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terres & aux eaux entrainées par la pente naturelle, un dégagement qui n’embarrassoit jamais la voie. Cette précaution, la seule qui pouvoit rendre les ouvrages solides & durables, est un des moyens qui sert le plus à reconnoître les voies romaines ; c’est du moins ce que l’on remarque dans plusieurs de ces voies de la Gaule, qui plus étroites, & n’ayant pas la magnificence de celles que cette même nation avoit construites pour traverser l’Italie, ou pour aborder les villes principales de son empire, n’avoient pour objet que la communication & la sûreté de leurs conquêtes, par la marche facile & commode de leurs troupes, & des bagages indispensablement nécessaires.

Il faut à présent passer en revue les principales voies romaines, dont les noms sont si fréquens dans l’histoire, & dont la connoissance répand un grand jour sur la géographie ; cependant pour n’être pas trop long, je dois en borner le détail à une simple nomenclature des principales.

Voies de la ville de Rome, en latin viæ urbis ; c’est ainsi qu’on appelloit les rues de Rome ; elles étoient pavées de grands cailloux durs, qui n’étoient taillés qu’en dessus, mais dont les côtés étoient joints ensemble par un ciment inaltérable. Ces rues dans leur origine étoient étroites, courbes & tortues ; mais quand sous Néron les trois quarts de la ville furent ruinés par un incendie, cet empereur fit tracer les rues incendiées, larges, droites & régulieres.

Voie æmilienne. Elle fut construite l’an de Rome 567, par M. Æmilius Lepidus, lorsqu’il étoit consul avec C. Flaminius ; elle alloit de Rimini jusqu’à Bologne, & de-là tout autour des marais jusqu’à Aquiléïa. Elle commençoit du lieu où finissoit la voie flaminia, savoir du pont de Rimini, & elle est encore le chemin ordinaire de Rimini par Savignano, Césene, Forli, Imola, & Faendza à Bologne, ce qui peut faire une étendue de vingt lieues d’Allemagne, & il faut qu’elle ait eu un grand nombre de ponts considérables. C’est de cette voie que le pays entre Rimini & Bologne s’appelloit Æmilia ; il étoit la septieme des onze régions dans lesquelles Auguste divisa l’Italie.

Il y avoit une autre voie æmilienne qui alioit de Pise jusqu’à Tortonne ; ce fut M. Æmilius Scaurus qui la fit construire étant censeur, du butin qu’il avoit pris sur les Liguriens dans le tems de son consulat.

Voie d’Albe, en latin via Albana. Elle commençoit à la porte Cælimontana, & alloit jusqu’à Albe la longue. M. Messala y fit faire les réparations nécessaires du tems d’Auguste ; elle ne peut pas avoir été plus longue que dix-sept milles d’Italie, parce qu’il n’y a que cette distance entre Rome & Albano.

Voie d’Amérie, en latin via amerina. Elle partoit de la voie flaminienne, & conduisoit jusqu’à Améria, ville de l’Umbrie, aujourd’hui Amelia, petite ville du duché de Spolette ; mais comme on ne sait point d’où cette voie partoit de la flaminienne, on n’en sauroit déterminer la longueur.

Voie appienne, en latin via appia ; comme c’étoit la plus célebre voie romaine par la beauté de son ouvrage, & le premier chemin public qu’ils se soient avisés de paver, il mérite aussi plus de détails que les autres.

Cette voie fut construite par Appius Claudius Caecus, étant censeur, l’an de Rome 441, elle commençoit en sortant de Rome ; de la porte Capene, aujourd’hui di San Sebastiano, & elle alloit jusqu’à Capoue, ce qui fait environ vingt-quatre lieues d’Allemagne ; Appius ne la conduisit pas alors plus loin, parce que de son tems les provinces plus éloignées n’appartenoient pas encore aux Romains. Deux chariots pouvoient y passer de front ; chaque pierre du pavé étoit grande d’un pié & demi en quarré, épaisse

de dix à douze pouces, posée sur du sable & d’autres grandes pierres, pour que le pavé ne pût s’affaisser sous aucun poids de chariot ; toutes ces pierres étoient assemblées aussi exactement que celles qui forment les murs de nos maisons ; la largeur de cette voie doit avoir été anciennement de vingt-cinq piés ; ses bords étoient hauts de deux piés, & composés des mêmes pierres que le pavé ; à chaque distance de dix à douze pas, il y avoit une pierre plus élevée que les autres ; sur laquelle on pouvoit s’asseoir pour se reposer, ou pour monter commodément à cheval ; exemple qui fut imité par toutes les autres voies romaines. Les auberges & les cabarets fourmilloient sur cette route, comme nous l’apprenons d’Horace.

L’agrandissement de la république, & sur-tout la conquête de la Grece & de l’Asie, engagerent les Romains à pousser cette voie jusqu’aux extrémités de l’Italie, sur les bords de la mer Ionienne, c’est-à-dire à l’étendre jusqu’à 350 milles. Jule-César ayant été établi commissaire de cette grande voie, la prolongea le premier après Appius, & y fit des dépenses prodigieuses. On croit que les pierres qu’il y employa furent tirées de trois carrieres de la Campanie, dont l’une est près de l’ancienne ville de Sinuesse, l’autre près de la mer entre Pouzzol & Naples, & la derniere proche de Terracine. Cette voie a aussi été nommée via trajana, après que Trajan l’eut fait réparer de nouveau. Gracchus y avoit fait poser les thermes, & on l’appella toujours pour son antiquité, sa solidité, & sa longueur, regina viarum.

Autant cette voie étoit entiere & unie autrefois, autant est-elle délabrée aujourd’hui ; ce ne sont que morceaux détachés qu’on trouve de lieu à autre dans des vallées perdues ; il est difficile dans plusieurs endroits de la pratiquer à cheval ni en voiture, tant à cause du glissant des pierres, que pour la profondeur des ornieres ; les bords du pavé qui subsistent encore çà & là, ont vingt palmes romaines, ou quatorze piés moins quatre pouces, mesure d’Angleterre.

Voie ardéatine. Quelques-uns lui font prendre son origine dans Rome même, au-dessous du mont Aventin, près les thermes d’Antonius Caracalla, d’où ils la font sortir par une porte du même nom, & la conduisent dans la ville d’Ardea, entre la voie appienne & la voie ostiense ; c’est le sentiment d’Onuphrius, qui dit, hæc (Ardeatina) intraurbem sub Aventino juxta thermas antonianas principium habebat. Cependant le plus grand nombre de savans sont partir la voie ardéatine de celle d’Appius, hors de Rome, au-travers des champs à main droite. Quoi qu’il en soit, cette route n’avoit que trois milles & demi de longueur, puisque la ville d’Ardea étoit située à cette distance de Rome.

Voie aurélienne, en latin via aurelia. Elle prit son nom d’Aurélius Cotta, ancien consul, qui fut fait censeur l’an de Rome 512. Cette voie alloit le long des côtes en Toscane, jusqu’à Pise ; elle étoit double, savoir via aurelia vetus, & via aurelia nova, qu’on nomma de son restaurateur, via trajana ; elle touchoit aux endroits Lorium, Alsium, Pyrgos, Castrum novum, & Centum cellæ. On conjecture que la voie nouvelle aurélienne fut l’ouvrage d’Aurélius Antonin, & l’on croit qu’elle étoit jointe à l’ancienne.

Voie cassienne, en latin via cassia. Elle alloit entre la voie flaminienne, & la voie aurélienne, au-travers de l’Etrurie. L’on prétend en avoir vu les vestiges entre Sutrio, aquæ passeræ, & près de Vulsinio jusqu’à Clusium ; & l’on conjecture qu’elle fut l’ouvrage de Cassius Longinus, qui fut censeur l’an de Rome 600, avec Valérius Messala.

Voie ciminia, en latin ciminia via ; elle traversoit en Etrurie, la montagne & la forêt de ce nom, & passoit à l’orient du lac aujourd’hui nommé lago di