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lande, la tourbe est presque l’unique chauffage qu’on y connoisse, & les habitans sont forcés de diminuer continuellement le terrein qu’ils occupent pour se le procurer. La tourbe en brûlant répand une odeur incommode pour les étrangers qui n’y sont point accoutumés ; mais cet inconvénient est compensé par la chaleur douce que donne cette substance, qui n’a point l’âpreté du feu de bois ni du charbon de terre.

La tourbe n’est point par-tout d’une si bonne qualité ; les plantes qui la composent ne sont point si parfaitement détruites & changées en terre ; alors, comme nous l’avons déjà observé, la tourbe est plus légere, elle est d’une couleur brune ou jaunâtre, & elle ne conserve point le feu si long-tems. De cette espece est sur-tout la tourbe qui se trouve dans un canton du Brabant hollandois, voisin de la Gueldre prussienne & autrichienne, que l’on nomme Peeland ; son nom lui vient d’un terrein d’une étendue très considérable, appellé Peel, qui est entierement composé de tourbe, c’est-à-dire de débris de végétaux, de feuilles, de plantes, détruites & devenues compactes. Un phénomene singulier que présente ce grand marais, c’est qu’on trouve au-dessous de la tourbe une grande quantité d’arbres, & sur-tout de sapins, ensevelis quelquefois à une très-grande profondeur, & cependant très-bien consérvés ; ces arbres sont tous couchés vers le sud-est, ce qui semble prouver que c’est un vent de nord-ouest qui les a renversés, & qui a causé la révolution & le déluge de sable dont tout ce pays a été inondé. En effet, tout ce canton, qui est couvert de bruyeres, est entierement sablonneux, sans aucun mélange de bonne terre ou de terreau ; il y a de certains endroits où lorsqu’on creuse à deux ou trois piés, on trouve au-dessous du sable une couche ou une espece de plancher très-dur & très-compacte, qui n’est absolument qu’un amas de feuilles d’arbres & de plantes à moitié pourries, pressées les unes sur les autres, dont l’odeur est insupportable. Quand cette substance ou cette tourbe à demi formée a été exposée à l’air pendant quelque tems, elle se partage en feuillets, & l’on distingue très-aisément que cette couche qui formoit une espece de plancher épais sous le sable n’est qu’un amas immense de feuilles entassées & qui ont pris corps. Ce phénomene prouve d’une façon très-décisive l’origine de la tourbe, & fait voir qu’elle doit sa naissance à des végétaux pourris & changés en terre.

Le tom. V I. pag. 441. du magasin d’Hambourg, donne une description fort curieuse d’une tourbe qui se trouve à Langensaltza en Thuringe. Lorsqu’on creuse le terrein dans cet endroit, on trouve immédiatement au-dessous de la terre végétale une espece de tuf qui semble composé d’un amas de tuyaux ; quelquefois ce tuf est précédé de quelques lits d’un sable mêlé de coquilles de riviere. Ensuite on rencontre un banc d’un tuf plus compacte & qui fait une pierre propre à bâtir. Ce banc est suivi d’un tuf moins serré, quelquefois de sable, & ensuite d’un autre banc de pierre compacte ; mais dans de certains endroits il se trouve un intervalle vuide entre les deux bancs de pierre. Lorsqu’on perce ce second banc de pierre, on trouve ou un tuf poreux, ou un sable jaunâtre, après quoi on rencontre une couche de tourbe, qui est suivie de nouveau d’un sable jaunâtre, & enfin d’une argille grise dont on peut se servir pour fouler les étoffes. Les deux bancs de pierre ne sont point par-tout de la même épaisseur ; pris ensemble ils sont tantôt de 6, tantôt de 12 piés. La couche de tourbe est d’un, deux, ou tout-au-plus de trois piés d’épaisseur ; on voit distinctement qu’elle est formée d’un amas d’écorces d’arbres, de bois, de feuilles pourries, & parsemées de petites coquilles de rivie-

re & de jardin. Il y a des endroits où l’on trouve

des arbres entiers enfouis dans la tourbe ; on prétend même qu’il s’y est quelquefois trouvé des troncs d’arbres coupés, sur lesquels on voyoit encore les coups de la coignée, & l’on s’apperçoit aisément que le tuf fistuleux qui étoit au-dessus de la tourbe, n’avoit été originairement qu’un amas de joncs, de roseaux, de prêles, & de plantes semblables, qui croissent dans les endroits marécageux, dont cependant il ne se trouvoit plus aucuns vestiges. M. Schober, à qui ces observations sont dûes, remarque comme une chose singuliere, que dans ce canton, dans tout l’espace qu’occupent les couches qui ont été décrites, on ne rencontre pas le moindre vestige de corps marins ; mais dans la couche de glaise qui est au-dessous des précédentes, on trouve une grande quantité d’empreintes de coquilles de mer. Quant aux coquilles que l’on voit dans le tuf & dans la tourbe, il est aisé de s’appercevoir que ce sont des coquillages terrestres & de riviere. On a rencontré dans la pierre compacte ou dans le tuf qui couvre cette tourbe, des épis de blé, des noyaux de prunes ; & même depuis quelques années, l’auteur dit qu’on y a trouvé la tête d’un homme. On y a pareillement rencontré des dents, des mâchoires, & des ossemens d’animaux d’une grandeur prodigieuse. On a cru devoir rapporter tout ce détail, parce qu’il est très curieux pour les naturalistes, qui pourront voir par-là la formation de la tourbe, aussi-bien que celle du tuf qui l’accompagne. Voyez Tuf.

Les Mémoires de l’académie royale de Suede, de l’année 1745, parlent d’une espece de tourbe qui se trouve dans la province de Westmanie, près des mines de Bresioc, dans le territoire de Hiulsoe : on s’en sert avec grand succès dans les forges des environs où l’on forge du fer en barres, ce qui épargne beaucoup de bois. Cette tourbe a cela de particulier, qu’en brûlant elle se réduit en une cendre blanche & légere comme de la poudre à poudrer les cheveux, tandis que pour l’ordinaire la tourbe donne une cendre jaunâtre : près de la surface de la terre cette tourbe est spongieuse & légere, comme cela se trouve par-tout où l’on tire de la tourbe ; mais plus on enfonce, plus elle est pesante & compacte, & l’on peut en enlever huit, neuf, & même onze bêches les unes au-dessus des autres avant de parvenir au fond : on y rencontre quelquefois des racines de sapin, & même il est arrivé une fois de trouver dans cette tourbiere la charpente entiere d’une grange, qui paroit y avoir été enfouie par quelque inondation. Cette espece de tourbe en séchant au soleil se couvre d’un enduit ou d’une moisissure blanche comme si on l’avoit saupoudrée de sel. Toute la tourbe que l’on trouve dans cet endroit ne donne point une cendre blanche ; il y en a d’autre qui se réduit en une cendre jaunâtre, cela vient des plantes plus grossieres dont elle est composée ; aussi y remarque-t-on distinctement une grande quantité de racines, de feuilles, de joncs, de roseaux, &c. Lorsqu’elles ont été brûlées, ces substances donnent une cendre quelquefois aussi jaune que de l’ochre. M. Hesselius, auteur du mémoire dont ces détails sont tirés, dit que la même tourbe qui donne une cendre si blanche, peut aussi donner une couleur noire, qui peut s’employer comme le noir-de-fumée, & qui est propre à servir dans la peinture, parce qu’elle s’incorpore très-bien avec l’huile. Lorsque cette tourbe est bien allumée, & que l’on a lieu de croire que le feu l’a entierement pénétrée, on l’éteint subitement dans de l’eau ; après en avoir séparé la cendre blanche on peut l’écraser sur du marbre, & s’en servir ensuite pour peindre. Voyez les Mémoires de l’académie royale de Suede, tom. VII. année 1745.

On voit par ce qui précede, que la tourbe peut être d’une très-grande utilité ; & dans les pays où le