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les réflexions sur la nature de la chose sont importantes.

Les états généraux de France, dit M. de Voltaire, ou plutôt la partie de la France qui combattoit pour son roi Charles VII. contre l’usurpateur Henri V. accorda généreusement à son maître une taille générale en 1426, dans le fort de la guerre, dans la disette, dans le tems même où l’on craignoit de laisser les terres sans culture. Les rois auparavant vivoient de leurs domaines, mais il ne restoit presque plus de domaines à Charles VII. & sans les braves guerriers qui se sacrifierent pour lui & pour la patrie, sans le connétable de Richemont qui le maîtrisoit, mais qui le servoit à ses dépens, il étoit perdu.

Bientôt après les cultivateurs qui avoient payé auparavant des tailles à leurs seigneurs dont ils avoient été serfs, payerent ce tribut au roi seul dont ils furent sujets. Ce n’est pas que, suivant plusieurs auteurs, les peuples n’eussent payé une taille dès le tems de saint Louis, mais ils le firent pour se délivrer des gens de guerre, & ils ne la payerent que pendant un tems ; au-lieu que depuis Charles VII. la taille devint perpétuelle, elle fut substituée au profit apparent que le roi faisoit dans le changement des monnoies.

Louis XI. augmenta les tailles de trois millions, & leva pendant vingt ans quatre millions sept cens mille livres par an, ce qui pouvoit faire environ vingt trois millions d’aujourd’hui, au-lieu que Charles VII. n’avoit jamais levé par an que dix huit cens mille livres.

Les guerres sous Louis XII. & François I. augmenterent les tailles, mais plusieurs habitans de la campagne ne pouvant les payer, vinrent se réfugier à Paris, ce qui fut la cause de son accroissement & du dommage des terres.

Ce fut bien pis sous Henri III. en 1581, car les tailles avoient augmenté depuis le dernier regne d’environ vingt millions.

En 1683 les tailles montoient à trente-cinq millions de livres, ou douze cens quatre-vingt-seize mille deux cens quatre-vingt-seize marcs d’argent, ce qui fait sept pour cent de la masse de l’argent qui existoit alors. Aujourd’hui, c’est-à-dire avant les guerres de 1754, les recettes générales de la taille & de la capitation, étoient estimées à soixante & douze millions de livres, ou quatorze cens quarante mille marcs d’argent, ce qui fait environ six pour cent de la masse de l’argent. Il paroît d’abord que la charge des campagnes de France est moins pesante qu’alors, proportionnellement à nos richesses ; mais il faut observer que la consommation est beaucoup moindre, qu’il y a beaucoup moins de bestiaux dans les campagnes, & que le froment vaut moins de moitié ; au-lieu qu’il auroit dû augmenter de moitié. Mais passons à quelques réflexions sur l’impôt en lui-même ; je les tirerai de nos écrivains sur cette matiere.

M. de Sully regardoit l’impôt de la taille comme violent & vicieux de sa nature, principalement dans les endroits où la taille n’est pas réelle. Une expérience constante lui avoit prouvé qu’il nuit à la perception de tous les autres subsides, & que les campagnes avoient toujours dépéri à mesure que les tailles s’étoient accrues. En effet, dès qu’il y entre de l’arbitraire, le laboureur est privé de l’espérance d’une propriété, il se décourage ; loin d’augmenter sa culture il la néglige pour peu que le fardeau s’appesantisse. Les choses sont réduites à ce point parmi les taillables de l’ordre du peuple, que celui qui s’enrichit n’ose consommer, & dès-lors il prive les terres du produit naturel qu’il voudroit leur fournir jusqu’à ce qu’il soit devenu assez riche pour ne rien payer du-tout. Cet étrange paradoxe est parmi nous une vérité que les privileges ont rendu commune.

L’abus des privileges est ancien ; sans cesse attaqué, quelquefois anéanti, toujours ressuscité peu de tems après, il aura une durée égale à celle des besoins attachés au maintien d’un grand état, au desir naturel de se soustraire aux contributions, & plus encore aux gênes & à l’avilissement. Les privileges sont donc onéreux à l’état, mais l’expérience de tant de siecles devroit prouver qu’ils sont enfantés par le vice de l’impôt, & qu’ils sont faits pour marcher ensemble.

Un premier président de la cour des aides, M. Chevalier, a autrefois proposé de rendre la taille réelle sur les biens. Par cette réforme le laboureur eût été véritablement soulagé ; ce nombre énorme d’élus & officiers qui vivent à ses dépens devenoit inutile ; les frais des exécutions étoient épargnés ; enfin le roi étoit plus ponctuellement payé. Malgré tant d’avantages, l’avis n’eut que trois voix. Ce fait est facile à expliquer ; l’assemblée étoit composée d’ecclésiastiques, de gentilshommes, de gens de robe, tous riches propriétaires de terres, & qui n’en connoissant pas le véritable intérêt, craignirent de se trouver garants de l’imposition du laboureur, comme si cette imposition leur étoit étrangere. N’est-ce pas en déduction du prix de la ferme, & de la solidité des fermiers, que se payent les contributions arbitraires ? La consommation des cultivateurs à leur aise ne retourneroit-elle pas immédiatement au propriétaire des terres ? Ce que la rigueur de l’impôt & la misere du cultivateur font perdre à la culture, n’est-il pas une perte réelle & irréparable sur leur propriété ?

Les simples lumieres de la raison naturelle développent d’ailleurs les avantages de cette taille réelle, & il suffit d’avoir des entrailles pour desirer que son établissement fût général, ou du-moins qu’on mit en pratique quelque expédient d’une exécution plus simple & plus courte, pour le soulagement des peuples.

Il y auroit beaucoup de réflexions à faire sur l’imposition de la taille. Est-il rien de plus effrayant, par exemple, que ce droit de suite pendant dix ans sur les taillables qui transportent leur domicile dans une ville franche, où ils payent la capitation, les entrées, les octrois, & autres droits presque équivalens à la taille ? Un malheureux journalier qui ne possede aucun fonds dans une paroisse, qui manque de travail, ne peut aller dans une autre où il trouve de quoi subsister sans payer la taille en deux endroits pendant deux ans, & pendant trois s’il passe dans une troisieme élection. J’entends déjà les gens de loi me dire, que c’est une suite de la loi qui attachoit les serfs à la terre. Je pourrois répondre, que tous les taillables ne sont pas, à beaucoup près, issus de serfs ; mais sans sonder l’obscurité barbare de ces tems-là, il s’agit de savoir si l’usage est bon ou mauvais, & non pas de connoître son origine. Les rois trouverent avantageux pour eux & pour leur état d’abolir les servitudes, & comme l’expérience a justifié leur sage politique, il ne faut plus raisonner d’après les principes de servitude. (D. J.)

Taille, s. f. terme de Chirurgie, c’est l’opération de la lithotomie, par laquelle on tire la pierre de la vessie. Voyez Calcul.

Cette opération est une des plus anciennes de la Chirurgie ; on voit par le serment d’Hippocrate qu’on la pratiquoit de son tems, mais on ignore absolument la maniere dont elle se faisoit. Aucun auteur n’en a parlé depuis lui jusqu’à Celse, qui donne une description exacte de cette opération. L’usage s’en perdit dans les siecles suivans ; & au commencement du seizieme, il n’y avoit personne qui osât la pratiquer, du-moins sur les grands sujets. Les vestiges que l’ancienne Chirurgie a laissés de l’opération de la taille ne sont que les traces d’une timidité igno-