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ment sur le corps & sur l’ame. Une harmonie vive excite dans l’ame des mouvemens violens de joie & de plaisir, qui sont toujours accompagnés d’un pouls plus fréquent & plus fort, c’est-à-dire, d’un abord plus abondant du fluide nerveux dans les muscles ; ce qui est aussi-tôt suivi des actions conformes à la nature des parties.

Quant au corps, puisqu’il suffit pour mettre les muscles en action, de causer aux nerfs ces trémoussemens qui déterminent leur fluide à couler alternativement dans les fibres motrices, c’est tout un que cela se fasse par la détermination de la volonté, ou par les impressions extérieures d’un fluide élastique.

Ce fluide élastique, c’est l’air. Or, on convient que les sons consistent en des vibrations de l’air : c’est pourquoi étant proportionnés à la disposition du malade, ils peuvent aussi réellement ébranler les nerfs que pourroit faire la volonté, & produire par conséquent des effets semblables.

L’utilité de la musique pour les personnes mordues de la tarentule, ne consiste pas seulement en ce que la musique les fait danser, & leur fait ainsi évacuer par la sueur une grande partie du venin ; mais outre cela, les vibrations réitérées de l’air que cause la musique, ébranlant par un contact immédiat les fibres contractiles des membranes du corps, & spécialement celles de l’oreille, qui étant contiguës au cerveau, communiquent leurs trémoussemens aux membranes & aux vaisseaux de ce viscere ; il arrive que ces secousses & ces vibrations continuées détruisent entierement la cohésion des parties du sang, & en empêchent la coagulation ; tellement que le venin étant évacué par les sueurs, & la coagulation du sang étant empêchée par la contraction des fibres musculaires, le malade se trouve guéri.

Si quelqu’un doute de cette force de l’air, il n’a qu’à considérer, qu’il est démontré dans le méchanisme, que le plus léger mouvement du plus petit corps peut surmonter la résistance du plus grand poids qui est en repos ; & que le foible trémoussement de l’air, que produit le son d’un tambour, peut ébranler les plus grands édifices.

Mais outre cela, on doit avoir beaucoup d’égard à la force déterminée, & à la modulation particuliere des trémoussemens de l’air ; car les corps capables de se contracter, peuvent être mis en action par un certain degré de mouvement de l’air qui les environne ; tandis qu’un plus grand degré de mouvement, différemment modifié, ne produira aucun effet semblable. Cela ne paroît pas seulement dans deux instrumens à cordes, montés au même ton ; mais encore dans l’adresse qu’ont certaines gens de trouver le ton particulier qui est propre à une bouteille de verre, & en réglant exactement leur voix sur ce ton, la poussant néanmoins avec force & longtems, de faire d’abord trembler la bouteille, & ensuite de la casser, sans cependant la toucher ; ce qui n’arriveroit pas, si la voix étoit trop haute, ou trop basse. Voyez Son.

Cela fait concevoir aisément, pourquoi les différentes personnes infectées du venin de la tarentule, demandent différens airs de musique pour leur guérison ; d’autant que les nerfs & les membranes distractiles ont des tensions différentes, & par conséquent ne peuvent toutes être mises en action par les mêmes vibrations de l’air.

Je n’ajouterai que quelques réflexions sur ce grand article. Il est assez singulier que ce soit dans la musique qu’on ait cru trouver le remede du tarantisme ; mais les dépenses d’esprit qu’ont fait quelques physiciens pour expliquer les effets de la musique dans cette maladie, me semblent encore plus étranges : si vous en croyez M. Geoffroy, par exemple, la raison de

la privation de mouvement & de connoissance, vient de ce que le venin de la tarentule cause aux nerfs une tension plus grande que celle qui leur est naturelle. Il suppose ensuite, que cette tension, égale à celle de quelques cordes d’instrument, met les nerfs à l’unisson d’un certain ton, & les oblige à frémir, dès qu’ils sont ébranlés par les ondulations propres à ce ton particulier ; enfin il établit que le mouvement rendu aux nerfs par un certain mode, y rappelle les esprits qui les avoient presque entierement abandonnés, d’où il fait dériver cette cure musicale si surprenante. Pour moi je ne trouve qu’un roman dans toute cette explication.

D’abord elle suppose une tension extraordinaire de nerfs qui les met à l’unisson avec la corde d’un instrument. Si cela est, il faut que les membres du malade soient roides & dans la contraction, selon l’action égale ou inégale des muscles antagonistes : or l’on ne nous représente pas les malades dans un état de roideur pareille. D’ailleurs, si c’est par l’effet de l’unisson ou de l’accord qu’il y a entre le ton de l’instrument & les nerfs du malade qu’ils reprennent leurs mouvemens ; ils semble qu’il s’agiroit de monter l’instrument sur le ton qui le met en accords avec ces nerfs, & c’est néanmoins ce dont le musicien ne se met pas en peine. Il paroît bien étrange que tant de nerfs de différente grosseur & longueur puissent sans dessein, se trouver tendus de maniere à former des accords ; ou ce qui seroit encore plus singulier, & même en quelque sorte impossible, à être à l’unisson avec le ton de l’instrument dont on joue. Enfin, si les esprits ont presqu’entierement abandonné ces nerfs, comme le suppose encore M. Geoffroy, je ne conçois pas comment il peut en même tems supposer que ces nerfs soient tendus au-delà du naturel, puisque suivant l’opinion la plus généralement reçue, ce sont les esprits, qui par leur influence tendent les nerfs.

Je pourrois opposer à l’hypothèse de M. Méad de semblables difficultés, mais j’en ai une bien plus grande qui m’arrête, c’est la vérité des faits dont je voudrois m’assurer auparavant que d’en lire l’explication. MM. Geoffroy, Méad, Grube, Schuchzer & autres, n’ont parle de la tarentule, que sur le témoignage de Baglivi qui n’exerçoit pas la médecine à Tarente ; par conséquent l’autorité de ce médecin n’est pas d’un grand poids, & ses récits sont fort suspects, pour ne rien dire de plus. D’abord une araignée qui par une petite piquûre semblable à celle d’une fourmi, cause la mort malgré tous les remedes, excepté celui de la musique, est une chose incroyable. Une araignée commune en plusieurs endroits de l’Italie, & qui n’est dangereuse que dans la Pouille, seulement dans les plaines de ce pays, & seulement dans la canicule, saison de son accouplement, où pour lors elle se jette sur tout ce qu’elle rencontre ; une telle araignée, dis-je, est un insecte unique dans le monde ! on raconte qu’elle transmet son venin par ses cornes, qui sont dans un mouvement continuel, nouvelle singularité ! on ajoute pour completter le roman, que les personnes qui sont mordues de cette araignée, éprouvent une aversion pour les couleurs noire & bleue, & une affection pour les couleurs blanche, rouge & verte. Il me prend fantaisie de simplifier toutes ces fables, comme on fait en Mythologie ; & voici ce que je pense.

La plûpart des hommes ont pour les araignées une aversion naturelle ; celles de la Pouille peuvent mériter cette aversion, & être réellement venimeuses. Les habitans du pays les craignent beaucoup ; ils sont secs, sanguins, voluptueux, ivrognes, impatiens, faciles à émouvoir, d’une imagination vive, & ont les nerfs d’une grande irritabilité ; le délire