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en prévenir ou en dissiper les mauvais effets ; 1°. l’yvresse dans le premier, & le plus souvent dans le second degré, se termine naturellement tans le secours de l’art ; les symptômes qui la caractérisent alors, quoiqu’effrayans au premier aspect, n’ont rien de dangereux ; il est même des cas où le trouble excité pour lors dans la machine est avantageux ; par exemple, dans des petits accès de mélancholie ; dans l’inertie de l’estomac, la paresse des intestins, la distension des hypochondres, pourvu qu’il n’y ait point de maladie considérable, dans quelques affections chroniques, & enfin lorsque sans être malade, la santé paroît languir, il est bon de la reveiller un peu, & une legere yvresse produit admirablement bien cet effet : les médecins les plus éclairés sont toujours convenus qu’il falloit, de tems-en-tems, ranimer, & remonter, pour ainsi dire, la machine par quelque excès ; on s’est aussi quelquefois très-bien trouvé de faire ennyvrer des personnes qui ne pouvoient pas dormir, & auxquelles on n’avoit pu faire revenir le sommeil par aucun des secours qui passent pour les plus appropriés ; le troisieme degré d’yvresse est toujours un état fâcheux accompagne d’un danger pressant, les accidens qui le constituent indiquent des remedes prompts & efficaces ; cependant, comme nous l’avons déja marqué, quoiqu’ils soient très-grands, il y a beaucoup plus d’espérance de guérison, que s’ils étoient produits par une autre cause : ce n’est gueres que dans ce cas qu’on emprunte contre l’yvresse le secours de la médecine ; dans les autres, on laisse aux personnes yvres le soin de cuver leur vin, & de se défaire eux-mêmes par le sommeil & quelques évacuations naturelles, de leur yvresse, on pourroit cependant en faciliter la cessation.

2°. Les remedes que la médecine fournit, peuvent, suivant quelques auteurs, remplir deux indications, ou d’empêcher l’yvresse, ou de la guérir ; le meilleur moyen pour l’empêcher, seroit sans doute de s’en tenir à un usage très-modéré des liqueurs fermentées ; mais les buveurs peu satisfaits de cet expédient, voudroient avoir le plaisir de boire du vin, sans risquer d’en ressentir les mauvais effets : l’on a en conséquence imaginé des remedes qui pussent châtrer sa vertu enyvrante, qui pris avant de boire des liqueurs fermentées, pussent détourner leur action ; & l’on a cru parvenir à ce but en faisant prendre les huileux qui défendissent l’estomac des impressions du vin, & qui la chassassent doucement du ventre, ou des diurétiques qui le déterminassent promptement par les urines, l’on a célebré sur tout les vertus de l’huile d’olives : Nicolas Pison prétend qu’après en avoir pris, on pourroit boire, sans s’enyvrer, un tonneau de vin. Dominicus Leoni-Lucencis recommande pour cet effet les olives confites avec du sel ; plusieurs auteurs vantent l’efficacité du chou mangé au commencement du repas ; Craton vouloit qu’on le mangeât crud ; il y en a qui attribuent la même propriété aux petites raves & radis, qu’on sert dans ces pays en hors-d’œuvre ; le lait a aussi été ordonné dans la même vue, & enfin les pilules de Glasius, qu’on a appellées pilules contre l’yvresse, passent pour avoir très-bien réussi dans ce cas. Plater assûre s’être toujours préservé de l’yvresse, quoiqu’il bût beaucoup de liqueurs fermentées, ayant seulement attention de ne pas boire dans les repas qui durent long-tems, jusqu’à ce qu’il eût beaucoup mangé pendant une ou deux heures. Observ. l. I. p. 41.

Si on peut parvenir à empêcher l’yvresse, & à détourner les hommes par les secours moraux de s’exposer aux causes qui l’excitent ; quelques auteurs promettent d’inspirer du dégoût pour le vin, en y mêlant quelques remedes (Faschius a fait le recueil de ceux dont on vante l’efficacité dans ce cas,-

ampelograph. sect. vj. cap. 11.) de ce nombre sont les renettes

& l’anguille étouffées dans le vin, les œufs de chouette, les pleurs de la vigne, les raisins de mer, &c. d’autres ont ajouté le brochet, les rougets, les tortues, les lézards étouffés dans le vin, la fiente de lion, les semences de chou, &c. infusées dans la même liqueur ; il est peu nécessaire d’avertir combien tous ces remedes sont fautifs & ridicules.

Lorsque l’yvresse est bien décidée, & qu’il s’agit de la dissiper, il n’y a point de remede plus assuré & plus prompt que les acides ; ils sont, dit Plater, l’antidote spécifique de l’yvresse ; dans cette classe se trouvent compris les vinaigres, l’oxicrat, les sucs de citron, de grenade, d’épine-vinette, le lait acide, les eaux minérales acidules, & sur-tout le tartre du vin ; je suis très-persuadé que ces remedes qui guérissent en trés-peu de tems l’yvresse, en pourroient être, pris avant de boire, des préservatifs efficaces ; si l’yvresse est parvenue au troisieme degré, & si les accidens sont graves, il faut faire vomir tout-de-suite, soit par l’émétique, soit en irritant le gosier ; la nature excitant souvent d’elle-même le vomissement nous montre cette voie, que le raisonnement le plus simple auroit indiqué. Langius conseille de ne pas laisser dormir les personne, yvres avant de les avoir fait vomir. On peut aussi employer dans les cas d’yvresse avec apoplexie, les différentes especes d’irritans, les lavemens forts, purgatifs, les sternutatoires, les odeurs fortes, les frictions, &c. Henri de Heers dit avoir reveillé d’une yvresse en lui tirant les poils de la moustache, un homme qui étoit depuis quatre jours dans une espece d’apoplexie, & qu’enfin après avoir éprouvé inutilement toutes sortes de remedes on alloit trépaner. Les passions d’ame vives & subites, telles que la joie, la crainte, la frayeur, sont très-propres à calmer sur le champ le délire de l’yvresse ; on peut voir plusieurs exemples qui le prouvent, rapportés par Salomon Reizelius, miscell. natur. curios. ann. ij. observ. 117. Cet auteur dit, qu’étant à Ottenville, un homme yvre étant tombé dans un fumier, & craignant de paroître dans cet état devant son épouse, descendit dans un fleuve pour se laver ; il fut si vivement saisi par la fraicheur subite de l’eau, qu’il rentra tout-de-suite dans son bon sens. Un autre éprouva aussi dans l’instant le même effet ; à-peine toucha-t-il l’eau d’un fleuve où il étoit descendu, que soit la fraîcheur de l’eau, soit la crainte qu’il eut de se noyer, l’yvresse fut entierement dissipée : un troisieme, dont parle le même auteur, ayant blessé en badinant un de ses amis, fut si effrayé de voir couler son sang avec abondance, qu’il recouvra sur le champ l’usage de la raison. (m)

Yvresse, (Critique sacrée.) ce mot ne se prend pas toujours dans l’Ecriture pour une yvresse réelle ; très souvent il ne désigne que boire jusqu’à la gaieté dans un repas d’amis ; ainsi, quand il est dit dans la Genèse, xliij. 34. que les freres de Joseph s’enyvrerent avec lui la seconde fois qu’ils le virent en Egypte ; ces paroles ne doivent point offrir à l’imagination une yvresse réelle ; celles-ci, qui inebriat ipse quoque inebriabitur, prov. xj. 25. celui qui fait boire, boira semblablement, sont des paroles proverbiales, qui signifient que l’homme libéral sera librement récompensé. De même ce passage du Deuter. xxix. 19. absumet ebrius sitientem, la personne qui a bû, l’emporta sur celle qui a soif ; est une maniere de proverbe dont se sert Moïse, pour dire que le fort accablera le foible. Quand saint Paul dit aux Corinth. xj. 21. dans vos repas l’un a faim & l’autre est yvre, ὃς δὲ μεθύει, cela signifie tout-au-plus, boit largement ; c’est le sens du verbe μεθύειν, ou plutôt il faut traduire est rassasié ; car enyvrer dans le style des Hébreux, est combler de biens. Ecclés. j. 24. (D. J.)

YVROGNERIE, s. f. (Gram. & Jurisprud.) nous