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propos de les rechercher dans le sud-est, quoique les Saxons, les Danois & les Normands ayent été grands navigateurs en leur tems, & qu’on puisse assez naturellement présumer qu’ils ont rapporté leurs noms germaniques en Angleterre.

Le docteur Jean Arbuthnot dans la préface de ses tables des anciennes monnoies, poids & mesures, &c. expliqués en plusieurs dissertations, donne une haute idée des recherches du docteur Hooper, & nous dit que si l’on examine l’unité de vue qui regne dans tout l’ouvrage, l’exactitude des calculs, la sagacité des conjectures, l’habileté à corriger, & à comparer ensemble les passages des anciens auteurs, & l’érudition qui brille dans ses recherches, on est obligé d’avouer qu’elles surpassent tout ce qu’on avoit encore publié sur cette matiere.

Mais l’écrivain le plus fameux du comté de Worcester est Butler (Samuel), auteur d’Hudibras. Il naquit en 1612, selon les uns, ou plutôt vers l’année 1600, selon M. Charles Longueville, qui a pu en être mieux instruit que personne. Butler étoit fils d’un honnête fermier, qui le fit étudier à Worcester, & à l’université. Au goût de la Poésie, il joignit celui de la Peinture ; & l’on ne doit pas s’en étonner, car presque toutes les parties de la Poésie se trouvent dans la Peinture. Le peintre doit animer ses figures, & le poëte prête un corps aux sentimens & aux expressions ; l’un donne de la vie à une belle image, & l’autre de la force & du corps à des pensées sublimes.

Après le rétablissement de Charles II. ceux qui étoient au timon des affaires faisant plus de cas de l’argent que du mérite, notre poëte éprouva la vérité d’une sentence de Juvenal.

Haud facilè emergunt, quorum virtutibus obstat
Res angusta dom

Jamais espérances ne furent plus belles que les siennes lorsqu’il vint à Londres. Devancé par sa réputation, il se vit accueilli de tout le monde, lu avec admiration & nourri de promesses de se voir honoré de la faveur du prince. Mais quelle fût sa récompense ? Il ne gagna par son génie, par l’agrément de sa conversation, par la régularité de ses mœurs, que la pauvreté & des louanges. Il ne retira pas du produit de ses vers de quoi se faire ensevelir ; mais il conserva sa santé jusqu’à la derniere vieillesse, & mourut en 1680 sans plaintes & sans regrets à l’âge d’environ 80 ans.

Il demeura sans tombe jusqu’à ce que l’Alderman Barber, depuis maire de la ville de Londres, eut la générosité d’honorer la mémoire de cet homme illustre, en lui érigeant un tombeau dans l’abbaye de Westminster.

C’est le poëme d’Hudibras qui lui acquit sa grande réputation ; & quoiqu’il s’en soit fait plusieurs éditions, il n’y en a aucune qui égale le mérite de l’ouvrage. M. Hogarth, dont le génie semble avoir beaucoup de rapport avec celui de Butler, a gravé à l’eau-forte une suite de tailles-douces, contenant les aventures d’Hudibras & de Rodolphe son écuyer, qui ont tout le grotesque qui convient au sujet.

On a fait quantité d’imitations de cet agréable poëme, parce qu’un ouvrage original n’a pas plutôt paru, que les barbouilleurs en font de mauvaises copies. Dès que Guilliver eut publié ses voyages, il se vit d’abord une multitude de parens qui naissoient comme autant de champignons, & qui fatiguerent le public de leurs fades aventures. Le Beggar’s opera a été accompagné d’une longue suite d’opéras insipides. Le bon Robinson Crusoé lui-même n’a pu se sauver des mains de la gent imitatrice. Je regarde de semblables productions comme autant d’avortons disgraciés, destinés par Apollon

à servir de mouche aux beautés virginales.

On peut donner plusieurs raisons pourquoi des imitations on des suites des pieces originales en approchent si rarement pour la beauté. En premier lieu, les écrivains d’un génie supérieur dédaignent d’être copistes ; comme ils trouvent en eux un riche fonds d’invention, ils ne cherchent point à emprunter des autres. Secondement, un auteur qui travaille dans un goût nouveau est si plein de son idée, il la combine sans cesse de tant de manieres, qu’il l’envisage-sous toutes les faces où elle peut paroître avec avantage.

Les essais qu’on a fait pour traduire Hudibras en latin, on en d’autres langues, n’ont point eu de succès ; & l’on ne doit pas le flatter que ce poëme réussisse dans une traduction, parce que le sujet & les diverses parties qui y entrent sont burlesques, ne regardent que l’Angleterre dans un petit point de son histoire, & n’ont du rapport qu’à ses coutumes. On raconte dans ce poëme (qui tourne en ridicule la guerre civile) une suite de petites aventures pour se moquer des têtes rondes qui faisoient cette guerre. Or tout cela n’a point de grace dans une langue étrangere.

Il manque un commentaire complet sur ce poëme, dont quantité d’endroits perdent de leur beauté, de leur force & de leur feu faute d’être bien entendus aujourd’hui par les Anglois mêmes. On pourroit joindre à ce commentaire des observations sur l’économie, la conduite, les comparaisons & le style de ce poëme, ce commentaire donneroit au plus grand nombre de lecteurs une connoissance plus juste des beautés qui s’y trouvent. Je voudrois aussi qu’on en remarquât les défauts, car l’auteur d’Hudibras a trop souvent affecté d’employer des images basses, & les expressions les plus triviales pour relever le ridicule des objets qu’il dépeint. Il ressemble souvent à nos bateleurs, qui croient donner de l’esprit à leurs bouffons par les haillons dont ils les couvrent. La bonne plaisanterie consiste dans la pensée, & naît de la représentation des images dans des circonstances grotesques.

Butler a pris l’idée de son Hudibras de l’admirable don Quixote de Cervantes ; mais à tous les autres égards, il est parfaitement original par le but, les sentimens & le tour. Voici quel a été son but. Comme le tems où l’auteur vivoit étoit fameux par le zele affecté qui regnoit pour la religion & la liberté, zele qui avoit bouleversé les lois & la religion d’Angleterre en introduisant l’anarchie & la confusion, il n’y avoit rien de plus avantageux dans cette conjoncture aux yeux de tous les royalistes, que d’arracher le masque à ceux qui s’en étoient servi pour se déguiser, & de les peindre des couleurs les plus ridicules ; c’est ce qui fait qu’il ne les censure pas d’un ton sérieux, mais toujours en plaisantant pour mieux frapper au but qu’il se propose.

Dans cette vue, le poëte suppose que les maximes presque impraticables des puritains sur la rigide administration de la justice ont tourné la cervelle à son chevalier, de la même maniere que la lecture des livres de chevalerie avoit dérangé l’esprit de don Quixote. Le chevalier d’Hudibras se met donc en campagne pour rétablir chacun dans ses droits ; & il étend même sa protection à des ours qu’on mene à la foire, non pour leur profit, mais pour celui de leurs conducteurs, supposant que ces animaux ont été privés arbitrairement de leur liberté naturelle, sans qu’on leur ait fait leur procès dans les formes & par-devant leurs pairs. Comme tout le poëme est sur le ton plaisant, les différentes aventures du pieux chevalier & de son ridicule écuyer sont dans le même goût, & finissent toujours plaisamment. L’économie & le tour du poëme dans son tout ont