.

On commence à faire lire l’enfant au verso ; cela est aisé pour lui, il y retrouve dans un autre ordre les mêmes syllabes qu’il a vues auparavant : on l’avertit qu’il faut lire de suite celles qui sont attachées par un tiret ; que les consonnes finales qui sont séparées doivent se prononcer, comme dans gou-ve-rneu-r ; que celles qui ne sont pas séparées sont muettes, comme dans trou-ver, de-vant : il est bientôt au fait, & on peut, après deux essais, lui cacher le verso, & lui faire répéter la même lecture au recto.

Mais quelle matiere offrira-t-on à ses premiers essais ? Il me semble que jusqu’ici on n’a apporté guere de discernement ou d’attention au choix que l’on en a fait. Dans quelques syllabaires, c’est l’oraison dominicale, la salutation angélique, le symbole des apôtres, la confession, les commandemens de Dieu & de l’Eglise, & quelquefois les pseaumes de la pénitence ; choses excellentes en soi, mais déplacées ici : 1°. parce qu’elles ne sont pas de nature à fixer agréablement l’attention des enfans, dont la curiosité n’y trouve aucune idée nouvelle nettement développée & tenant à leur expérience : 2°. parce qu’on a soin dans les familles chrétiennes d’apprendre de bonne heure aux enfans les mêmes choses qu’on leur met ici sous les yeux, ce qui les expose à rendre très-bien l’enchaînement des syllabes & la suite des mots, sans être plus intelligens dans l’art de lire, & à tromper ainsi l’espérance de leurs maîtres, qui en les faisant passer à un autre livre, les trouvent aussi embarrassés & aussi neufs que s’ils n’avoient encore rien vu de pareil.

D’autres syllabaires ne renferment que des choses inutiles, déplacées, ou au-dessus de la portée des enfans : j’ai vu dans l’un des principes de grammaire, & quels principes ! dans un autre, les fables d’Esope réduites chacune à quatre vers françois, quelquefois difficiles à concevoir pour les lecteurs les plus raisonnables, tandis qu’on a bien de la peine à proportionner la prose la plus simple à la foible intelligence des enfans.

Il est constant qu’ils s’occuperont d’autant plus volontiers de leur lecture, qu’ils la trouveront plus à la portée de leur esprit, & qu’ils auront plus de facilité à l’entendre ; que rien n’est moins éloigné de leur intelligence que les faits historiques, parce que ce sont des tableaux où ils se retrouvent eux-mêmes, & dont leur petite expérience les rend déja juges compétens ; mais que cette matiere même doit encore être rap-