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Enfin c’est chez les Sabins qu’étoient situées les deux dernieres tribus que les consuls instituerent, savoir la véline & la quirine, dont l’une tiroit son nom du lac Velin, qui est a cinquante milles de Rome, & l’autre de la ville de Cures, d’où les Romains tiroient aussi leur nom de Quirites, & ces tribus ne furent même établies que longtems après que les Romains se furent rendus maîtres du pays où elles étoient situées.

Ces tribus au reste furent les deux dernieres des quatorze que les consuls instituerent, & qui jointes aux quatre tribus de la ville & aux dix-sept rustiques que Servius Tullius avoit établies, acheverent le nombre de trente-cinq dont le peuple romain fut toujours depuis composé.

Voilà en quel tems & à quel occasion chacune de ces tribus fut établie, & même quelle en étoit la situation. Ainsi il ne nous reste plus qu’à parler de leur étendue, ce qui est difficile à constater ; car il n’en est pas de ces dernieres tribus, comme de celles que Servius avoit formées.

En effet malgré les changemens qui arriverent aux tribus de la ville à mesure qu’on l’aggrandit, comme elles la partagerent toujours à-peu-près également, il est assez facile de s’imaginer quelle en fut l’étendue selon les tems. Pour les dix-sept tribus rustiques de Servius Tullius, comme elles étoient toutes renfermées dans le champ romain qui ne s’étendoit pas à plus de dix ou douze milles, il s’ensuit que ces tribus ne pouvoient guere avoir que cinq ou six milles, c’est-à-dire, environ deux lieues d’étendue chacune. Mais à l’égard des quatorze qui furent depuis établies par les consuls, comme elles étoient d’abord fort éloignées les unes des autres, & situées non-seulement en différentes provinces, mais encore séparées entr’elles par un grand nombre de colonies, de municipes & de préfectures qui n’étoient point de leur dépendance, il est impossible de savoir au juste quelle en fut d’abord l’étendue ; tout ce qu’on en peut dire, c’est qu’elles étoient séparées en général par le Tibre, le Nar & l’Anio, & terminées par le Vulturne à l’orient, au midi par la mer, par l’Arne à l’occident, & au septentrion par l’Apennin ; car elles ne passerent jamais ces limites.

Ainsi lorsqu’on voulut dans la suite leur donner plus d’étendue, on ne put les augmenter que du territoire des colonies & des municipes qui n’y étoient point comprises, & elles ne parvinrent même à remplir toute l’étendue du pays qui étoit entr’elles, que lorsqu’on eut accordé le droit de bourgeoisie à tous les peuples des provinces où elles étoient situées, ce qui n’arriva qu’au commencement de la guerre marsique, c’est-à-dire, dans les derniers tems de la république, encore ces peuples ne furent-ils pas d’abord reçus immédiatement dans ces trente-cinq tribus ; car les Romains craignant qu’ils ne se rendissent les maîtres dans les comices, en créerent exprès pour eux dix nouvelles, auxquelles ils ne donnerent point le droit de prérogative, & dont on ne prenoit par conséquent les suffrages, que lorsque les autres étoient partagées. Mais comme ces peuples se virent par-là privés de la part qu’ils espéroient avoir au gouvernement, ils en firent éclater leur ressentiment, & surent si bien se prévaloir du besoin que les Romains avoient alors de leur secours, qu’on fut peu de tems après obligé de supprimer ces nouvelles tribus, & d’en distribuer tous les citoyens dans les anciennes, où ils donnerent toujours depuis leurs suffrages.

Appian nous apprend que ce fut dans le consulat de L. Julius César & de P. Rutilius Lupus, que ces nouvelles tribus furent instituées, c’est-à-dire, l’an 660, & que ce fut l’an 665, sous le quatrieme consulat de L. Cinna, & pendant la censure de L. Marcus Philippus & de Marcus Perpenna, qu’elles furent supprimées.

Il y a bien de l’apparence au reste que les noms des dix ou douze tribus qu’on appelle ordinairement les surnuméraires, & dont il nous reste plusieurs inscriptions antiques, savoir Oericulana, Sapinia, Cluvia, Papia, Cluentia, Camilla, Dumia, Minucia, Julia, Flavia, & Ulpia, étoient les noms mêmes de ces dix nouvelles tribus ou de quelques-unes des anciennes qui changerent de dénomination dans les premiers tems de la république, si l’on en excepte les trois dernieres, Julia, Flavia & Ulpia, qui ne commencerent à être en usage que sous les empereurs, & qui furent données par honneur aux tribus d’Auguste, de Vespasien & de Trajan.

Pour les autres, ce qui fait croire que ce pourroient être les noms des dix nouvelles tribus dont nous avons parlé, c’est qu’il y en a qui sont des noms de familles qui n’étoient point encore romaines lorsque les autres tribus furent établies, comme la papienne & la cluentienne, qui tiroient leur origine de deux chefs de la guerre marsique, dont Appien parle au premier livre de la guerre civile, savoir Papius Mutilus & L. Cluentius, auxquels on accorda pour lors le droit de bourgeoisie, & qui parvinrent depuis à tous les honneurs de la république. D’autres sont des noms de lieux qui ne conviennent ni aux dernieres tribus établies par les consuls dont nous savons la situation, ni aux premieres établies par Servius Tullius, qui étoient toutes renfermées dans le champ romain, comme l’oericulane, la sapinienne & la cluentienne, qui étoient situées dans l’Ombrie, sur le Nac, & chez les Samnites.

Quoi qu’il en soit, il est certain que comme les tribus de la ville étoient en général moins honorables que les rustiques à cause des affranchis dont elles étoient remplies ; les premieres rustiques établies par Servius Tullius l’étoient aussi beaucoup moins que les consulaires, non-seulement parce qu’elles avoient beaucoup moins d’étendue, mais encore parce que c’étoit dans ces tribus qu’étoient distribués tous les nouveaux citoyens & les différens peuples auxquels on accordoit le droit de suffrage, ainsi qu’on peut le faire voir en exposant la forme politique de ces tribus, leurs différens usages selon les tems & les mutations qui leur arriverent depuis leur institution jusqu’à leur décadence.

Mais auparavant il est bon de rappeller l’état des anciennes, afin d’en examiner de suite les changemens, & montrer que tout ce que les nouvelles entreprirent sous les consuls, ne tendoit qu’à recouvrer l’autorité que les anciennes avoient eue sous les cinq premiers rois, & à se tirer de la sujettion où Servius Tullius les avoit asservies, en établissant les comices des centuries.

Les anciennes tribus sous les rois étoient distinguées en général par leur situation & par les différentes nations dont elles étoient composées ; mais elles ne laissoient pas d’avoir les mêmes usages, & leur forme politique étoit précisément la même. Toutes les curies avoient également part aux honneurs civils & militaires. Servius Tullius supprima les anciennes tribus, & leur en substitua de nouvelles qu’il dépouilla de toute autorité ; elles ne servirent jusqu’au jugement de Coriolan, qu’à partager le territoire de Rome, & à marquer le lieu de la ville & de la campagne où chaque citoyen demeuroit.

La condition du peuple romain ne devint pas meilleure par l’établissement des consuls, dont l’autorité ne fut pas suffisamment modérée par l’appel au peuple, ni par le pouvoir de les élire accordé aux centuries. L’abolition des dettes fut le premier coup d’éclat que le peuple frappa contre les patriciens. Il obtint ensuite ses tribuns par sa retraite sur le mont Sacré. Les tribuns n’eurent d’abord d’autre fonction