Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/937

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le ventre avalé, (c’est un défaut qu’on n’a pas fait remarquer à M. de Buffon ; il ne doit être ni trop retroussé, ni trop avalé, il faut un milieu) ; la cuisse ronde & détachée, le flanc sec & décharné, le jarret court & large, la queue forte à son origine, velue (il la faut à poil ras), longue, déliée, mobile, sans poil à l’extrémité ; le poil du ventre rude, la patte seche, peu alongée, & l’ongle gros, &c. Les chiens normans ou baubis ont le corsage plus épais, la tête plus courte, & les oreilles moins longues. Les chiens anglois ont la tête plus menue, le museau plus long & plus effilé, le corsage, les oreilles & les jarrets plus courts ; la taille plus légere, & les piés mieux faits : ceux de la race pure sont ordinairement de poil gris moucheté.

Le chien qu’on a presenté à M. de Buffon à l’équipage du daim, pour le faire dessiner pour un limier, n’est pas assez beau ; il le nomme bien un metis de race de basset & de mâtin ; il y en avoit à la vénerie de bien plus beaux & de vraie race de limiers de Normandie, qui auroient mieux rempli son objet.

Chiens de Calabre. Ces chiens sont très-grands parce qu’ils viennent de très grands danois mêlés avec de grands épagneuls ; il y a quelques années qu’on en fit peindre à Versailles deux très-beaux, de la haute taille du danois, fort courageux, & très-ardens à la chasse du loup ; ils participoient des caracteres des danois & des épagneuls pour la forme du corps & pour le poil ; les chiens ont cinq doigts y compris l’ongle, qui est un peu au-dessus du pié en-dedans, & que M. de Buffon compte pour le pouce. Le chien courant que M. Buffon a fait dessiner, avoit deux piés neuf pouces, depuis le bout du nez jusqu’à l’anus.

Hauteur du train de devant, 1 pié 9 pouces 9 fig.

Hauteur du train de derriere, 1 pié 10 pouces.

Longueur des oreilles, 6 pouces 6 lignes.

Les chiens passent pour avoir dix mamelles, cinq de chaque côté, savoir quatre sur la poitrine, & six sur le ventre.

Les chiens ont neuf vraies côtes, trois de chaque côtés, & quatre fausses.

Les vertebres de la queue du chien sont au nombre de vingt.

M. de Buffon ne dit rien du ver que les chiens ont sous la langue, ni de l’opération de couper les lices, & de ce qu’on leur ôte pour empêcher la génération, soit testicules ou autres choses, on leur ôte deux petites glandes.

Il y a dans les mémoires de l’académie des Sciences, l’histoire d’une chienne qui ayant été oubliée dans une maison de campagne, a vêcu quarante jours sans autre nourriture que l’étoffe ou la laine d’un matelat qu’elle avoit déchiré.

Epreuve de M. de Buffon. Il éleva une louve prise à l’âge de deux mois dans la forêt ; il l’enferma dans une cour avec un jeune chien du même âge ; ils ne connoissoient l’un & l’autre aucun individu de leur espece ; la premiere année ces jeunes animaux jouoient perpétuellement ensemble, & paroissoient s’aimer. A la seconde année ils commencerent à se disputer la nourriture & à se donner quelques coups de dents ; la querelle commençoit toujours par la louve. A la fin de la troisieme année ces animaux commencerent à sentir les impressions du rut, mais sans amour : car loin que cet état les adoucît ou les rapprochât l’un de l’autre, ils devinrent plus féroces, ils maigrirent tous deux, & le chien tua enfin la louve, qui étoit devenue la plus foible & la plus maigre.

M. de Ligniville a fait une expérience pareille, mais qui a mieux réussi, puisqu’il en est sorti des chiens, mais qui ne valoient rien pour la chasse.

Dans le même tems M. de Buffon fit enfermer avec une chienne en chaleur, un renard que l’on avoit pris au piege. Ces animaux n’eurent pas la moindre

querelle ensemble ; le renard s’approchoit même assez familierement, mais dès qu’il avoit flairé de trop près sa compagne, le signe du desir disparoissoit, & il s’en retournoit tristement dans sa hute. Lorsque la chaleur de cette chienne fut passée, on lui en substitua jusqu’à trois autres successivement, pour lesquels il eut la même douceur, mais la même indifférence : enfin on lui amena une femelle de son espece qu’il couvrit dès le même jour.

On peut donc conclure de ces épreuves faites d’après la nature, que le renard & le loup sont des especes non-seulement différentes du chien, mais séparées & assez éloignées pour ne pouvoir les rapprocher, du moins dans ces climats.

Xénophon dit qu’il avoit des chiens qu’il nommoit renardiers en espece.

Le cerf. M. Buffon, tom. XI. p. 85. Voici l’un des animaux innocens, doux & tranquilles qui ne semblent être faits que pour embellir, animer la solitude des forêts, & occuper loin de nous les retraites paisibles de ces jardins de la nature. Sa forme élégante & légere, sa taille aussi svelte que bien prise, ses membres flexibles & nerveux, sa tête parée plutôt qu’armée d’un bois vivant, & qui, comme la cime des arbres, tous les ans se renouvelle, sa grandeur, sa légéreté, sa force, le distinguent assez des autres habitans des bois ; & comme il est le plus noble d’entr’eux, il ne sert qu’aux plaisirs des plus nobles des hommes ; il a dans tous les tems occupé le loisir des héros ; l’exercice de la chasse doit succéder aux travaux de la guerre, il doit même les précéder ; savoir manier les chevaux & les armes sont des talens communs au chasseur & au guerrier ; l’habitude au mouvement, à la fatigue, l’adresse, la légéreté du corps, si nécessaires pour soutenir, & même pour seconder le courage, se prennent à la chasse, & se portent à la guerre ; c’est l’école agréable d’un art nécessaire, c’est encore le seul amusement qui fasse diversion entiere aux affaires, le seul délassement sans molesse, le seul qui donne un plaisir vif sans langueur, sans mélange & sans satiété.

Que peuvent faire de mieux les hommes qui par état sont sans cesse fatigués de la présence des autres hommes ? Toujours environnés, obsédés & gênés, pour ainsi dire, par le nombre, toujours en butte à leurs demandes, à leur empressement, forcés de s’occuper des soins étrangers & d’affaires, agités par de grands intérêts, & d’autant plus contraints, qu’ils sont plus élevés ; les grands ne sentiroient que le poids de la grandeur, & n’existeroient que pour les autres, s’ils ne se déroboient par instans à la foule même des flatteurs. Pour jouir de soi-même, pour rappeller dans l’ame les affections personnelles, les desirs secrets, ces sentimens intimes mille fois plus précieux que les idées de la grandeur, ils ont besoin de solitude ; & quelle solitude plus variée, plus animée que celle de la chasse ? Quel exercice plus sain pour le corps, quel repos plus agréable pour l’esprit ?

Il seroit aussi pénible de toujours représenter que de toujours méditer. L’homme n’est pas fait par la nature pour la contemplation des choses abstraites ; & de même que s’occuper sans relâche d’études difficiles, d’affaires épineuses, mener une vie sédentaire, & faire de son cabinet le centre de son existence, est un état peu naturel, il semble que celui d’une vie tumultueuse, agitée, entraînée, pour ainsi dire, par le mouvement des autres hommes, & où l’on est obligé de s’observer, de se contraindre & de représenter continuellement à leurs yeux, est encore une situation plus forcée. Quelque idée que nous voulions avoir de nous-mêmes, il est aisé de sentir que représenter n’est pas être, & aussi que nous sommes moins faits pour penser que pour agir, pour raisonner que pour jouir. Nos vrais plaisirs consistent dans