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sevrez tout arbre de ses gourmands, dès-lors il languit, & la tige ne grossit plus : au contraire quand vous faites des gourmands le fondement de votre taille, la tige profite à vue d’œil, & vous avez des arbres d’une étendue colossale, & des fruits à l’infini.

Mais comment faut-il tailler les gourmands ? en quelle quantité doit-on les laisser ? & dans quels emplacemens sur les arbres ? On doit les tailler toujours fort longs, conformément à la vigueur de l’arbre. Il faut les espacer dans l’arbre, & lui en laisser de distance en distance pour servir de branches meres, d’où dérivent toutes les autres. Ils doivent faire la base des arbres. Dans un arbre fort, on doit laisser sur la totalité des branches environ une demi-douzaine de gourmands. Toujours ménager à chaque côté de tout arbre en espalier des gourmands aux côtés, pour alonger l’arbre dessus.

Moyens, pratiques & secrets pour faire des gourmands des branches fructueuses. Il faut considérer les gourmands à la pousse durant la belle saison, & à la taille d’hiver & du printems. Comme le gouvernement des gourmands à la pousse regarde l’ébourgeonnement, je ne dis qu’un mot, savoir qu’alors il ne faut laisser que ceux qui étant bien placés pour la taille prochaine, pourront rester en place, ou bien on ravale alors quelques-uns d’eux pour leur faire pousser deux ou trois branches latérales, qui porteront fruit l’année suivante dans les arbres à noyau, & qui dans les arbres à pepins donnent force lambourdes. Le vrai moyen de ne point avoir de gourmands, ce n’est pas de les supprimer (car plus on les extirpe & plus on en a), c’est de les laisser autant que l’arbre en peut souffrir en les taillant prodigieusement longs, sur-tout aux extrémités des côtés : puis quand l’arbre est sage, comme disent les gens de Montreuil, on ravale ces branches si alongées dans le tems, & on les taille plus courtes.

Il s’agit d’exposer ici la façon de tailler les arbres de tout âge, depuis la plantation jusques dans leur âge le plus avancé. Ceci est un corollaire de ce qui vient d’être dit au sujet des gourmands.

Taille des arbres du premier âge sur la pousse de la premiere année. Ne jamais laisser aucunes branches verticales perpendiculaires au tronc & à la tige ; mais supprimer le canal direct de la seve, en faisant prendre à tout arbre quelconque la forme d’un ⋁ déversé. Les gens de Montreuil pratiquent ce point fort scrupuleusement depuis plus de cent ans, & jusqu’ici se sont cachés. Il faut nécessairement diviser & partager la seve ; & toutes les fois qu’elle monte verticalement & en ligne droite, elle se porte vers le haut par irruption, abandonnant les branches latérales, tandis que les branches verticales surpassent souvent la tige en grosseur. Or la seve ne se portant qu’obliquement, est distribuée par égalité proportionnelle, se cuit, se digere, s’affine & séjourne : alors tout profite également, & un arbre est fécond en 2, 3, 4 & 5 années, au lieu que tout le contraire arrive quand on laisse des branches verticales. Une expérience de cent ans, & de la part de gens qui font leur profession & leur commerce de fruits, est un grand préjugé en faveur d’une telle méthode.

Sur ces deux branches meres, taillées comme il vient d’être dit en ⋁ déversé, on taille, suivant la vigueur de l’arbre, à 2, 3, 4, 5 ou 6 yeux ; & dans le cas où l’arbre a poussé une branche plus forte d’un côté que de l’autre, on taille fort longue la plus forte, & on tient très-courte la plus foible, qui, comme il a été dit, rattrape la plus forte, qu’on a beaucoup chargée pour la réduire.

A tout arbre que ce puisse être, lors de la pousse de la premiere année, on supprime, outre les branches verticales qui pousseroient, toutes les branches chiffonnes & celles de faux bois. On ne met ces der-

nieres à fruit par le cassement, ainsi qu’il a été dit,

que lorsque l’arbre est plus avancé en âge.

Taille de la seconde année. A cette taille de 2, 3, 4 ou 5 yeux qu’on a laissés sur chaque branche formant l’⋁ déversé, ont poussé autant de branches ; & à la seconde taille, au lieu de ravaler, comme font tous les Jardiniers, sur la branche d’en bas, en la taillant à 2 ou 3 yeux, ont laissé une ou deux branches, qu’on taille en branches crochets à 3 ou 4 yeux, puis on en ôte une après, en la coupant rase écorce, & ensuite on alonge fortement, suivant la vigueur de l’arbre, celle des extrémités. C’est ainsi qu’on se comporte envers chacune des branches meres formant l’⋁ déversé. Les gens de Montreuil ont observé qu’en suivant la méthode ordinaire & ravalant sur celle d’en bas, l’arbre fait tous les ans, à pure perte, la pousse de 4 ou 5 branches, & ou ne produit que fort tard, ou est épuisé dès son jeune âge. Ils ont jugé à-propos de conserver à la seve ses agens & ses réservoirs qui sont ses branches. La figure démontrera ce que l’on avance.

Rien de plus juste à cet égard que la comparaison que font les gens de Montreuil des arbres à plein-vent, qu’on ne taille point, ni qu’on n’ébourgeonne jamais, avec nos arbres d’espaliers & nos buissons, & qui cependant profitent bien autrement.

Ils font encore une réflexion non moins sensée sur nos arbres d’espaliers. On leur ôte, disent-ils, toutes les branches du devant & celles du derriere, & par conséquent ils ne forment plus que des demi-arbres, ayant seulement des branches de côté ; par conséquent, pour les dédommager de tant de soustractions, il faut les alonger d’autant plus, & les charger à-proportion qu’on leur ôte davantage. De plus, disent-ils encore, les arbres d’espaliers sont abriés, fumés & soignés, & par conséquent ont plus le moyen & la faculté de nourrir leurs pousses que ceux-là qui sont abandonnés à la nature, & qui sont privés de tous ses secours. Ces réflexions sont de bon sens.

Comment doit-on se comporter pour la taille envers les arbres soit à pepin, soit à noyau, qui ne poussent que des brindilles & des lambourdes ? Mauvais signe pour un arbre, les raisons seroient trop longues à déduire ; mais il faut les jetter à bas dans le plus grand nombre, & tailler celles qu’on conserve à un ou deux yeux seulement pour leur faire pousser du bois. C’est un axiome de jardinage, que toujours on a du fruit & des arbres quand on a du bois ; mais qu’il est impossible d’avoir fruit & arbre, quand on n’a point de bois à ses arbres, il faut que dans peu ils périssent.

Quand il y a trop de brindilles & de boutons à fruit sur un arbre de quelqu’âge qu’il soit, comment le tailler ? Il faut en ôter une partie, sur-tout quand on voit que les boutons à fruit s’alongent tous les ans sans jamais fleurir. C’est ainsi qu’en le déchargeant d’une partie de ses boutons usés & où la seve ne coule plus, on force cette seve à produire & des branches à bois, & de rendre fructueux les boutons qui restent. Il n’est point d’ordinaire d’autre moyen de renouveller de tels arbres, qu’en les taillant sur ce qu’on appelle le vieux bois, ou les pousses des années précédentes.

Taille des arbres formés. Durant les 3, 4, 5 & 6 années depuis qu’on a planté, on continue de conduire les arbres de la façon dont il a été parlé, savoir la conservation & l’usage des branches obliques & latérales seulement & la soustraction de toutes les verticales, l’emploi des gourmands quand ils sont bien placés, sur-tout aux extrémités des côtés, en les tirant beaucoup & les alongeant, en laissant toujours grand nombre de branches crochets ou de côté pour