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nute environ de terrein à parcourir ; celle qui n’a pas marché doit alors charger ses armes, & aller en-avant.

Dès que celle qui a marché la premiere voit cesser le feu à cette distance, il est peut-être nécessaire (comme César fit à Pharsalle) qu’elle s’arrête pour reprendre haleine, & se remettre en ordre, en remplaçant dans ses rangs la perte qu’elle a soufferte.

Avant que d’un côté l’on ait remarqué que le feu a cessé, & de l’autre que l’ennemi s’est arrêté, il y a presque une demi-minute de tems passé, & la troupe qui a fait feu jusque alors est à la distance d’une demi-minute de chemin de l’autre, ou bien à un quart seulement, si cette troupe qui a fait feu & a cessé de tirer, a pris son parti de marcher en-avant aussi-tôt qu’elle a eu rechargé ses armes ; il faut alors que celle qui a arrêté sa marche & repris haleine, se remette en marché ; elles se rencontreront toutes deux à un quart de minute dans le premier cas, à un huitieme dans le second.

La troupe qui a marché n’a pris ce parti qu’à cause de l’infériorité de son feu ; elle auroit été obligée de céder, si elle n’avoit pas marché en-avant. Voyez ci-dessus pag. précéd. Elle se trouve en présence pour combattre à l’arme blanche ; elle n’a d’infériorité que la perte des hommes qu’elle a essuyée ; cette infériorité peut se réparer à arme blanche & ordre égal, par l’adresse, la force, & la valeur ; la force & la valeur ne peuvent rien à présent contre l’arme à feu : donc la troupe qui réunit l’adresse, la force, & la valeur (toutes les fois qu’elle n’a pas la supériorité du feu), doit nécessairement charger à l’arme blanche, ou se retirer si quelque obstacle insurmontable l’empêche de joindre l’ennemi.

Il n’est pas unanimement reconnu qu’une troupe puisse tirer six coups par minute ; l’avantage qui pourroit résulter de cette vîtesse paroît même problématique à plusieurs ; parce qu’ils voyent souvent dans les exercices que plus on fait un feu vif, plus il y a de fusils qui cessent de faire feu ; en sorte qu’il est arrivé quelquefois qu’à la sixieme décharge, il n’y avoit peut-être pas la moitié des fusils qui tirassent ; mais une expérience bien faite pourroit constater ou détruire ce problème ; on connoît mieux le fusil, les moyens de le manier aisément ; on tire beaucoup plus vîte à présent qu’on ne faisoit il y a trente ans ; peut-être n’est-on pas encore dans toute l’Europe au point de la perfection ; & telle nation n’en est peut-être pas aussi près qu’elle se flatte de l’être ; mais on peut faire des épreuves.

Les troupes dont les fusils n’ont pas fait feu dans toutes les décharges, avoient peut-être des armes défectueuses ; voyez Poudre a tirer ; leurs cartouches étoient peut-être mal-faites ; de papier trop fort, ou trop collé ; leur poudre étoit trop humide, ou leurs fusils étoient peut-être sales depuis long-tems ; mais sur-tout ces troupes manquoient peut-être d’adresse & d’habitude ; & quand même il seroit arrivé une fois qu’une troupe d’infanterie eût fait feu sur l’ennemi, & qu’il se trouvât après un certain tems une grande quantité de poudre, de bales, ou de cartouches répandues devant elle, ce ne pourroit être encore-là une expérience constatée. 1o . Si cette troupe a fait plus de douze décharges de suite, les soldats n’ont pû manier leurs fusils, par conséquent le charger comme il faut ; si le canon des fusils étoit léger & mince, ils n’étoient peut-être plus maniables au huitieme ou au dixieme. 2o . Si cette troupe n’étoit pas persuadée intimement & parfaitement que son feu pouvoit la rendre victorieuse, & la garantir sûrement de sa perte, les soldats ont pû être troublés par la crainte du danger. La nécessité démontrée & connue de tout le monde de tenir tel ordre, de se défendre par tel moyen, dans telle position, peut

seule donner cette confiance ; l’incertitude universelle de l’ordre qu’on doit tenir & des moyens de défenses, fait qu’on la perd nécessairement.

A-propos du feu de chaussée par divisions, j’ai dit qu’il falloit faire un calcul suivant la vîtesse avec laquelle on pouvoit tirer, & l’etendue du front de la division ; j’ai dit ci-devant que pour faire un feu continuel, il falloit quatre fois plus de rangs qu’on n’en peut faire tirer à la-fois, l’explication du feu de chaussée plein peut éclaircir ces deux propositions.

En supposant une chaussée de 64 piés de large, elle pourroit contenir trente-deux files, estimant pour ce calcul chaque soldat occuper deux piés. Pour le feu de chaussée, no 7. (voyez ci-devant), il faudroit laisser à la droite & à la gauche huit piés pour laisser défiler quatre rangs, resteroit donc 24 files à placer de front, dont la moitié est douze, qui doivent parcourir le front de la division qui suit, lorsqu’ils auront cessé de faire feu. En suivant le commandement il faut deux secondes, pour qu’un à droite & un à gauche soient exécutées, & une seconde pour parcourir quatre piés ; ainsi il faut au premier tiers, composé de quatre hommes de front & quatre de hauteur, quatre secondes pour quitter son terrein, après lesquelles il en faut deux, pour que les quatre files du milieu occupent la place que les premieres ont quittée ; il en faut à celles-ci deux pour l’abandonner, & deux secondes après, il est rempli par les quatre dernieres files de ces douze, ce qui fait en tout dix secondes, la division qui suit peut alors faire feu en laissant perdre le terrein qu’occupoit la premiere, & supposant que l’on tire six coups par minutes, ce qui fait un par dix secondes ; de ce calcul que le feu est continuel & sans retard, par un front de 24 hommes sur une chaussée à contenir un front de 32, & qu’il seroit plus vif d’une seconde à chaque changement de divisions autant de fois que l’on le diminueroit de quatre files, puisqu’il faut une seconde pour parcourir le front de deux files, mais une seconde n’est point une augmentation de vitesse sensible, & le nombre de quatre files est le sixieme du feu que l’on perdroit. Si la chaussée étoit de 72 piés, on pourroit avoir quatre files de plus, le feu ne seroit plus lent que d’une minute à chaque changement de division, & il seroit plus fourni d’un sixieme en sus.

Mais dans les 64 piés, on pourroit faire un feu qui ne seroit que d’un vingt-quatre, même d’un vingt-septieme plus lent, & qui seroit d’un tiers en sus plus nombreux, c’est ce que je nommerai feu plein de chaussée ; pour faire ce feu sur une chaussée de 64 piés, il faut quatre divisions de trente-deux hommes de front chacune placée l’une derriere l’autre avec quelqu’intervalle, il faut que ces divisions soient partagées en deux demi, pendant que les deux premieres demi-divisions font feu, les trois divisions entieres qui suivent la premiere, doivent aussi se partager en demi-divisions de seize hommes de front ; de chacune de ces demi-divisions, il faut que les quatre files de droite & de gauche doublent en arriere sur les huit files du centre de leurs demi-divisions, ce qui formera des carrés pleins (si les troupes sont à quatre de hauteur) : lorsque les deux premieres demi-divisions ont tiré douze coups, elles doivent défiler par leur droite, & leur gauche pour aller se reformer, après la derniere division ; lorsqu’elles ont abandonné leur terrein, les deux demi-divisions qui les doivent remplacer se mettent en mouvement, les huit files du centre marchant en avant quatre pas, & les quatre files de leur droite, & leur gauche qui avoit doublé, vont en dédoublant par le pas oblique reprendre leurs places, & ainsi successivement de division en division. Pour que la division qui a fait feu quitte son terrain, les quatre files de la droite & de la gauche de chaque demi-division font demi-tour à