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doit jamais être porté au trésor du prince, ni ailleurs ; on sait ce qui arrive de ceux qui se levent aujourd’hui. Il resteroit en dépôt dans la communauté qui en répondroit, & à la garde du curé & de douze des principaux habitans.

S’il arrivoit que cet excédent devînt assez considérable pour former le montant total de l’imposition d’une année, il seroit employé à l’acquitter, & les fonds ne seroient point imposés cette année, afin qu’il tournât toujours au profit des contribuables ; & il n’en pourroit être fait aucun autre usage, si ce n’est lorsqu’il seroit nécessaire de payer pour ceux que des accidens auroient mis dans l’impossibilité de le faire.

J’aurois bien proposé au-lieu de cet excédent, de regler les taxes sur le pié d’une année commune du produit, dans laquelle les pertes se seroient trouvées apprétiées & déduites ; il auroit toujours fallu les acquitter lorsque ces pertes seroient arrivées. Mais les hommes ne sont pas assez raisonnables pour regler leurs dépenses sur une année commune de leurs revenus ; & quoiqu’ils eussent bénéficié sur les années pendant lesquelles ils n’auroient point éprouvé de perte, ils n’en auroient pas moins été hors d’état de payer pour celles où elles auroient eu lieu.

Enfin, les terres incultes qui seroient défrichées, seroient taxées selon leurs classes ; mais elles jouiroient pendant les dix premieres années de l’exemption de l’impôt. Leurs taxes pendant les dix suivantes, seroient moitié au profit de la communauté & à la décharge de tous les autres fonds, qui payeroient d’autant moins pendant un espace de tems. Par-là tous les habitans auroient intérêt de veiller à ce que les terreins défrichés fussent connus & imposés quand ils devroient l’être.

Que reste-t-il à faire ? une loi solemnelle qui fixe invariablement toutes ces taxes, & qui prescrivent de même toutes ces dispositions. Je suis convaincu que la prospérité d’un empire & sa durée dépendroient de la stabilité de cette loi ; il faudroit pour le bonheur des peuples & la tranquillité du gouvernement, qu’on pût lui donner une caution sacrée. Il faudroit au-moins pour qu’elle eût toute celle qu’un établissement humain puisse recevoir, que les souverains & la nation jurassent de l’observer & d’empêcher qu’il y fût jamais rien innové. Je voudrois qu’il fût ordonné avec la même autenticité, que quiconque proposeroit de l’abroger ou de la changer, ne pourroit le faire que la corde au col, afin d’être puni sur le champ, s’il ne proposoit que des choses moins bonnes & moins utiles à l’état & aux citoyens.

Elle seroit déposée dans chaque communauté comme l’expression de la volonté générale des peuples, comme leur sauve-garde, & comme le titre de la liberté & de la tranquillité publique. Tous les ans

l’extrait de cette loi contenant le tarif des taxes de tous les fonds dépendans de la paroisse, y seroit publié & affiché, suivant les tems de paix ou de guerre, & sans qu’il fût nécessaire de l’ordonner par aucune loi nouvelle. Chacun y liroit tous les jours ce qu’il auroit à payer, & ne l’apprendroit de personne.

Il n’y a pas-là d’arbitraire, ni d’acception, ni d’autorité subalterne ; il n’y a ni privilege, ni privilégiés, ni protecteurs, ni protégés. Le contribuable ne dépend que de la loi & de lui-même ; il n’a point à espérer la faveur, ni à craindre l’animosité de personne ; il ne répond point pour les autres ; il peut disposer de tout son bien, comme bon lui semble ; le cultiver à la guise ; consommer ou vendre ses denrées, selon sa volonté, & sans qui que ce soit ait le droit de l’en punir. S’il est aisé, il osera le paroître ; il n’aura jamais à payer que ce que la loi ordonne ; il en fait l’avance ; le consommateur le rembourse sans embarras & sans oppression pour l’un & pour l’autre ; tous les fonds nécessaires pour les dépenses publiques sont assurés pour tous les tems & tous les besoins. Le syndic de chaque paroisse en fait la collecte, & la remet à un receveur public, qui la fait tenir directement au trésor de l’état. Ils passent aisément & sans frais ; ils en ressortent de même pour retourner à leur source.

Et voilà toute l’affaire des finances, sans vexations, sans publicains, sans intrigues, & sans tous ces expédiens, qui choquent autant la dignité du gouvernement, que la foi & l’honnêteté publique. Frustra fit per plura quod æque commode fieri potest per pauciora.

Il est aisé de sentir que ce cadastre pourroit être aussi de celui de la dette nationale ; mais pour une fois seulement dans toute la durée d’un état ; une seconde la termineroit.

Cet article est tiré des papiers de défunt M. Boullanger, ingénieur des ponts & chaussées. La connexité des opérations dont il étoit chargé, avec celles qu’on vient de voir, l’avoit mis à portée d’en être instruit. Pour un esprit comme le sien, ces connoissances ne pouvoient pas être inutiles ; il s’étoit proposé d’en faire le sujet d’un ouvrage important sur l’administration des finances. On a trouvé les matériaux de cet ouvrage épars ; on les a rassemblés avec le plus d’ordre & de liaison qu’il a été possible. Si l’on y trouve des choses qui paroissent s’écarter du sujet, & former des digressions étendues, c’est qu’on n’a voulu rien perdre, & que peut-être on n’a pas eu l’art de les employer comme l’auteur se l’étoit proposé ; mais on a cru se rendre utile à la société, en les publiant dans ce Dictionnaire, destiné particulierement à être le dépôt des connoissances humaines.


FIN.