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ploie, les citoyens l’ont déja fourni par les tributs dont ces dépenses sont l’objet en partie. Pourquoi faut-il qu’ils soient encore obligés d’acheter particulierement leur travail & leur faveur ? C’est survendre plusieurs fois une même chose, & toujours plus chere l’une que l’autre. L’auteur même du Testament politique attribué au cardinal de Richelieu, n’a pu s’empêcher d’en avouer l’injustice, tout partisan qu’il est de la vénalité.

Le bien public n’est pas ce qui occasionne ces surcharges. L’utilité de la société ne sauroit être le désastre de ceux qui la composent : c’est ce qui ne produit rien que sa ruine & la misere des peuples, qui coute le plus. Entre toutes les causes qui ont cet effet, la superstition est la principale. Elle est le plus terrible fléau du genre humain, comme elle est le plus pesant fardeau des sociétés & le plus inutile.

Les prêtres, dit Plutarque, ne rendent pas les dieux bons ni donneurs de bien, ils le sont d’eux-mêmes. Tout le monde pense comme Plutarque, & agit au contraire. Ces amas d’idées incohérentes que donne & reçoit l’esprit humain, est une de ses plus étranges contradictions ; rien ne prouve mieux qu’il n’en connoit aucune, & qu’il n’aura jamais la moindre notion de la chose dont il croit être le plus sûr.

Sans parler de toutes celles qui s’excluent : il faut convenir que nos passions nous rendent de terribles magiciens ; dès qu’une fois elles nous ont fait franchir les bornes de la raison, rien ne nous coûte, ne nous étonne & ne nous arrête plus. L’imagination enflammée par l’intérêt ou la séduction voit & fait voir aux autres des vérités dans les absurdités les plus monstrueuses ; & comme le remarque Tacite, les hommes ajoutent plus de foi à ce qu’il n’entendent point ; & l’esprit humain se porte naturellement à croire plus volontiers les choses incompréhensibles. Majorem fidem homines adhibent iis quæ non intelligunt : cupidine obscura creduntur. Hist. l. I.

C’est une impiété envers les dieux, dit Platon, que de croire qu’on peut les appaiser par des sacrifices. C’en est une encore plus grande de ravir sous ce prétexte les biens de la société : c’est un stellionat spirituel plus condamnable & plus pernicieux que le stellionat civil, que les loix punissent avec tant de rigueur.

Severe condamna Vétronius, celui de ses favoris qu’il aimoit le plus, à être étouffé dans la fumée, pour avoir, disoit-il, vendu de la fumée, c’est-à-dire, les graces & les faveurs qu’il pouvoit obtenir de lui. A force d’être juste, Severe fut cruel ; mais quand au rapport du p. Duhalde, Tchuen-Hio déclara qu’il avoit seul dans tout l’empire le droit d’offrir des sacrifices au souverain seigneur du ciel, il affranchit ses sujets de la plus pesante des vexations.

On dit que le prince à qui les Chinois doivent ce bien dont ils jouissent encore aujourd’hui, se fit rendre compte du nombre de ceux qui vivoient de cet emploi aux dépens de la république, sans en supporter les charges & sans lui rendre aucun équivalent de celles qu’ils lui occasionnoient. Il trouva qu’ils montoient à 300 mille, qui coûtoient aux citoyens chacun 40 sols par jour au-moins de notre monnoie, ce qui formoit 219 millions que ces gens inutiles levoient par année sur ceux qui soutenoient l’état par leurs travaux & leurs contributions. L’empereur n’en faisoit pas percevoir autant pour les besoins de l’empire ; & jugea qu’il se rendroit complice de ces vexations en les tolérant. Il semble que les souverains de ce vaste pays n’aient jamais craint que de ne pas faire assez le bien de leurs sujets.

Dans les principales contrées de l’Europe, il s’est formé sous le même prétexte des corps puissans & nombreux qui semblables au rat de la fable, s’en-

graissent de la substance du corps politique qui les

renferme.

Dès leur origine il a fallu se défendre de leur cupidité. Valentinien le vieux en 370, cinquante ans après Constantin, fut obligé de publier une loi pour leur défendre de profiter de la simplicité des peuples & sur-tout de celle des femmes, de recevoir soit par testament, soit par donation entrevifs, aucun héritage ou meubles des vierges ou de quelques autres femmes que ce fût, & leur interdit par cette loi toute conversation avec le sexe dont ils n’avoient que trop abusé.

Vingt ans après Théodose fut contraint de renouveller ces défenses.

En France, Charlemagne, S. Louis, Philippe le Bel, Charles le Bel, Charles V. François I. Henri II. Charles IX. Henri III. Louis XIV. & Louis XV. En Angleterre, Edouard I. Edouart III. & Henri V. en ont fait de semblables contre les acquisitions de gens de main-morte.

Narbona & Molina citent celles qui ont été faites en Espagne, en Castille, en Portugal & dans le royaume d’Arragon.

Guilo, Chopin & Christin, rapportent des lois semblables qui ont eu lieu en Allemagne.

Il y en a de Guillaume III. comte de Hollande, pour les Pays bas ; de l’empereur Fréderic II. pour le royaume de Naples ; & Giannone fait mention de celles qui ont été faites à Venise, à Milan, & dans le reste de l’Italie.

Enfin par-tout & dans tous les tems, l’esprit dominant de ces corps a toujours été de tout envahir. Où les précautions ont été moins séveres & moins multipliées, ils y sont parvenus : où l’on a le plus opposé d’obstacles à leur avidité, ils possedent encore une grande partie des biens de l’état.

Premierement, le tiers au-moins en toute propriété.

2°. Le tiers des deux autres tiers par les rentes, dont les fonds de cette portion sont chargés à leur profit ; ce qui est une maniere de devenir propriétaire sans être tenu de l’entretien du fonds, & de réduire le possesseur à n’en plus être que le fermier.

3°. Ils prélevent encore sur cette même portion la dîme de toutes les productions, & cela antécédemment aux rentes, afin qu’un revenu ne préjudicie pas à l’autre, & que le propriétaire qui cultive pour eux en soit plus grevé.

Or le tiers, plus le dixieme, & le tiers des deux autres tiers, font, à bien peu de chose près, la moitié de tous les biens. La plûpart des titres de ces immenses donations commencent ainsi : attendu que la fin du monde va arriver ; &c.

On croiroit du-moins que pour tant de richesses, ceux qui en jouissent, rendent gratis des services très-importans à la société, & on se tromperoit. Rien de ce qu’ils font ne sert à la nourriture, au logement ni à l’habillement des hommes ; & cependant ils ne font rien, pas une seule action, une seule démarche, ils n’exercent aucune fonction qu’ils n’en exigent des prix énormes.

Un mémoire publié en 1764, dans un procès dont le scandale seul auroit dû suffire pour délivrer à-jamais la société de cette foule d’insectes qui la rongent, nous apprend qu’une seule de leurs maisons leve sur les habitans les plus mal-aisés, 1200 livres de pain par semaine ; quantité dont l’évaluation commune suppose 114 consommateurs, à-raison d’une livre & demie par jour chacun.

Mais ces hommes ne se nourrissent pas seulement de pain, ne se désalterent point avec de l’eau. Quand on ne porteroit leur nourriture qu’à trente sols par jour y compris leur habillement, on trouvera que cette maison seule leve par année sur le public 62412