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des roquetins de cette espece, parce que pour lors la corde ne doit tirer que deux mailles, quelquefois même qu’une : ce qui a été pratiqué lorsqu’on a fait des habits pour homme à bordure ; mais il ne s’en fait plus aujourd’hui.

Etoffe à la broche. Quoique la façon de faire les velours ciselés, chargés de roquetins, semblable à celle que l’on vient de démontrer, soit aussi singuliere qu’elle est bien imaginée, il se fabrique encore à Lyon des étoffes riches auxquelles les ouvriers ont donné le nom d’étoffes à la broche, qui cependant dans le commerce n’ont d’autre dénomination que celle de fond or ou argent riches ; il faut en donner l’explication.

Toutes les étoffes riches de la fabrique dont la dorure est liée par les lisses, soit par un poil, soit par la chaîne, ont un liage suivi qui forme des lignes diagonales, lesquelles portent à droite ou à gauche, suivant la façon de commencer ou d’armer ce liage ; en commençant par la premiere du côté du battant, & finissant par la quatrieme du côté des lisses ; ou en commençant par cette derniere, & finissant par la premiere du côté du battant. Cette façon d’armer le liage est générale, & pourvu que la lisse ne soit pas contrariée, elle est la même, & produit le même effet. Outre cette façon de lier la dorure dans les étoffes riches, elles ont encore une dorure plus grosse qui imite la broderie appellée vulgairement dorure sans liage, parce que pour lors on ne baisse point de lisse pour lier cette dorure qui n’est arrêtée que par la corde ; c’est-à-dire, que dans les parties de dorure qui sont tirées & qui ont une certaine largeur, le dessinateur a soin de laisser des cordes à son choix, lesquelles n’étant pas tirées, & se trouvant à une distance les unes des autres, arrêtent la dorure, & lui donne plus de relief, parce qu’elles portent plus d’éloignement que le fil ordinaire qui la lie. La distance ordinaire des cordes qui ne sont point tirées, afin d’arrêter la dorure, est de treize à quatorze ; au lieu que dans les liages ordinaires, elle ne passe pas, pour les plus larges, à 5 ou 6 cordes. Outre le brillant que le liage par la corde donne à la dorure, le dessinateur qui le marque au dessein, a encore la liberté de distribuer ce liage à son choix, tantôt à droite, tantôt à gauche, dans une partie de dorure en rond, en quarré, ou ovale, comme il lui plaît, dans une feuille de dorure ; à former les veines des côtés, ce qui ne peut point se faire avec la lisse ordinaire. Cette façon de lier la dorure étant peinte sur le dessein, il n’est pas de doute que le dessinateur ne la distribue d’une façon à faire briller davantage l’étoffe, & qu’il ne la représente comme une broderie parfaite.

Observation sur l’article vij du titre 8 du réglement du 19 Juin 1744, qui déclare que dans le cas où les velours unis seront fabriqués avec de l’organsin, monté à trois brins, chaque fil de poil sera compté pour un fil & demi, & le velours pourra être marqué sur ce pié à la lisiere, & vendu pour velours à trois poils, quoiqu’il ne soit qu’à deux.

On n’entrera point ici dans le détail de la façon dont est monté l’organsin à deux, trois & quatre brins, ni dans la façon dont est fabriqué le velours, pour démontrer le ridicule de cet article ; on ne s’attachera qu’à la façon dont cette étoffe est montée & fabriquée chez les Génois & les Piémontois pour faire voir que si leurs velours ont plus de réputation que les nôtres, ces étrangers le méritent à tous égards.

Les fabricateurs du réglement de 1744, qui est aujourd’hui attaqué de toutes parts, même par les ordres du conseil, pour éblouir ceux qui ne connoissent pas la manufacture, ont fixé l’aune de la toile pour les velours à trois, trois & demi & quatre poils, soit de soixante portées simples, soit de quarante por-

tées doubles ; lesdites portées de quatre-vingt fils, à

vingt-deux deniers poids de marc, comme s’il étoit d’une grande conséquence de ne l’avoir pas porté à une once, & qu’il fût bien intéressant qu’une chaîne, qui ne paroît en aucune façon, fût plus ou moins pesante, sur-tout lorsqu’il est impossible de faire l’étoffe avec un organsin plus léger, parce qu’il ne pourroit pas résister au coup du battant, qui doit être proportionné au genre d’étoffe pour laquelle il est destiné.

C’est une pure bavarderie de la part des instigateurs de ce réglement, que cette fixation illusoire de vingt-deux deniers chaque aune de toile ourdie des velours à trois poils & au-dessus ; parce que quand il seroit possible de fabriquer des velours de semblable espece ou qualité avec des organsins plus légers de 6 den. chaque aune, la différence ne seroit pas de six liards, puisque l’organsin fin est infiniment plus cher que le gros, & qu’il faut suppléer par la trame au défaut de la chaîne dans des étoffes de cette qualité, pour qu’elles soient parfaites & fortes.

Le poil de tous les velours est composé de vingt portées, afin que tous les deux fils, dans la chaîne de quarante portées doubles, il y en ait un de poil de même que tous les trois fils, dans celles de soixante portées simples.

Le peigne pour fabriquer le velours doit contenir vingt portées, à quarante dents chaque portée du peigne, de façon que chaque dent doit avoir deux fils de poil de deux boucles différentes.

On appelle velours à quatre poils, celui dont le poil est composé de vingt portées à quatre fils par boucle à l’ourdissage ; c’est-à-dire, qu’au lieu d’un fil il y en ait quatre ensemble ; ce qui vaut autant pour la quantité de soie que contient le poil, que s’il y avoit quatre-vingt portées séparées. Les velours à trois poils & demi, ont une boucle de quatre fils, & une de trois ; c’est-à-dire, une huitieme partie de soie moins que les velours à quatre poils. Les velours à trois poils ont trois fils par boucle ; c’est-à-dire, un quart de soie moins que les velours à quatre poils. Ceux à deux poils & demi, ont une boucle de deux fils, & une de trois, ainsi des autres.

Chaque dent du peigne doit contenir deux boucles de quatre fils chacune, pour le velours à quatre poils ; ce qui compose huit fils séparés. Une boucle de quatre fils & une de trois pour les velours à trois poils & demi, ce qui compose sept fils. Enfin, deux boucles de trois fils chacune pour ceux à trois poils, ce qui compose six fils, ainsi des autres.

Le velours ne tire sa beauté que de la quantité de fils qui composent le poil, & de leur séparation, lorsque l’ouvrier le coupe en le travaillant ; de façon que s’il étoit possible de fabriquer un velours à quatre poils avec les huit brins séparés qui composent les quatre fils d’organsin, il en seroit infiniment plus beau ; il n’est pas un fabriquant, pour peu qu’il soit habile qui ne convienne de ce principe.

Selon le systême nouveau des fabricateurs du réglement de 1744, ils veulent qu’un fil d’organsin monté à trois brins, soit compté pour un fil & demi ; conséquemment qu’un velours fabriqué avec deux fils d’organsin, monté à trois brins, puisse être marqué & vendu pour un velours à trois poils ; quelle absurdité, ou plutôt quelle supercherie ! Sur ce pied, un velours fabriqué avec deux fils d’organsin montés à quatre brins, pourra donc être marqué & vendu pour un velours à quatre poils, de même qu’un velours fabriqué avec un fil d’organsin monté à huit brins, pourra aussi être marqué & vendu pour un velours à quatre poils ! A-t-on pû avancer une semblable imposture ? on le demande aux plus habiles fabriquans de l’Europe, principalement aux Génois, qui fabriquent mieux que nous ce genre d’é-