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dessechée dans les réseaux de la peau, dont la petite extrémité qui regarde le jour, est sale & crasseuse par la poudre qui sans cesse vole dessus, & en est retenue par la matiere gluante de la tanne même. Il doit paroître plus de tannes sur le nez & sur le menton qu’aux autres endroits du visage, à cause de leur plus grand nombre de follicules sébacées.

C’est donc sans fondement qu’on a pris les tannes pour des vers, mais je crois plus, c’est que très souvent on s’est trompé, quand on a cru, par des incisions, avoir tiré des vers du nez, des sourcils & des différentes parties du visage. En effet, sans vouloir nier qu’effectivement il se trouve quelquefois des vers dans le nez, dans les sourcils & dans d’autres parties extérieures du corps humain, il est constant qu’on se fait très-souvent illusion sur cet article, & que ce que l’on prend pour des vers, n’est communément que du pus épaissi. Lorsqu’un bouton a suppuré sans qu’on en ait fait sortir la matiere, elle s’y fige, & devient de la consistance d’une pâte. Le bouton reste ouvert, & le pus qui le remplit paroît sur cette ouverture comme une tache brune, parce que l’air en a séché & durci le dessus ; c’est cette tache que l’on prend pour la tête d’un ver, il faut le faire sortir. On presse le bouton ; le pus en sortant par l’ouverture du bouton, prend une forme cylindrique, c’est le ver qui sort la tête la premiere. La pression n’étant pas de tous côtés égale, ce pus ne sort pas par-tout en égale quantité, cela fait qu’il se recoquille en divers sens, & voilà le ver qui sort vivant, & qui fait des contorsions. En faut-il davantage pour établir une opinion populaire ? On n’auroit cependant qu’à toucher ce prétendu ver, pour se convaincre qu’il n’étoit rien moins que ce qu’on le croyoit, & c’est ce dont on ne s’avise pas.

Mais les dames seront plus curieuses d’un bon remede contre les tannes, que de toute notre physiologie, il faut bien les satisfaire. Le fiel de bœuf dégagé de sa partie terreuse & grasse, de la maniere que M. Homberg l’enseigne dans les Mém. de l’acad. des Sciences, année 1709. p. 360. sera ce remede qu’il convient d’employer de la maniere suivante.

Prenez une drachme & demie de la liqueur rouge & clarifiée du fiel de bœuf, après qu’elle aura été deux ou trois mois exposée au soleil en été, & autant d’huile de tartre par défaillance ; ajoutez-y une once d’eau de riviere ; mêlez-les bien ensemble, & tenez-les dans une phiole bien bouchée ; il ne faut pas faire beaucoup de ce mélange à-la-fois, parce qu’il ne se conserve pas long-tems. Pour s’en servir, l’on mouille un doigt dans ce mélange, on en tappe l’endroit où sont les tannes, on le laisse sécher, & on en remet ; l’on fait cela sept à huit fois par jour, jusqu’à ce que l’endroit étant sec, commence à devenir rouge, alors on cesse d’en mettre ; on sentira une très-légere cuisson, ou plutôt une espece de chatouillement, & la peau se fera un peu farineuse pendant un jour ou deux ; la farine étant tombée, les tannes seront effacées pendant cinq ou six mois de tems ; ensuite il faudra recommencer le même remede : si après sa premiere application, c’est-à-dire, la farine étant tombée, les tannes n’étoient pas tout-à-fait effacées, il en faudroit appliquer deux fois de suite.

Ce remede du fiel de bœuf étant une espece de lessive, elle entre peu-à-peu dans les pores, où elle détrempe & dissout entierement la tanne. Et comme dans cet état la tanne occupe beaucoup plus de place qu’elle ne faisoit auparavant, la plus grande partie de sa substance sort de son creux, & s’en va en farine ; il faut un tems assez considérable pour remplir de nouveau ces creux. (Le chevalier de Jaucourt.)

Tannes, s. f. pl. (Mégiss.) petites marques qui restent sur les peaux des bêtes fauves, même apprêtées : ce sont les marques des insectes qui les ont piquées. (D. J.)

TANNÉ, participe du verbe tanner. Voyez Tanner.

Tanné, s. m. (terme de Tanneur.) c’est du tan mêlé de chaux, tel qu’on le retire des fosses lorsqu’on les vuide, & qui a servi à préparer les cuirs. Le tanné n’est pas perdu, pour avoir servi ; on en fait des mottes à brûler.

Tanné, en termes de Blason, se dit d’une couleur brillante, faite de rouge & de jaune mêlés ensemble. Les Graveurs l’expriment par des lignes diagonales, qui partent du chef senestre, comme le pourpre dont ils distinguent cette couleur par un T. Voyez Pourpre.

Dans les cottes d’armes de tous ceux qui en Angleterre sont au-dessous du degré des nobles, cette couleur s’appelle tanne, dans celles des nobles hyacinthe, & dans celles des princes, tête ou sang de dragon.

Tannée couleur, (Teinturerie.) sorte de couleur qui ressemble à celle du tan ou de la chataigne, & qui tire sur le roux obscur. Une étoffe tannée, un drap tanné sont une étoffe, un drap de cette couleur. (D. J.)

Tannée fleurs de la, (Botan.) les ouvriers employés au tan ont donné le nom de fleurs de la tannée à plusieurs touffes d’une espece de gazon de belle couleur jaune matte, dispersées en differens endroits sur le haut des monceaux de tan qui ont servi plusieurs mois à tanner & couvrir des cuirs de bœufs, qu’on range par lits l’un sur l’autre dans des fosses faites à cet usage ; ensuite de quoi ce tan retiré des mêmes fosses est mis en gros tas.

Ce tan, après avoir servi, est alors appellé par les ouvriers de la tannée, & cette matiere ne sert plus qu’à faire des mottes, dont on sait que les pauvres se servent, faute de bois, pendant l’hiver.

Les touffes en maniere de gazon dont on vient de parler, sont donc la végétation connue chez les Tanneurs sous le nom de fleurs de la tannée. Cette végétation sort de la substance de la tannée en une espece d’écume, qui peu-à-peu s’épaissit en consistance de pâte molle, de couleur jaune-citron, & de l’épaisseur de six à huit lignes.

A mesure que cette plante végete, sa surface devient porreuse & spongieuse, bouillonnée, remplie d’une infinité de petits trous de différent diametre, dont les interstices forment une espece de rézeau plus ou moins régulier, & souvent interrompu par des bouillons qui s’élevent un peu au-dessus de la superficie de cette matiere ; quand elle est à son dernier point d’accroissement, elle a plus de rapport à la surface d’une éponge plate & fine, qu’à toute autre végétation. Sa couleur augmente toujours jusqu’au jaune doré, & alors elle devient un peu plus solide en se desséchant en l’air.

On n’apperçoit dans la matrice de cette végétation aucunes fibres qu’on puisse soupçonner être ou faire les fonctions de racine pour la production de cette végétation qui a d’abord une légere odeur de bois pourri, laquelle augmente par la suite. Sa saveur a quelque chose du stiptique.

La tannée sur laquelle elle croît, est alors de couleur brune, dure, foulée & plombée, quoique fort humide, & dans l’instant de cette production, la tannée a une chaleur aussi considérable depuis sa surface jusqu’à un demi-pié de profondeur, que si elle avoit été récemment abreuvée d’eau tiede.

Pendant le premier jour de la naissance de la végétation, elle paroît fort agréable à la vue, légere, & comme fleurie, lorsque les portions de gazon qu’elle