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TRIBOCCIENS, (Hist. anc.) peuples de l’ancienne Gaule, qui habitoient le pays nommé Alsace par les modernes. Argentina, ou Strasbourg, étoit leur capitale.

TRIBOCI, (Géog. anc.) nous disons en françois les Tribocs ; nation germanique qui s’établit en-deçà du Rhin, dans une partie de l’Alsace.

La maniere d’exprimer le nom des Tribocs, n’est pas uniforme dans les anciens auteurs. Strabon écrit Τρίβοκχοι, Ptolomée Τρίβοκκοι, Jule-César Tribocei, Pline Tribochi, Tacite Triboci ; l’ortographe de ce dernier est celle que nous suivons, parce que c’est la même qui se lit dans une inscription trouvée à Brumt, à trois lieues de Strasbourg, par M. Schœflin vers l’an 1737. Ce monument porte Imp. Cæs. Publio Licinio Valeriano Pio Felici. Invicto Augusto civ. Tribocorum : c’est-à-dire que la communauté des Tribocs a érigé ce monument en l’honneur de l’empereur Valérien, dont on a ajouté les éloges ordinaires de pieux, d’heureux, & d’invincible.

L’étymologie du mot Tribocs, a embarrassé plusieurs savans modernes, qui l’ont cherché avec plus de curiosité que de succès. Les historiens du moyen âge ont publié sans fondement que les Trévériens & les Tribocs tiroient leur origine commune de Trebeta, fils de Ninus & de Sémiramis, & qu’ils tenoient leur nom de ce fondateur. Un siecle éclairé comme le nôtre, ne défere point du tout à l’autorité des écrivains peu clairvoyans, fabuleux dans les matieres de leur tems, & à plus forte raison dans celles qui sont beaucoup antérieures.

Mais le sentiment le plus reçu dérive ce nom des mots germaniques drey buchen, trois hêtres, à cause du culte qu’on prétend que cette nation rendoit à ces arbres, & à l’ombre desquels elle avoit coutume de tenir ses assemblées de religion & d’état. Cluvier avance cette conjecture après Conrad Celte, Rhenanus, Glareanus, Willichius, Schadæus, Coccius, suivis par plusieurs savans plus modernes.

Pour la fortifier on prétend qu’il y a encore aujourd’hui en Alsace un endroit de ce nom ; mais ce qu’il y a de certain, c’est que cet endroit n’y existe point. Supposé son existence, on n’en sauroit induire que les anciens habitans en eussent tiré leur nom ; il faut même observer que le hêtre n’a pas été un objet de religion des peuples Celtiques, comme le chêne.

Les Tribocs se sont trouvés enveloppés dans la conquête des Gaules faite par les Francs ; & depuis ce tems là ce nom s’est perdu pour faire place à celui d’Alsaciones, dont nous trouvons la premiere mention dans Frédégaire, & qui dénote les habitans sur la riviere d’Ill. Elass marque sedes elli, le siege ou le cours de l’Ill.

M. Schœpflin, dans les mémoires de l’académie des inscriptions, tom. XV. a tâché de fixer le tems où les Tribocs passerent le Rhin, & de déterminer l’étendue du terrein qu’ils ont occupé entre les Séquanois au midi, les Németes au nord, le Rhin à l’orient, & les Voges à l’occident ; il y fait l’énumération des villes & des bourgs considérables, situés dans leur territoire, qui dans l’espace de vingt-six lieues, le long du Rhin, depuis Marckelsheim, jusqu’à Guermersheim, comprenoit à-peu-près, selon lui, toute la basse Alsace. Schelestat, El, Strasbourg, Druseinheim, Seltz, Rheinzabern, Bruent, Saverne, Bergrabern, faisoient partie de ces places enclavées dans le pays des Tribocs.

Il ne faut pas croire que les Tribocs aient fondé aucune des places dont nous venons de parler. Le goût des peuples Teutoniques n’étoit pas porté à bâtir des villes, soit par aversion pour tout ce qui relâche le courage, soit par un penchant naturel pour la liberté, & parce qu’ils savoient que les mêmes remparts qu’ils défendent contre les ennemis, asservissent quel-

que fois sous des maîtres ; d’ailleurs ils se plaisoient

à changer de lieu ; ils évitoient les villes, à ce que dit Ammien, de même que si c’eût été des filets & des prisons ; c’est pourquoi les Allemans, lors de leur irruption dans les Gaules, y en avoient abattu ou ruiné plus de quarante-cinq, sans compter les forts & les petits châteaux. C’est de-là que toute l’ancienne Germanie ne nous fournit pas une seule ville du tems de Tacite ; les noms même de celles que nous venons de marquer, les uns Gaulois, les autres pour la plûpart latins, font connoître que toutes avoient pour fondateurs les Gaulois ou les Romains.

D’un autre côté, à peine les Tribocs eurent-ils chassé les Médiomatriciens ripuaires de leur pays, qu’eux-mêmes furent subjugués à leur tour par les Romains ; & ceux-ci qui en demeurerent les maîtres pendant plus de cinq siecles, regardoient toujours ce pays comme un boulevart contre les nations barbares, qui ont tant de fois entrepris de pénétrer par-là dans l’intérieur des Gaules, & qui y ont même réussi par la suite.

C’est de-là que nous trouvons dans l’ancienne Alsace, le long de la grande route du Rhin, ces fréquentes garnisons de la huitieme, dix-neuvieme, & vingt-deuxieme légion ; & dans le bas empire, ces Audéréciens & Ménapiens ; c’est de-là que viennent ces forts & ces villes fortifiées, ces camps, ces murs épais bâtis dans les gorges & sur les hauteurs des montagnes des Vôges, dont il reste encore aujourd’hui de grands & magnifiques vestiges dans les comtés de Dabo, & d’Ochsenstein, à S. Odile, à Niderbroun, à Framont, & ailleurs.

Les Tribocs étoient un des sept peuples qui fournirent des troupes au célébre Arioviste, lorsqu’il entra dans les Gaules ; & M. Schoepflin croit que ce peuple germain ne s’établit en Alsace qu’après l’invasion d’Arioviste ; mais M. Freret a prouvé dans les mémoires de l’académie des Inscriptions, tom. XVIII. p. 236. que l’établissement des Tribocs en Alsace, étoit antérieur à l’invasion d’Arioviste, qui passa le Rhin au plus tard l’an 71 avant Jesus-Christ.

En effet, César ne dit pas que les sept nations qui composoient l’armée de ce prince, eussent passé le fleuve avec lui, il le remarque seulement des Harudes, & l’on doit aussi le supposer des Marcomans, des Sédusiens, & des Sueves, qu’on ne trouve qu’en Germanie ; mais à l’égard des Tribocs, des Vangions, & des Németes, qui du vivant de César, ou du moins peu après sa mort, étoient fixés dans la Gaule, rien ne prouve qu’ils n’y fussent pas déja dès le tems d’Arioviste.

La politique des Romains nous oblige même à penser le contraire ; jamais ils n’eussent permis à ces nations de franchir la barriere du Rhin. César traite de dangereux pour l’empire, ces sortes d’établissemens des colonies germaniques dans la Gaule. Enfin, dans le doute où l’on seroit du tems où les Tribocs ont passé le Rhin, il faudroit supposer le fait antérieur à l’expédition d’Arioviste, par la seule raison du silence des auteurs, qui ne font aucune mention de ce passage des Tribocs, & qui n’en parlent jamais que comme d’une nation germanique établie en-deçà du Rhin par rapport à nous.

Ptolomée regardoit Brocomagus comme le cheflieu de la nation des Tribocs, & il n’est pas vraisemblable que ce soit Argentoratum, comme le croit M. Schoepflin. Argentoratum étoit selon toute apparence, une ancienne ville gauloise des Médiomatriques, où les Tribocs n’eurent garde de s’enfermer. Si cette place avoit été la capitale des Tribocs, il y seroit resté quelques vestiges du nom de ce peuple ; mais il n’en reste aucun.

Nous apprenons d’une inscription rapportée par