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des entrepreneurs, des chevaux, un détachement du régiment & corps royal de l’artillerie & du génie, indépendamment de ceux qu’on y attache, tirés de l’infanterie de l’armée.

Le commandant en chef de l’artillerie d’une armée, l’est également de celle de siege & de celle de campagne ; mais il envoie un officier supérieur, qui lui est subordonné, pour commander celle de campagne dans les endroits où le général de l’armée ne juge pas sa présence nécessaire.

Toutes les différentes parties de l’attirail de l’artillerie, sont séparées & reparties par brigades, pour la commodité du service.

Le major de ce corps prend le mot du maréchal de camp de jour, mais n’est point dispensé d’aller ou d’envoyer tous les jours un officier major au détail de l’infanterie, chez le major général, pour l’exécution des ordres qui s’y donnent relatives à l’artillerie, soit pour marche, détachemens, escorte, distribution de bouche, ou de munitions, ou fourrages.

Dans les détachemens un peu considérables en infanterie, on envoie assez souvent jusqu’à deux brigades du canon de quatre livres de balles, & même quelquefois une du calibre de huit, aux arrieres gardes d’armées, ainsi qu’aux campemens on en envoie selon le besoin ; un jour d’affaire on distribue le canon le long du front de la ligne, mais par préférence devant l’infanterie à portée de défendre le canon qui peut n’avoir pas la facilité de se retirer aussi vîte que la cavalerie peut être contrainte de le faire.

Quoiqu’on ait jusqu’à la fin de la derniere guerre négligé d’instruire l’infanterie françoise de se servir de son feu le plus vivement qu’il est possible, sous le prétexte que le génie de la nation est d’attaquer avec les armes blanches, & que le feu ne pouvoit pas faire gagner les batailles ; l’expérience faite dans certains cas, a prouvé le contraire, assez pour engager à ne point négliger d’instruire les troupes au feu ; & il est à croire que l’on cessera également de dire par la suite que le feu du canon est peu de chose, qu’il faille être prédestiné pour en être frappé, & qu’il ne peut causer aucun dérangement aux manœuvres des troupes aguerries ; qu’enfin on n’y doit point avoir égard.

Cent pieces de canons peuvent être portées au front d’une premiere ligne, si l’infanterie de cette ligne est de quarante bataillons partagés en dix brigades, il peut y avoir dix batteries sur cette étendue ; elles peuvent être supposées de huit pieces, il en resteroit encore vingt pour répartir aux extrémités des ailes, où l’on a souvent placé de l’infanterie ; ce seroit donc huit pieces vis-à-vis quatre bataillons ; ces huit pieces tireroient dès que l’ennemi seroit à cinq cens toises, & comme les bataillons seroient par le pas redoublé de l’ordonnance dix minutes un quart à parcourir cet espace, les canons tireront bien mirés & ajustés, cinq coups par chaque minute ; c’est donc cinquante coups par piece, & quatre cens pour les huit : si un quart des coups porte, il frappera chaque fois quatre hommes au moins, donc ce sera quatre cens hommes hors du combat, ce qui fait un sixieme sur quatre bataillons supposés de six cens hommes chaque.

Mais est-il nécessaire de mirer contre l’infanterie, dans une plaine bien unie ? ne suffit-il pas d’arrêter le canon sur son affut, de façon que la piece reste toujours horisontale ? le but sur lequel il doit tirer ne varie pas, il est toujours de 5 à 6 piés de haut, & de 200 toises de large. Le canon peut être servi assez promptement pour faire feu plus de dix fois par minute sur un pareil but : ce but avance toujours & devient d’autant plus aisé à attraper.

D’ailleurs presque tous les coups qui frappent à

terre au-devant du but sont aussi meurtriers que les autres, l’angle d’incidence n’étant pas assez ouvert, & la résistance de la terre ordinairement pas assez forte pour occasionner une réfléxion ou resaut par-dessus la hauteur du but. On pourroit compter que le quart des coups porteroit, chaque canon en tirera 100 coups, c’est pour les 8 pieces 200 coups qui portent. De plus, dès que l’ennemi n’est plus qu’à 50 toises, le canon sera tiré à cartouches, & chaque coup frappera 12 ou 15 hommes ; supposé seulement par canon, douze ou treize coups à boulets portans, c’est cinquante hommes par chaque canon hors de combat, & six coups à cartouches, c’est 180 autres ; ce qui fait 130 par chaque piece, & pour les 8 plus de mille hommes ; nous avons calculé que les coups de fusils pourroient en détruire un sixieme, cela feroit 400, & il ne resteroit donc qu’un peu plus d’un tiers. Le canon opposé auroit fait de l’autre côté une destruction égale, & la troupe qui se seroit avancée auroit sur celle qui seroit restée à faire feu, une infériorité en nombre d’un tiers environ.

Si l’on calculoit l’effet qui devroit résulter du feu des deux pieces de canon que l’on peut donner de plus à chaque bataillon, il se trouveroit que le feu détruiroit une troupe dans l’espace de tems qu’elle mettroit à parcourir la portée du canon de campagne, & on ne pourroit plus dire alors que l’effet du feu du canon ne doit pas être regarde comme capable de causer un dérangement notable à l’ordonnance de l’infanterie.

Au reste, tous ces calculs sont faits dans la supposition que le feu de la mousqueterie, ainsi que celui du canon fait tout l’effet qu’il peut faire, mais cet effet ne peut avoir lieu, qu’autant que les troupes seroient exercées au feu aussi parfaitement qu’il est possible qu’elles le soient, & qu’elles auroient la fermeté que leur auroit acquis de longue main la certitude de la supériorité « par une théorie démontrée de l’effet qui doit résulter de tel feu, plutôt que de tel autre dans telle & telle occasion ».

Le moyen de pratiquer ce qu’il y a de mieux lors de l’exécution de chacune des parties de la guerre, est de connoître par des combinaisons ou démonstrations arithmétiques, ou géométriques, la possibilité & le point de justesse que peut présenter la théorie ; il faut ensuite par des épreuves faites en conséquence (avec tout le soin possible) chercher celui que la pratique peut donner, tout est supputation à la guerre, tout doit se dessiner.

Le feu doit être le dernier moyen d’acquérir la supériorité, on est vaincu par un feu plus meurtrier, l’on n’est battu que par les armes blanches, & l’on peut conquérir par des manœuvres habiles, & souvent sans coup férir. Voyez art de la Guerre, du maréchal de Puysegur, la savante dissertation sur les trois combats de Fribourg, & les moyens qu’on auroit pu prendre pour les éviter & parvenir au même but.

Tous ceux qui jusqu’à présent ont travaillé sur la pirotechnie militaire, n’ont eu pour but que de faciliter la plus grande destruction de l’espece humaine (quel but quand on veut y réfléchir) : tous les Arts en ont un bien opposé ; ceux du-moins dont l’objet unique n’est pas sa conservation, n’ont en vûe que ses goûts, ses plaisirs, son bien-être, son bonheur enfin. La guerre (ce fleau inévitable) ne peut-elle donc se faire sans avoir pour unique & principal but la plus grande destruction de l’humanité ? seroit-il impossible de trouver une armure d’un poids supportable dans l’action, qui puisse parer de l’effet des fusils ? Qu’il seroit digne du génie de ce siecle éclairé, de faire cette découverte ? quel prix plus digne d’ambition ; que doit-on desirer davantage, que d’être le conservateur de l’humanité ? mais en attendant la dé-