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Or comment cela se peut-il concevoir ? Il faudroit dire que différens tourbillons pussent s’entrelacer & se croiser ; ce qui ne sauroit se soutenir.

2°. En accordant que différens tourbillons sont contenus dans le même espace, qu’ils se pénetrent l’un l’autre, & qu’ils font leur révolution avec des mouvemens différens ; puisque ces mouvemens doivent être conformes à ceux des corps célestes qui sont parfaitement réguliers, & qui se font dans des sections coniques ; on peut demander comment ils auroient pû se conserver si long-tems sans aucune altération, sans aucun trouble par les chocs & les actions contraires de la matiere qu’ils ont perpétuellement rencontrée.

3°. Le nombre des cometes est fort grand, & leur mouvement parfaitement régulier ; elles observent les mêmes lois que les planetes, & elles se meuvent dans des orbites elliptiques qui sont excessivement excentriques : ainsi elles parcourent les cieux dans tous les sens, traversant librement les régions planétaires, & prenant fort souvent un cours opposé à l’ordre des signes ; ce qui seroit impossible, s’il y avoit des tourbillons.

4°. Si les planetes étoient mues autour du soleil dans des tourbillons, nous avons déja observé que les parties des tourbillons voisines des planetes seroient aussi denses que les planetes elles-mêmes ; par conséquent la matiere du tourbillon, contiguë à la circonférence de l’orbite de la terre, seroit aussi dense que la terre même : pareillement la matiere contenue entre les orbites de la Terre & de Saturne seroit moins dense. Car un tourbillon ne sauroit se soutenir, à-moins que les parties les moins denses ne soient au centre, & que les plus denses ne soient à la circonférence ; de plus, puisque les tems périodiques des planetes sont entr’eux comme les racines quarrées des cubes de leurs distances au soleil, les vîtesses du tourbillon doivent être dans ce même rapport ; d’où il suit que les forces centrifuges de ces parties seront réciproquement comme les quarrés des distances. Ainsi les parties qui seront à une plus grande distance du centre, tendront à s’en éloigner avec moins de force ; c’est pourquoi, si elles étoient moins denses, elles devroient céder à la plus grande force, avec laquelle les parties plus voisines du centre tendent à s’élever ; ainsi les plus denses s’éleveroient & les moins denses descendroient ; ce qui occasionneroit un changement de place dans la matiere des tourbillons.

La plus grande partie du tourbillon, hors de l’orbite de la terre, auroit donc un degré de densité aussi considérable que celui de la terre même. Il faudroit donc que les cometes y éprouvassent une fort grande résistance, ce qui est contraire aux phénomenes. Cotes. præf. ad Newt. princip. Voyez Comete, Résistance, &c.

M. Newton observe encore que la doctrine des tourbillons est sujette à un grand nombre d’autres difficultés : car afin qu’une planete décrive des aires proportionnelles aux tems, il faut que les tems périodiques du tourbillon soient en raison doublée des distances au soleil ; & pour que le tems périodique des planetes soit en raison sesquiplée de leurs distances au soleil, il est nécessaire que les tems périodiques des parties du tourbillon soient dans ce même rapport ; & enfin pour que les petits tourbillons autour de Jupiter, de Saturne & des autres planetes puissent se conserver, & nager en toute sûreté dans le tourbillon du soleil ; les tems périodiques des parties du tourbillon du soleil devroient être égaux : aucun de ces rapports n’a lieu dans les révolutions du soleil & des planetes autour de leur axe. Phil. natur. princ. math. schol. gen. à la fin.

Outre cela les planetes dans cette hypothese étant emportées autour du soleil dans des orbites elliptiques, & ayant le soleil au foyer de chaque figure, si

l’on imagine des lignes tirées de ces planetes au soleil, elles décrivent toujours des aires proportionnelles aux tems de leurs révolutions : or M. Newton fait voir que les parties d’un tourbillon ne sauroient produire cet effet. Scol. prop. ult. lib. II. princip.

Le même M. Newton a fait encore d’autres objections contre la formation des tourbillons en elle-même. Si le monde est rempli de tourbillons, ces tourbillons doivent nécessairement former des vuides entr’eux, puisque des corps ronds qui se couchent laissent toujours des vuides. Or les parties d’un fluide & de tout corps qui se meut en rond, tendent sans cesse à s’échapper, & s’échappent en effet dès que rien ne les en empêche. Donc les particules du tourbillon qui répondent à ces vuides, doivent s’échapper & le tourbillon se dissiper. On dira peut-être, & c’est en effet le réfuge de quelques cartésiens, que ces vuides sont remplis de matiere qui s’oppose à la dissipation des particules du tourbillon : mais cette matiere qui n’a point de force par elle-même, ne peut empêcher les particules de s’échapper dans les principes de Descartes, autrement il faudroit dire que le mouvement est impossible dans le plein ; & c’est de quoi les Cartésiens sont bien éloignés. Par conséquent si on admettoit le système des tourbillons, il faudroit les réduire à un seul tourbillon infini en tout sens ; c’est ce que les partisans des tourbillons n’admettront pas.

De plus, en supposant qu’il n’y eût qu’un seul tourbillon, il faut nécessairement que ses couches observent une certaine loi dans leurs mouvemens. Car supposons trois couches voisines, dont la premiere, c’est-à-dire la plus proche du centre, se meuve plus promptement, & les deux autres plus lentement, à proportion qu’elles ont un plus grand rayon : il est certain que le frottement de la premiere couche contre la seconde tend à accélérer cette seconde couche, & que le frottement de la troisieme couche contre cette même seconde couche tend au contraire à la retarder ; ainsi pour que la seconde couche conserve sa vîtesse, & ait un mouvement permanent & invariable, il faut que les deux frottemens qui tendent à produire des effets contraires soient égaux. Or M. Newton trouve que pour cela il faut que les vîtesses des couches du tourbillon suivent une certaine loi, qui n’est point du tout celle du mouvement des planetes.

De plus, M. Newton suppose dans cette démonstration, qu’il y ait au centre du tourbillon un globe qui tourne sur son axe, & il trouve qu’il faudroit continuellement rendre à ce globe une partie de son mouvement pour empêcher que sa rotation ne cessât. Il n’y auroit qu’un seul cas où le fluide mû en tourbillon & la rotation du globe pourroient se conserver, sans l’action continuelle d’une force conservatrice : ce seroit celui où le globe & les couches du tourbillon feroient leurs révolutions en même-tems, comme si elles ne faisoient qu’un corps solide. Ainsi les planetes devroient faire toutes leurs révolutions dans le même tems ; ce qui est fort éloigné de la vérité.

La rotation des planetes autour de leurs axes est encore un phénomene inexplicable par les tourbillons : dès la naissance, pour ainsi dire, du Cartésianisme, on a fait voir que dans le système des tourbillons les planetes devroient tourner sur leurs axes d’orient en occident. Car la matiere qui frappe l’hémisphere inférieur, ayant plus de vîtesse que celle qui frappe l’hémisphere supérieur, elle doit faire avancer l’hémisphere inférieur plus que l’hémisphere supérieur, ce qui ne peut se faire sans que la planete tourne.

Représentez-vous un bâton situé verticalement, que l’on pousse d’occident en orient par en-bas avec plus de force que par en-haut ; il saute aux yeux que ce bâton tournera par sa partie inférieure d’occident