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trouverez que l’eau qui aura pénétré à travers la peau des raisins, aura dissout leur substance intérieure, douce & sucrée, & s’en sera chargée comme un menstrue ; vous verrez aussi un mouvement intérieur dans les parties de la liqueur, qui se manifestera par un nombre infini de petites bulles, qui s’éléveront à la surface avec un sifflement considérable. Quand la fermentation sera finie, cette liqueur deviendra du vin effectif, dont on pourra juger aisément par son goût, son odeur & ses effets. Elle déposera au fond du tonneau une grande quantité de sédiment grossier & terrestre, connu sous le nom de lie, différent de l’enveloppe ou de la peau, & des sables qui se trouvent autour des raisins.

Cette expérience est universelle, & indique la méthode générale pour faire, par la fermentation, des vins de toute espece, & toutes les autres liqueurs ou boissons spiritueuses.

En effet, avec un léger changement dans les circonstances, on peut l’appliquer à la brasserie de la biere faite avec le malt ; à l’hydromel fait avec le miel ; au cidre & au poiré qu’on fait avec des pommes & des poires.

On fait aussi de la même maniere des vins qu’on appelle artificiels, avec des cerises, des groseilles, des raisins de Corinthe, des baies de sureau, des mures sauvages, des oranges, & plusieurs autres fruits ; des sucs de certains arbres, comme le bouleau, l’érable, le sycomore, &c. & de meilleur encore, du jus de canne de sucre, de son sirop, ou du sucre même avec de l’eau. Tous les sucs de ces végétaux, après avoir bien fermenté, fournissent conformément à leurs différentes natures, du vin aussi pur que les grappes les plus abondantes des meilleurs vignobles.

Pour former de ces différens sucs un vin parfait, la regle est de les faire évaporer, s’ils sont naturellement trop clairs & trop légers, jusqu’à ce qu’ils deviennent semblables au suc des raisins ; on peut faire cette expérience très-aisément, par le moyen du pese-liqueur ordinaire. Cet instrument montre évidemment la force de la dissolution ; car en général, tout suc ou dissolution végétale est regardée comme suffisamment chargée pour faire un vin très fort, quand elle soutient un œuf frais à sa surface.

La chimie nous enseigne à imiter les marchands de vin, en ôtant au suc du raisin presque toute sa douceur, ou son acidité, pour rendre les vins d’une meilleure qualité ; ceux même de Canarie, des montagnes d’Andalousie ou d’Oporto : on falsifie souvent ces vins dans le transport, quoique la base de tous soit le suc du raisin.

Ce suc examiné & considéré chimiquement, n’est cependant autre chose qu’une grande quantité de suc réel, dissous dans l’eau avec un certain montant propre au suc du raisin, conformement à la nature du vin. Cette observation nous sert à établir comme un axiome, & le résultat d’un examen exact & suivi, qu’une substance sucrée est la base de tous les vins ; car le sucre n’est pas particulier à la canne de sucre, puisqu’on en retire aussi du raisin : on en trouve même souvent des grains assez gros dans les raisins secs, particulierement dans ceux de Malaga lorsqu’ils ont été quelque tems enfermés, & pressés les uns contre les autres ; on y trouve aussi du sucre candi, une efflorescence sucrée, & des grains de sucre effectifs.

On fait en France une confiture connue sous le nom de résiné, en évaporant simplement le suc du raisin, jusqu’à ce qu’il soit capable de se coaguler par le froid ; & lorsqu’il est dans cet état, on en use comme d’un sucre mollasse. Il en est de même du malt, ou moût de biere qu’on peut employer de la même façon, ainsi que les sucs doux de tous les végétaux,

qui fournissent du vin par la fermentation.

Nous pouvons tirer de ces expériences, des regles pour obtenir la matiere essentielle des vins sous une forme concrete, soit en la faisant bouillir, soit par quelqu’autre moyen, de maniere qu’on la conserve sans qu’elle s’aigrisse, pendant plusieurs années. De cette façon on pourroit faire des vins, des vinaigres & des eaux-de-vie de toute espece, même dans les pays où l’on ne cultive point de vignes. Cette découverte nous éclaire aussi sur la nature réelle & les usages de la fermentation spiritueuse & acide.

Pour confirmer encore davantage cette découverte, prenez 250 livres de sucre royal ; mettez-les dans une cuve tenant deux muids ; remplissez-la d’eau de source, jusqu’à 16 pintes ou environ du bord ; mettez-la ensuite dans un lieu chaud, ou dans un cellier ; ajoutez-y 3 ou 4 livres de levure de biere fraîche, faite sans houblon, ou plutôt d’écume de vin nouveau : la liqueur en peu de mois fermentera, & produira de fort bon vin sans couleur & sans odeur ; mais susceptible de prendre l’une ou l’autre, telle qu’on voudra la lui donner. Par exemple, avec la teinture de tournesol on en fera du vin rouge, & avec un peu d’huile essentielle on lui donnera l’odeur qu’on jugera à-propos. Cette expérience a été tentée avec succès, & peut servir de méthode pour faire des vins dans les colonies de l’Amérique, & partout ailleurs où il croît beaucoup de sucre. Ces vins pourroient le disputer en bonté aux vins de France, d’Italie & d’Espagne, si la nature de la fermentation étoit parfaitement connue ; on pourroit même abréger ce procédé avec le tems, & l’on en retireroit encore d’autres avantages.

L’usage de cette expérience peut devenir utile au commerce, & aux besoins ordinaires de la vie. Elle nous apprend d’abord que la substance qui fermente dans chaque matiere susceptible de fermentation, est très-peu de chose en comparaison de la quantité de vin qu’elle fournit. Nous voyons, par exemple, que quatre livres de raisins peuvent être délayées dans nuit pintes d’eau, y fermenter, & faire encore un vin assez fort. Cependant les raisins eux-mêmes contiennent une grande quantité d’eau, outre leur substance sucrée ; cette substance devient du sucre effectif, lorsqu’elle est réduite sous une forme seche. Si on veut connoître exactement la nature, les usages & les moyens de perfectionner la fermentation spiritueuse & acide, on ne sauroit mieux faire que de choisir le sucre pour la matiere de ses expériences. Son analyse démontre évidemment les principes essentiels à cette opération. Ces principes paroissent être un sel acide, une huile & de la terre, unis si intimement ensemble, qu’ils sont capables de se dissoudre parfaitement dans l’eau.

Recomposition du vin. Comme on peut recomposer le vinaigre avec son résidu, on peut pareillement faire la recomposition du vin après qu’il a perdu son esprit par la dissolution. On exécute l’une & l’autre recomposition par le moyen d’un nouveau bouillonnement, ou d’une légere fermentation. Si l’opération dans ces deux cas, est faite par un artiste habile, la recomposition doit être exacte : Pour la bien faire dans l’une ou l’autre de ces circonstances, il faut avoir soin d’employer une substance intermédiaire qui leur soit propre, c’est-à-dire que cette substance doit être susceptible de fermentation, ou même dans un état de fermentation actuelle. Par exemple, un peu du vin nouveau, du sucre, le jus des grappes de raisins, &c. parce que ces matieres venant à travailler dans la liqueur, saisissent ses parties aqueuses, spiritueuses & salines, de maniere à les mêler ensemble, selon l’ordre ou l’arrangement qui leur convient : c’est de ces circonstances que dépend la perfection des vins & vinaigres. On n’a pas encore examiné