Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 17.djvu/739

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont le travail vous procura la chaleur, & la parure de vos habits ; veillez aux besoins de cette pauvre table, qui couvrit la vôtre de luxe & de profusion ; soyez compatissans, & gardez vous sur-tout d’exiger la moindre chose de ce que les vents orageux & les pluies affreuses ont emporté ; enfin que votre bienfaisance tarisse les larmes, & vous procure mille bénédictions !

Les plaisirs de la chasse, le tonnerre des armes, le bruit des cors, amusemens de cette saison, ne sont pas faits pour ma muse paisible, qui craindroit de souiller ses chants innocens par de tels récits ; elle se complait à voir toute la création animale confondue, nombreuse, & tranquille. Quel misérable triomphe que celui qu’on remporte sur un lievre saisi de frayeur ? quelle rage que celle de faire gémir un cerf dans son angoisse, & de voir de grosses larmes tomber sur ses joues pommelées ? s’il faut de la chasse à la jeunesse guerriere, dont le sang ardent bouillonne avec violence, qu’elle combatte ce lion terrible qui dédaigne de reculer, & qui marche lentement & avec courage, au-devant de la lance qui le menace, & de la troupe effrayée qui se dissipe & s’enfuit ; attaquez ce loup ravisseur qui sort du fond des bois ; détachez sur lui son ennemi plein de vengeance, & que le scélérat périsse ; courez à ce sanglier dont les heurlemens horribles & la hure menaçante, présagent le ravage ; que le cœur de ce monstre soit percé d’un dard meurtrier.

Mais si notre sexe martial aime ces fiers divertissemens, du moins que cette joie terrible ne trouve jamais d’accès dans le cœur de nos belles ! que l’esprit de la chasse soit loin de ce sexe aimable ; c’est un courage indécent, un savoir peu convenable à la beauté, que de sauter des haies, & de tenir les renes d’un cheval fougueux ; le bonnet, le fouet, l’habit d’homme, tout l’attirail mâle, alterent les traits délicats des dames, & les rend grossiers aux sens ; leur ornement est de s’attendrir ; la pitié que leur inspire le malheur, la prompte rougeur qui colore leur visage au moindre geste, au moindre mot ; voilà leur lustre & leurs agrémens ; leur crainte, leur douceur, & leur complaisance muette, nous engagent même en paroissant reclamer notre protection.

Puissent leurs yeux enchanteurs n’appercevoir d’autres spectacles malheureux que les pleurs des amans ! que leurs membres délicats flottent négligemment dans la simplicité des habits ! qu’instruites dans les doux accords de l’harmonie, leurs levres séduisantes captivent nos ames par des sons ravissans ! que le luth s’attendrisse sous leurs doigts ! que les graces se developpent sous leurs pas, & dans tous leurs mouvemens ! qu’elles tracent la danse dans ses contours ! qu’elles sachent former un verd feuillage sur la toile d’un blanc de neige ; qu’elles guident le pinceau ; que l’art des Amphions n’ait rien d’inconnu pour elles ; ou que leurs belles mains daignant cultiver quelques fleurs, concourrent ainsi à multiplier les parfums de l’année !

Que d’autre part, leur heureuse fécondité perpétue les amours & les graces ; que la société leur doive sa politesse & ses goûts les plus fins ; qu’elles fassent les délices de l’homme économe & paisible ; & que par une prudence soumise, & une habileté modeste, adroite, & sans art, elles excitent à la vertu, raniment le sentiment du bonheur, & adoucissent les travaux de la vie humaine ! telle est la gloire, tel est le pouvoir & l’honneur des belles.

Après avoir quitté les champs de la moisson, parcourons dans un songe agréable le labyrinthe de l’automne ; goûtons la fraîcheur & les parfums du verger chargé de fruits. Le plus mûr se détache & tombe en abondance, obéissant au souffle du vent & au soleil qui cache sa maturité. Les poires fondantes sont dis-

persées avec profusion ; la nature féconde qui rafine

tout, varie à-l’infini la composition de ses parfums, tous pris dans la matiere premiere mêlangée des feux tempérés du soleil, d’eau, de terre & d’air. Tels sont les trésors odoriférans qui tombent fréquemment dans les nuits fraiches ; ces tas de pommes dispersées çà & là, dont la main de l’année forme la pourpre des vergers, & dont les pores renferment un suc spiritueux, frais, délectable, qui aiguise le cidre piquant d’un acide qui flatte & désaltere. Ici la pêche m’offre son duvet ; là je vois le pavis rouge, & la figue succulente cachée sous son ample feuillage.

Plus loin, la vigne protégée par un soleil puissant, s’enfle & brille au jour, s’étend dans le vallon, ou grimpe avec force sur la montagne, & s’abreuve au milieu des rochers de la chaleur accrue. par le réflet de tous les aspects. Les branches chargées plient sous le poids. Les grappes pleines, vives & transparentes, paroissent sous leurs feuilles orangées. La rosée vivifiante nourrit & perfectionne le fruit, & le jus exquis qu’il renferme, se prépare par le mélange de tous les rayons. Les jeunes garçons & les filles qui s’aiment innocemment, arrivent pour cueillir les prémices de l’automne : ils courent & annoncent en dansant le commencement de la vendange. Le fermier la reçoit & la foule ; les flots de vin & d’écume coulent en telle abondance, que le marc écrasé en est couvert. Bientôt la liqueur fermente, se rafine par degrés. & remplit de liesse la coupe des peuples voisins. Là se prépare. le vin brillant, dont la couleur en le buvant rappelle à notre imagination animée la levre que nous croyons pressée. Ici se fait le bourgogne délicieux ou le joyeux champagne, vif comme l’esprit qu’il nous donne.

Les Hyades, Vertumne, & l’humide Orion,
Sur la terre embellie ont versé leurs largesses ;
Et Bacchus échappé des fureurs du lion,
A bien su tenir ses promesses.

Jouissons en repos de ce lieu fortuné,
Le calme & l’innocence y tiennent leur empire ;
Et des soucis affreux le souffle empoisonné
N’y corrompt point l’air qu’on respire.

Pan, Diane, Apollon, les Faunes, les Sylvains,
Peuplent ici nos bois, nos vergers, nos montagnes ;
La ville est le séjour des profanes humains ;
Les dieux habitent les campagnes.

Quand l’année commence à décliner, les vapeurs de la terre se condensent, les exhalaisons s’épaisissent dans l’air, les brouillards paroissent & roulent autour des collines ; le soleil verse foiblement ses rayons ; souvent il éblouit plus qu’il n’éclaire, & présente plusieurs orbes élargis, effroi des nations superstitieuses ! Alors les hirondelles planent dans les airs, & volent en rasant la terre. Elles se rejoignent ensemble pour se transporter dans des climats plus chauds, jusqu’à ce que le printems les invite à revenir, & nous ramene cette multitude légere sur les aîles de l’amour.

Oiseaux, si tous les ans vous changez de climats
Dès que le vent d’hyver dépouille nos bocages,
Ce n’est pas seulement pour changer de feuillages,
Ni pour éviter nos frimats ;
Mais votre destinée
Ne vous permet d’aimer que la saison des fleurs ;
Et quand elle a passé, vous la cherchez ailleurs,
Afin d’aimer toute l’année.

Il est cependant encore des momens dans le dernier période de l’automne, où la lumiere domine & où le calme pur paroît sans bornes. Le ruisseau dont les eaux semblent plutôt frissonner que couler, demeure incertain dans son cours, tandis que les nua-