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tes leurs graces allumées paroissent sur leurs joues. L’âge avancé fournit ici sa tâche ; la main même des enfans traine le rateau : surchargés du poids odoriférant, ils tombent, & roulent sur le fardeau bienfaisant : la graine de l’herbe s’éparpille tout-au-tour. Les faneurs s’avancent dans la prairie, & étendent au soleil la récolte qui exhale une odeur champêtre. Ils retournent l’herbe séchée : la poussiere s’envole au long du pré ; la verdure reparoît ; la meule s’éleve épaisse & bien rangée. De vallon en vallon, les voix réunies par un travail heureux, retentissent de toutes parts ; l’amour & la joie sociable perpétuent gaiment le travail jusqu’au soir prêt à commencer.

Le dieu qui doroit nos campagnes
Va se dérober à nos yeux ;
Il fuit, & son char radieux
Ne dore plus que les montagnes.
Les nymphes sortent des forêts
Le front couronne d’amaranthes ;
Un air plus doux, un vent plus frais
Raniment les roses mourantes ;
Et descendant du haut des monts,
Les bergeres plus vigilantes
Rassemblent leurs brebis bêlantes
Qui s’égaroient dans les vallons.

Je perce en ces momens dans la profonde route des forêts voisines, où les arbres sauvages agitent sur la montagne leurs cimes élevées. A chaque pas grave & lent, l’ombre est plus épaisse ; l’obscurité, le silence, tout devient imposant, auguste, & majestueux ; c’est le palais de la réflexion, le séjour où les anciens poëtes sentoient le souffle inspirateur.

Reposons-nous près de cette bordure baignée de la fraicheur de l’air humide. Là, sur un rocher creux & bisarrement taillé, je trouve un siége vaste & commode, double de mousse, & les fleurs champêtres ombragent ma tête. Ici le disque baissé du soleil éclaire encore les nuages, ces belles robes du ciel qui roulent sans cesse dans des formes vagues, changeantes, & semblables aux rêves d’une imagination éveillée.

La terre sera bien-tôt couverte de fruits : l’année est dans sa maturité. La fécondité suivie de ses attributs, portera la joie dans toute l’étendue de ce beau climat ; mais les douces heures de la promenade sont arrivées pour celui qui, comme moi, se plaît solitairement à chercher les collines. Là, il s’occupe à faire passer dans son ame par un chant pathétique, le calme qui l’environne. Des amis réciproquement unis par les liens d’une douce société, viennent le joindre. Un monde de merveilles étale ses charmes à leurs yeux éclairés, tandis qu’elles échappent à ceux du vulgaire. Leurs esprits sont remplis des riches trésors de la Philosophie, lumiere supérieure ! La vertu brûle dans leurs cœurs, avec un enthousiasme que les fils de la cupidité ne peuvent concevoir. Invités à sortir pour jouir du déclin du jour, ils dirigent ensemble leurs pas vers les portiques des bois verds, vaste lycée de la nature. Les épanchemens du cœur fortifient leur union dans cette douce école, où nul maître orgueilleux ne regne. Maintenant aussi les tendres amans quittent le tumulte du monde, & se retirent dans des retraites sacrées. Ils répandent leurs ames dans des transports que le dieu d’amour entend, approuve, & confirme.

Enfin :

Le soleil finit sa carriere,
Le tems conduit son char ardent,
Et dans des torrens de lumiere,
Le précipite à l’occident :
Sur les nuages qu’il colore
Quelque tems il se reproduit ;
Dans leurs flots azurés qu’il dore,
Il rallume le jour qui suit.

L’astre de la nature s’abaissant, semble s’élargir par degrés ; les nuages en mouvement entourent son trône avec magnificence, tandis que l’air, la terre, & l’océan sourient. C’est en cet instant, si l’on en croit les chantres fabuleux de la Grece, que donnant relâche à ses coursiers fatigués, Phœbus cherche les nymphes, & les bosquets d’Amphitrite. Il baigne ses rayons, tantôt à moitié plongé, tantôt montrant un demi-cercle doré ; il donne un dernier regard lumineux, & disparoît totalement.

Ainsi passe le jour, parcourant un cercle enchanté, trompeur, vain, & perdu pour jamais, semblable aux visions d’un cerveau imaginaire ; tandis qu’une ame passionnée, perd en desirs les momens, & que l’instant même ou elle desire, est anéanti. Fatale vérité, qui ne présente à l’oisif speculateur qu’une vie inutile, & une vue d’horreur au coupable, qui consume le tems dans des plaisirs honteux ! Fardeau à charge à la terre ; il dissipe bassement avec ses semblables, ce qui auroit pû rendre l’être à une famille languissante, dont la modestie ensevelit le mérite.

Les nuages s’obscurcissent lentement ; la tranquille soirée prend son poste accoutume au milieu des airs. Des millions d’ombres sont à ses ordres : les unes sont envoyées sur la terre ; d’autres d’une couleur plus foncée, viennent doucement à la suite ; de plus sombres encore succedent en cercle, & se rassemblent tout autour pour fermer la scene. Un vent frais agite les bois & les ruisseaux ; son souffle vacillant fait ondoyer les champs de blés, pendant que la caille rappelle sa compagne. Le vent rafraîchissant augmente sur la plaine, & le serein chargé d’un duvet végétal, se répand agréablement ; le soin universel de la nature ne dédaigne rien. Attentive à nourrir ses plus foibles productions, & à orner l’année qui s’avance, elle envoie de champ en champ, le germe de l’abondance sur l’aile des zéphirs.

Le berger lestement vétu, revient content à sa cabane, & ramene du parc son tranquille troupeau ; il aime, & soulage la laitiere vermeille qui l’accompagne ; ils se prouvent leur amour par des soins & des services réciproques. Ils marchent ensemble sans soucis sur les collines, & dans les vallons solitaires, lieux où sur la fin du jour, des peuples de fées viennent en foule passer la nuit d’été dans des jeux nocturnes, comme les histoires des villages le racontent. Ils évitent seulement la tour deserte, dont les ombres tristes occupent les voûtes ; vaine terreur que la nuit inspire à l’imagination frappée ! Dans les chemins tortueux, & sur chaque haie de leur route, le ver-luisant allume sa lampe, & fait étinceler un mouvement brillant à-travers l’obscurité.

La Soirée cede le monde à la Nuit qui s’avance de plus en plus, non dans sa robe d’hiver d’une trame massive, sombre & stygienne, mais négligemment vêtue d’un manteau fin & blanchâtre. Un rayon foible & trompeur, réfléchi de la surface imparfaite des objets, présente à l’œil borné les images à demi, tandis que les bois agités, les ruisseaux, les rochers, le sommet des montagnes qui ont plus longtems retenu la lumiere expirante, offrent une scene nageante & incertaine.

Les ombres, du haut des montagnes,
Se répondent sur les côteaux ;
On voit fumer dans les campagnes
Les toits rustiques des hameaux.

Sous la cabane solitaire
Des Philémons & des Baucis,
Brûle une lampe héréditaire,
Dont la flamme incertaine éclaire
La table où les dieux sont assis.

Rangés sur des tapis de mousse ;
Le vent qui rafraîchit le jour,