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s’il ne portoit que deux coups des quarante-huit qui seroient tirés, & que l’escadron fût sur trois rangs, il resteroit un tiers ; si ce tiers arrivoit sur les bayonnettes (fussent-elles larges comme les pertuisannes de M. le chevalier Follard), il enfonceroit l’infanterie sans être quasi arrêté, mais il seroit pié à terre en partie ou culbuté à cinquante pas de-là ; l’infanterie perdroit ici de sa force à s’ébranler en avant contre le choc de cette cavalerie, non-seulement parce qu’elle pourroit perdre la forme de son ordre, mais parce qu’elle diminueroit la force de stabilité que lui donne l’union adhérente de ses parties, & que la force & la vîtesse du choc de la cavalerie a une supériorité incommensurable sur la force & la vîtesse de l’infanterie, non-seulement à raison de la masse & de la vîtesse des corps, mais encore par leurs étendues, leurs ressorts & leur forme différente.

Nous avons supposé que si de trois rangs un seul arrivoit sur l’infanterie, il la renverseroit, c’est-à-dire la traverseroit, que ce tiers seroit mis pié à terre, & cela parce que chaque cheval emporteroit au travers du corps quelques bayonnettes ou autres armes.

Mais des soldats aguerris ne pourroient ils pas se remettre en ordre, & seroient-ils donc nécessairement battus par des cavaliers en partie démontés & culbutés en nombre aussi inégal, puisque les soldats seroient huit contre un cavalier ? leur dernier rang seul pourroit, leur faisant face, se trouver le double plus nombreux.

Une seconde attaque à cette infanterie, seroit plus redoutable que la premiere ; elle auroit un quart moins de feu pour s’y opposer, & il arriveroit un plus grand nombre de cavaliers sur elle ; quand elle ne seroit pas encore battue par cette seconde charge, vraisemblablement elle le seroit par une troisieme.

Il semble donc qu’on doit conclure de-là que la cavalerie doit battre l’infanterie : on suppose qu’une portion de ligne d’infanterie est attaquée par un front de cavalerie égal au sien ; que l’infanterie est à quatre de hauteur, & la cavalerie à trois ; il se trouve alors qu’à la seconde charge, l’infanterie aura été attaquée par un nombre de gens de cheval égal au sien ; & à la troisieme par un qui seroit la moitié plus nombreux, il y auroit peu de soldats blessés d’armes à feu, quelques uns le seroient par les piés des chevaux, & vraisemblablement les vainqueurs seroient après leurs victoires moins nombreux que les vaincus ; que peut faire cette cavalerie à de tels vaincus, si ceux-ci ne jettent leurs armes à terre, & ne demandent grace ? mais c’est à quoi le désordre & la frayeur (suite nécessaire du désordre), les obligeront infailliblement. La frayeur est contagieuse ; quelquefois elle se communique d’un coup d’œil, d’un bruit, d’un mot ; elle devient elle-même cause du désordre qui la redouble toujours. Si donc un front d’infanterie étoit pénétré dans une partie par la cavalerie, il est très-possible que le manque de confiance en la force de son ordre, mette le reste de la ligne en désordre, qu’il prenne l’épouvante, qu’il jette ses armes, & qu’il se rende.

Si l’infanterie détruit une grande partie de la cavalerie qui vient l’attaquer, c’est par son feu ; avantage qu’elle n’avoit pas quand elle étoit armée de piques, tous les rangs à la vérité présentoient par échelons, en avant de son premier, le fer des piques incliné à la hauteur du poitrail des chevaux, & le talon des piques étoit arbouté contre terre, & retenu par le pié droit du piquier ; il passoit alors pour certain que la cavalerie ne pouvoit enfoncer l’infanterie, cependant il étoit arrivé assez souvent le contraire : on disoit pourtant comme aujourd’hui, si l’infanterie connoissoit sa force, jamais la cavale-

rie ne l’enfonceroit. Si cet axiome a jamais été vrai,

ne le seroit-il plus ?

L’infanterie a deux moyens de se défendre ; ses armes & son ordre ; si par ses armes, & par tel ou tel ordre, elle n’a pu ni dû résister ; il n’est pas dit que avec ces mêmes armes, & tel autre ordre, elle ne le puisse faire ; il est certain que si la cavalerie ne vient pas heurter les armes de l’infanterie, jamais elle ne l’abattra, car ce n’est que par son choc que la cavalerie peut la vaincre ; puisque elle ne peut contre cette infanterie se servir d’aucunes armes de près ou de loin ; le but que l’infanterie doit se proposer pour résister à la cavalerie, est donc de détruire le plus qu’il est possible par son feu, & d’éviter son choc par l’ordre qu’elle doit tenir. Voyez ordre ou ordonnance, infanterie contre la cavalerie.

Feu du canon. Il n’est pas nécessaire d’avoir recours aux croniques chinoises, pour se persuader que le nombre des pieces de canon de campagne, peut devenir très-considérable, l’expérience des dernieres années de la guerre, peut en convaincre ; l’artillerie de campagne, à la fin du siecle précédent, n’alloit pas au-delà de cinquante à soixante bouches à feu, & on mettoit ordinairement à la suite de chaque armée, autant de pieces de canon qu’il y avoit de milliers d’hommes de pié.

Les équipages de campagne qui ont été mis sur pié dans les Pays-bas, pendant les dernieres campagnes de 1747 & 1748, étoient de cent cinquante pieces de canons, dont 14 de seize, 16 de douze, 30 de huit, 80 de quatre longues ordinaires, & 10 à la suédoise ; chaque piece approvisionnée pour tirer deux cens coups ; cinquante caissons d’infanterie, portant chacun quatorze mille quatre cens cartouches, & douze cens pierres à fusil ; soixante & dix pontons de cuivre, & trente de fer blanc ; les haquets de rechange, & agrets nécessaires à leur suite. Le tout ainsi, les forces, ce qu’on appelle le petit parc, (Voyez ce mot), les outils, menus achats, cent coups d’approvisionement par chaque piece, & quatre-vingt de cent pontons, attelés avec trois mille chevaux d’artillerie ; les cent autres coups par piece, ainsi que sept cens vingt mille cartouches d’infanterie, deux cens mille pierres à fusils, trois mille outils à pioniers, vingt milliers de plomb, & vingt-quatre de poudre ; des meches & artifices portés sur quatre à cinq cens chariots du pays ; on ajoutoit encore deux cens chevaux du pays pour atteler vingt des pontons de fer blanc, & mettre deux chevaux en avant de l’attelage de chacun des autres.

On a joint à ces équipages, dans la derniere campagne, quelques obus, espece de bouche à feu dont l’usage a été reconnu assez utile pour croire qu’il pouvoit être ordonné par la suite qu’il y en ait un certain nombre fixé aux équipages de sieges & de campagne ; il est assez vraissemblable qu’il sera aussi ordonné en France d’avoir, outre ce nombre de canons, encore deux pieces attachées à chaque bataillon, à l’imitation de quelques autres puissances.

Le service du canon est au moins autant perfectionné que le maniement du fusil, les écoles d’artillerie dont le but a été principalement d’instruire sur l’usage que l’on en doit faire pour l’attaque & la défense des places, ne se sont point bornées à ce seul objet ; & quoique le service de campagne ne demande pas tant de soins, de frais, d’attirails, de précautions, ni de théorie, il a cependant toujours fait dans ces écoles une partie qu’on ne peut négliger, & non seulement l’étude de l’artillerie par rapport aux sieges, mais encore celle de la guerre de campagne en a formé également l’objet.

Ce qu’on appelle pour une armée artillerie de campagne, est séparé de celle que l’on fait joindre pour les sieges ; elle a des officiers nommés pour y servir,