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droit pas tant de monde que si le feu ennemi étoit égal au sien, & que l’ennemi perdroit davantage que s’il essuyoit seulement un feu égal. Si le feu sur quatre rangs s’exécutoit avec un quart moins de vîtesse que le feu sur trois, les deux feux seroient égaux, la perte en nombre seroit égale, mais moindre en proportion du côté de la troupe qui seroit sur quatre rangs : donc s’il est possible de faire tirer les quatre rangs à-la-fois, de façon que la différence de la vîtesse du feu des quatre rangs soit moindre que le quart de la vîtesse qu’emploieroient les trois rangs ; il est nécessaire de faire feu sur quatre rangs, autrement dit à quatre de hauteur.

Quelle est la plus grande vîtesse avec laquelle l’infanterie peut faire feu, & combien peut-elle tirer de coups de suite ? Le fusil s’échauffe au point de n’être point maniable quelquefois avant le douzieme coup de fusil. Si l’on a tiré ces douze coups de fusil en trois ou quatre minutes, il ne s’échauffe pas davantage ; quand ces douze coups sont tirés dans deux minutes, quand on a fait feu vingt-cinq ou trente fois, il arrive assez souvent que l’intérieur du canon de fusil est sale, gras, & que la cartouche ne peut plus y descendre ; ou si elle y descend, elle pousse vers la culasse assez de suie ou de crasse pour boucher la lumiere.

Supposant que l’on tire quatre coups par minute, une troupe qui feroit le feu plein sur une autre, ne pourroit pas le continuer plus de trois minutes ; si une troupe ne parcourt que quatre piés par seconde, (voyez ordonnances & instructions de 1713 & 1714) elle sera trois minutes à parcourir cent vingt toises, distance à laquelle tout le monde convient qu’elle peut perdre du monde. Voyez ci-après fusil. sa portée. Donc la troupe qui se mettra en marche pour aller charger l’ennemi à l’arme blanche, essuiera tout le feu qu’il est possible, & cela sans avoir riposte d’un seul ; en sorte que sans rien faire perdre à son ennemi, elle aura perdu autant que cet ennemi auroit perdu lui-même, si elle avoit répondu par un feu égal.

Supposant que de cent coups de fusil, un porte, elle aura perdu plus d’un huitieme ; & par conséquent, (l’attaquant dans un ordre semblable) elle aura un desavantage à l’arme blanche, de la même proportion ; mais ce desavantage sera-t-il compensé par l’audace qu’aura pû lui inspirer la marche qu’elle a fait pour attaquer ?

Il paroît certain qu’à ordre semblable, courage ou valeur égale, position égale de terrein, & persuasion égale de la force de leurs ordres, la troupe plus nombreuse d’un huitieme, & qui n’a pas perdu aucun officier, doit repousser & battre celle qui n’a point fait feu ; donc en faisant le feu le plus vif, & plein, dès que l’ennemi marche à vous pour charger à l’arme blanche, on doit être sûr de le battre.

Si le feu au lieu d’être de douze coups par homme dans trois minutes, a été de dix-huit, l’avantage sera de plus d’un tiers.

Si la troupe qui a marché a employé plus de trois minutes à parcourir les cent vingt toises, l’avantage sera encore plus grand ; mais si elle a employé quatre minutes ou quatre minutes & demie, elle aura perdu la moitié de son monde ou plus, l’autre ayant pu tirer vingt-quatre ou vingt-sept coups.

Mais comment faire tirer vingt-quatre coups de suite, les fusils n’en pouvant tirer que douze ? C’est en faisant remplacer les rangs qui auroient tiré douze coups par un même nombre d’autres rangs ; les fusils auroient alors autant de tems à se rafraîchir, qu’on auroit été de tems à s’en servir, & successivement le feu seroit continuel, jusqu’à ce que les fusils fussent trop sales.

Les fusils ne sont sales qu’après avoir tiré vingt-cinq coups ; il se trouveroit donc que l’ennemi pourroit en essuyer cinquante de suite ; mais si de cent coups un seulement porte, il faut que l’ennemi en ait essuyé cent pour être détruit ; donc il faudroit que les troupes qui sont placées dans des endroits où elles ne peuvent se défendre qu’à coups de feu, pussent être remplacées par un nombre égal, après qu’elles ont tiré vingt-cinq fois : pour cela il faudroit un ordre ou ordonnance sur quatre fois plus de hauteur qu’on ne peut faire tirer de rangs à-la-fois ; si trois sur douze ; si quatre sur seize.

Si de cent coups un porte ; si l’on peut tirer six coups par minute, en quatre minutes un rang ennemi sera détruit ; en huit deux rangs ; en seize quatre rangs ; en vingt-quatre minutes six rangs.

Si de cinquante coups un porte, il faut la moitié moins de tems ; si de vingt-cinq un porte, c’est un quart : en six minutes de feu six rangs seroient détruits, quelque ordre ou ordonnance que prennent les six rangs. Voyez ordre ou ordonnances de bataille.

Mais plus la marche est précipitée, moins l’on perd de monde ; si une troupe parcouroit tout l’espace pendant lequel elle est exposée dans le tems qu’elle ne pourroit essuyer que sept ou huit coups de fusil, elle ne perdroit environ qu’un seizieme ; ce qui ne feroit pas une difference assez sensible pour perdre nécessairement l’égalité à l’arme blanche ; mais je suppose ici que la troupe qui marche pour charger, va jusqu’au terrein qu’occupe celle qui fait le feu le plus vif & le plus plein, & que celle-ci ne le cesse qu’au moment où elle est jointe par l’autre.

Celle qui a marché se trouve alors ses armes chargées & présentées ; elle arrive avec beaucoup de vîtesse contre l’autre qui peut-être est encore occupée d’achever de charger ses armes : cette derniere auroit peut-être encore un desavantage de n’avoir pas été mise en mouvement en-avant auparavant de recevoir le choc.

Il faut donc reconnoître quel est le tems nécessaire pour faire charger les fusils, & s’ébranler en-avant de dix ou douze pas. Cette étendue doit suffire pour recevoir le choc, & contre-balancer toute la marche de l’ennemi, lequel n’acquiert pas de force ni n’en perd par la longueur de sa course ou marche.

A quatre coups par minute, il faut pour charger le fusil quinze secondes, pour le commandement cessez le feu deux ; pour celui marchez en-avant, pas pour le choc, deux ; total dix-neuf secondes ou un tiers de minute : donc le feu doit cesser lorsque l’ennemi a encore à parcourir l’espace de terrein qu’il lui est possible de parcourir en moins d’une demi-minute, ou moins encore, si on charge le fusil en dix secondes, au lieu que nous le supposons ici en quinze.

Supposant des troupes d’infanterie de nombre égal, marchant l’une contre l’autre en plaine unie, dès que l’une des deux après s’être arrêtée, commence à faire feu, & qu’elle est à portée de faire perdre du monde à l’autre, elle a un avantage sur celle qui marche encore ; soit que cette derniere tire en marchant, ou ne tire pas.

Il semble donc que si-tôt que cette derniere voit qu’elle perd quelques hommes, il faut qu’elle arrête & fasse feu de pié ferme ; & si le feu de part & d’autre est aussi vif, & aussi plein, & aussi-bien dirigé, sa partie redevient égale.

Dès que l’une des deux s’apperçoit que le feu qu’elle fait est moins vif, moins plein, ou moins bien dirigé que celui qu’elle essuie, il faut qu’elle marche de la plus grande vîtesse qu’il lui est possible, pour aller charger à l’arme blanche : quand celle qui ne marche pas voit marcher l’autre, elle doit faire toujours le feu le plus vif qu’il lui est possible, jusqu’à ce que l’autre n’ait plus que pour une demi-mi-