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fication de 4 liv. 10 sols sur chaque aune de velours qu’ils faisoient fabriquer en soie seulement, & 7 liv. 10 sols pour chaque aune de ceux qui étoient en dorure. Les sommes destinées à payer cette gratification étoient tirées de la caisse de la recette des droits sur les marchandises étrangeres.

Cette gratification excita tellement l’émulation des marchands fabriquans de la ville de Lyon qu’ils firent venir des ouvriers d’Italie, où ce genre d’étoffe étoit aussi brillant que l’est actuellement le velours uni : ces ouvriers en formerent d’autres ; ils furent recompensés de leurs soins : on fit pour-lors des velours ciselés aussi parfaits que chez l’étranger ; la gratification accordée les fit donner à meilleur prix, de sorte que la perfection & le bon marché leur faisant accorder la préférence, les fabriques étrangeres tomberent totalement, & n’ont jamais pû se relever. Une fabrique tombée une fois, se releve difficilement.

On auroit fait tomber les velours unis, si on avoit suivi le même système.

La cessation des travaux dans la fabrique s’étant fait ressentir par les diminutions considérables sur les especes (1725 & 1726), le nombre des pauvres ayant considérablement augmenté dans l’hôpital-général de la Charité de Lyon, les magistrats de la ville firent accorder des sommes considérables pour subvenir au besoin des pauvres, lesquelles furent prises sur la recette des droits sur les marchandises étrangeres, ce qui obligea le ministere à supprimer l’année suivante (1727) la gratification ordonnée, & engagea les fabriquans de la ville de Lyon à augmenter la perfection des velours pour se conserver la préférence sur les étrangers.

Les fabriquans entreprirent pour-lors à augmenter les velours de deux cens roquetins, c’est-à-dire de le faire avec mille au-lieu de huit cens ; les ouvriers trouverent cette augmentation extraordinaire, parce qu’il fallut faire augmenter les cassins de cent poulies, de même que les rames, les semples & les planches pour les arcades ; ils eurent même peine à s’y résoudre, mais la cessation des travaux ou la misere l’emporta sur la répugnance.

Il se fabrique aujourd’hui à Lyon des velours de 3200 roquetins, c’est-à-dire de quatre cantres composées de 800 chacune, dont une de ces cantres fait le fond de l’étoffe, quand elle n’est pas en dorure, parce que pour-lors les quatre cantres sont disposées pour faire les fleurs.

Les cantres qui sont disposées pour faire les fleurs de l’étoffe, soit qu’il y en a trois, soit qu’il y en ait quatre, sont composées de vingt couleurs différentes plus ou moins, suivant la disposition du dessein, conséquemment il faut que l’ouvrier ait un grand soin de conduire les couleurs par dégradations lorsqu’il monte le métier, c’est-à-dire de la plus obscure à la plus claire, ce qui n’est pas un léger embarras, & cela afin que la fleur puisse acquérir la beauté que le dessinateur s’est proposé de lui donner.

Les métiers qui sont montés de 3200 roquetins, vulgairement appellés trente-deux-cens, doivent avoir un pareil nombre de mailles de corps ; puisque chaque bronche de roquetin doit avoir sa maille, ce corps est divisé en quatre parties égales de 800 mailles chacune, ce qui composeroit 1600 cordes de rame & de semple ; mais comme les beaux velours, ou ceux de cette espece sont tous à petits bouquets, suivant le goût d’aujourd’hui, & que chaque bouquet est répété au-moins huit fois dans l’étoffe, chaque corde de rame tirant quatre arcades qui levent huit mailles, il s’ensuit que quatre cens cordes font lever les 3200 mailles, ce qui n’augmente ni ne diminue le cordage ordinaire. Si les bouquets sont répétés dix fois dans la largeur de l’étoffe, pour-lors il ne

faut que 80 cordes chaque cantre, qui tient cinq arcades, ce qui fait 320 cordes, tant pour le rame que pour le semple, ainsi des autres plus ou moins.

Les beaux velours ont encore un corps particulier pour le poil composé de 800 mailles. Si la répétition est de huit fleurs, il faut cent cordes de semple ci-dessus, & à proportion si elle est de dix fleurs ; on fait lire les cordes du poil pour donner à la dorure le liage que l’on desire, soit droit, soit guilloché ou autrement. Il est des velours qui n’ont pas de poil, parce que pour-lors l’ouvrier passe la dorure sous une lisse de la chaîne de l’étoffe, ce qui fait un fond de dorure égal, mais plus serré & moins beau que ceux qui ont un poil. Les 800 mailles de poil composent dix portées. Tous les velours sont montés à 5 lisses & 75 portées de chaîne, ce qui fait 15 portées ou 1200 fils pour lier la dorure.

Tous les velours en 3200, dont les bouquets sont répétés huit fois, n’ont que 400 roquetins au-lieu de 3200, à l’exception néanmoins des ouvriers qui, ayant suffisamment de cantres & de roquetins, ne jugent pas à propos ou ne sont pas en état d’en faire la dépense. Les velours qui ont dix bouquets n’ont besoin que de 320 roquetins, ainsi des autres. Il s’agit maintenant d’expliquer de quelle façon peut se faire une chose aussi belle & aussi bien inventée.

Pour expliquer une chose aussi bien concertée, il faut faire attention qu’on vient de dire que dans l’étoffe où les bouquets sont répétés huit fois, chaque corde de semple ou de rame tire huit mailles ; de même que dans celle où il y en a dix, chaque corde tire dix mailles. On charge, pour cette opération, le roquetin, qui est plus gros que les ordinaires, de huit branches, pour l’étoffe où les bouquets sont répétés huit fois, & de dix pour celles où ils sont répétés dix fois ; & on a soin que chaque branche du roquetin soit passée dans chaque maille tirée par la même corde ; & afin que les branches du même roquetin puissent se séparer aisément pendant le cours de la fabrication, on a soin de les enrouler sur le roquetin de la même façon, & avec la même précaution que l’on observe quand on ourdit une chaîne ; c’est-à-dire, que si une branche est de quatre fils d’organsin, on passe quatre fils dans une seule boucle de la cantre à ourdir ; & les huit ou dix branches passées, on les enroule ensemble sur le roquetin ; lequel étant chargé de la quantité nécessaire, on enverge les branches, ou on les encroise, pour que chaque branche soit passée de suite dans la maille qui lui est destinée. Il paroit par cet arrangement, que chaque corde tirant les huit mailles, ou dix, dans lesquelles sont passées les huit ou dix branches du roquetin, chaque branche doit avoir la même extension, par conséquent faire un velours parfait.

Afin que le roquetin soit plus gai pour le mouvement de la tire, & qu’il puisse tourner aisément en avant & en arriere, il n’est point enfilé par une baguette de fer comme ceux des autres métiers ; ceux-ci ont dans le centre deux pivots très-minces, qui sont placés dans une mortoise de pareille ouverture, & conséquemment ne font pas tant de frottemens ; ils ont en outre deux poids proportionnés à la quantité de branches dont ils sont garnis, un de chaque côté, placés de façon que quand l’un est monté, l’autre est encore à moitié de sa hauteur ; afin que si, par événement, l’un se trouvoit dessus la cannelure du roquetin, celui-ci qui est pendu donnât l’extension continuelle ; ce qui ne peut durer le tems d’une seconde ; parce que les poids étant ronds, il n’est pas possible qu’ils puissent se soutenir sans tomber, sur une surface aussi unie que celle de la circonférence de ce roquetin, continuellement en mouvement, & qui est d’une rondeur parfaite. A observer que l’on ne pourroit pas faire un velours à grand dessein avec