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qui est réglé par la nature. Ainsi donc en abattant toutes les branches du devant & du derriere d’un arbre en espalier, réduisant un arbre en buisson, en lui faisant prendre une forme évasée horisontalement, ou bien encore en réduisant les branches de tout arbre que ce puisse être à une certaine longueur seulement : enfin en les supprimant les unes ou les autres, on force la seve qui alloit vers ces branches, ou taillées ou supprimées, de se porter désormais vers celles qui restent, & à pousser de nouvelles branches, à la place de celles qu’on lui ravit.

Les arbres des forêts & ceux de la plûpart des vergers ne sont point taillés ; des uns & des autres la seule nature prend soin. Cette sage mere pourvoit à leur renouvellement par quantité de moyens qu’il seroit trop long de rapporter ici.

II. Les seules maîtres & les modeles les plus parfaits que nous ayons pour la taille, ainsi que pour la culture des arbres, sont les gens de Montreuil, proche de Paris, au-dessus de Vincennes. Là est un nommé Pepin, le plus expert, sans contredit pour la taille & le régime des arbres de toute nature, pour les raisins chasselas & pour tout ce qui est du ressort de l’agriculture jardiniere. Leurs altesses madame la Princesse de Conti & le prince son fils, ont fait l’honneur à ce grand agriculteur de visiter ses arbres ; ils ont été émerveillés de leur vaste étendue, ainsi que de la beauté & de la quantité des fruits. Jamais les Girardots, qui furent en leurs tems si renommés, & les copistes de Montreuil, ne pousserent si loin la capacité & la perfection en ce genre.

Il est nécessaire de dire ici, que tous les jardiniers vulgaires qui s’ingerent de parler de Montreuil, n’en savent pas le premier mot, pas davantage que l’auteur du traité de la culture des pêchers, le plus novice de tous, tant pour les arbres, que pour ce qui concerne le travail de Montreuil. Il est dans les habitans de ce lieu un goût inné, & une physique instrumentale & expérimentale pour la taille & la culture des arbres, qui sont tels qu’il n’y a que ceux qui sont initiés aux grands mysteres de la végétation, qui puissent y connoître quoique ce soit ; c’est l’alcoran pour tous les autres.

III. On doit considérer principalement deux choses dans la taille des arbres ; savoir le matériel & le formel. Le premier consiste dans l’action de la taille, qui est de racourcir & d’amputer les branches, ce pourquoi il ne faut que des bras & un instrument en main. Le deuxieme est le modus ou l’art, l’industrie, le goût, l’ordre & la méthode de racourcir & d’amputer ; ce point est l’art des arts.

On peche, quant à l’action de tailler les arbres, en quantité de manieres. Jettez les yeux sur tous les arbres de tous les jardins. Qu’apperçoit-on autre chose que des chicots, des argots, des onglets, des bois morts, des mousses, des galles, de vieilles gommes cariant les arbres de fruit à noyau, des chancres, de vieilles plaies non recouvertes & desséchées, des faux bois, des branches chifonnes, à quoi ajoutez les coupes défectueuses ?

Le plus grand nombre des jardiniers est tellement accoutumé à voir toutes ces choses, qu’ils ne les apperçoivent point, & le commun des hommes qui ne s’y connoît pas, n’y prend point garde. Mais pour donner une idée de toutes ces choses, qui sont la source de la ruine & de l’infécondité des arbres : voici en abregé ce qu’elles sont.

Chicots. On appelle ainsi les restes des branches, soit mortes, soit vivantes, qui au lieu d’être coupées près de l’écorce, ont été laissées de la longueur d’un pouce plus ou moins, & jamais la seve ne peut recouvrir ces reliquats de branches, qui en mourant, causent une sorte de gangrene horisontalement à toutes les parties voisines. La figure les représente.

Les argots : assez communément on les confond, & néanmoins ce sont choses fort différentes. Les argots sont un talus en forme de ce qu’on appelle courçons en Jardinage, lesquels au lieu de couper tout près, on laisse aux arbres, par négligence, par inadvertence ou par paresse, ainsi que les précédens, & ils produisent les mêmes effets.

Les onglets. Onglet en terme de Jardinage, est cette partie qui est à l’extrémité de la taille, laquelle au lieu de couper à environ une ligne près de l’œil ou bouton de la branche, on coupe à une ligne, ou une ligne & demi au-dessus. On les appelle onglets, à cause qu’ils imitent la saillie de nos ongles, qui débordent les chairs de nos doigts ; les Jardiniers disent qu’ils les rabattront l’année suivante à la taille ; mais outre qu’ils ne le font point, ce sont deux plaies pour une.

Il est un autre excès, qui est de couper tout rasibus de l’œil pour éviter les onglets : alors on court risque de faire avorter l’œil. Il est un milieu, c’est la coupe faite à environ une demi-ligne, au-dessus de l’œil, comme le prescrit M. de la Quintinie, & la plaie se recouvre promptement. Voici la forme des onglets & celle de la taille faite dans les regles. On les met ici en parallele, afin de pouvoir juger des uns & de l’autre.

Les bois morts. Il ne sont autres que des branches seches, soit grosses, soit petites, soit moyennes, que par inattention, par impéritie ou ignorance, par paresse & de propos délibéré, les Jardiniers laissent sur les arbres durant des tems considérables. Toujours ils doivent les ôter, si on leur en parle, & jamais ne les ôtent. On n’a que faire de s’efforcer de montrer le tort que la présence des bois morts fait aux arbres. Il n’est ici question que de celles qu’il est à-propos de couper, soit d’hiver, soit au printems, & non de certaines grosses branches qui meurent durant l’été. Celles-là on les abat jusqu’à une certaine longueur, & ce qui reste on le couvre au palissage avec quelque rameau verd du voisinage, & lors de l’hiver on les coupe, mais il faut les couper jusqu’au vif, afin que la seve puisse recouvrir la plaie ; & quand ce sont de grosses branches, il faut y appliquer l’emplâtre d’onguent saint fiacre ; savoir de la bouze de vache, ou du terreau gras, ou de la bonne terre qu’on enveloppe avec quelque chifon & de l’osier pour le tenir : par ce moyen la plaie se recouvre promptement, & n’est point sujette à être desséchée par l’air, ni incommodée par les humidités.

Il est nécessaire de dire ici, que tous les onctueux de quelque nature qu’ils soient, ne valent rien pour les arbres ; tels que le vieux-oing, les vieux beures, la cire toute simple ou composée, qu’on applique sur les plaies des orangers & autres semblables. On ne donne ici aucune raison physique ; mais on s’en tient à l’expérience. Mettez sur la plaie d’un oranger ou de tout autre arbre, de la cire ou des autres onctueux usités pour empêcher les chenilles & les fourmis d’y monter. Mettez également de la bouze de vache sur une plaie du même arbre, laquelle sera semblable en tout à l’autre ; la premiere est communément 3 ans à cicatriser pleinement, & souvent 4, 5, & 6, au lieu que la derniere n’est qu’un an ou deux au plus.

Il n’est pas nécessaire de dire ici qu’il faut scier ces bois morts, & qu’après avoir scié, on doit unir avec la serpette, non pas parce que suivant le dire des Jardiniers, la scie brûle ; mais pour ôter les petites esquiles que la scie produit, & que la seve ne pourroit recouvrir.

Les mousses. L’enlévement des mousses appartient à la taille des arbres, comme les précédens, & en est un préliminaire. La soustraction de ces plantes parasites est absolument nécessaire pour la santé des arbres. Ce sont des plantes vivantes dont les petites