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Sous la seconde race de nos rois, ceux qui faisoient la fonction de chanceliers ou référendaires, reçurent dans le même tems différens noms : on les appella archi-chanceliers, ou grands chanceliers, souverains chanceliers, ou archi-notaires, parce qu’ils étoient préposés au-dessus de tous les notaires ou secrétaires du roi, qu’on appelloit encore chanceliers.

On leur donna aussi le nom d’apocrisaires, ou apocrisiaires, mot dérivé du grec, qui signifie celui qui rend les réponses d’un autre ; parce que le grand chancelier répondoit pour le roi aux requêtes qui lui étoient présentées.

Hincmar, qui vivoit du tems de Louis le débonnaire, distingue néanmoins l’office d’apocrisaire de celui de grand chancelier ; ce qui vient de ce que le grand aumônier du roi faisoit quelquefois la fonction d’apocrisiaire, & en portoit le nom.

On les appella aussi quelquefois archi-chapelains ; non pas que ce terme exprimât la fonction de chancelier, mais parce-que l’archi-chapelain ou grand aumônier du roi étoit souvent en même tems son chancelier, & ne prenoit point d’autre titre que celui d’archi-chapelain. La plûpart de ceux qui firent cette fonction sous la premiere & la seconde race, étoient ecclésiastiques.

Sous la troisieme race, les premiers secrétaires ou référendaires furent appellés grands chanceliers de France, premiers chanceliers ; & depuis Baudouin premier qui fut chancelier de France sous le roi Robert, il paroît que ceux qui firent cette fonction ne prirent plus d’autre titre que celui de chancelier de France ; & que depuis ce tems ce titre leur fut réservé, à l’exclusion des notaires & secrétaires du roi, greffiers, & autres officiers subalternes, qui prenoient auparavant le titre de chanceliers.

Le chancelier fut d’abord nommé par le roi seul.

Gervais archevêque de Reims, & chancelier de Philippe I. prétendit que la place de chancelier étoit attachée à celle d’archevêque de Reims ; ce qu’il obtint, dit-on, pour lui & son église. Il étoit en effet le troisieme depuis Hervé qui avoit possédé la dignité de chancelier ; mais depuis lui on ne voit point que cette dignité ait été attachée au siége de Reims.

Dans la suite le chancelier fut élu en parlement par voie de scrutin, en présence du roi. Guillaume de Dormans fut le premier élu de cette maniere en 1371. Louis XI. changea cet ordre ; & depuis ce tems c’est le roi seul qui nomme le chancelier ; le parlement n’a aucune jurisdiction sur lui.

Cet office n’est point vénal ni héréditaire, mais à vie seulement. Le chancelier est reçu sans information de vie & mœurs, & prête serment entre les mains du roi ; & ses provisions sont présentées par un avocat dans toutes les cours souveraines, l’audience tenante, & y sont lûes, publiées & enregistrées sur les conclusions des gens du roi.

Quoique l’office de chancelier ait toûjours été rempli par des personnes distinguées par leur mérite & par leur naissance, dont la plûpart sont qualifiés de chevaliers ; il est cependant certain qu’anciennement cet office n’anoblissoit point : en effet, sous le roi Jean, Pierre de Laforêt, chancelier, ayant acquis la terre de Loupelande dans le Maine, obtint du roi des lettres de noblesse pour joüir de l’exemption du droit de francs-fiefs. Les chanceliers nobles se qualifioient messire, & les autres, maître. Présentement le chancelier est toûjours qualifié de chevalier, & de monseigneur. M. le chancelier Seguier fut fait duc de Villemor & pair de France, & conserva toûjours l’office de chancelier, outre celle qu’il avoit toûjours de signer & sceller les lettres du prince. Charlemagne constitua le chancelier dépositaire des lois & ordonnances ; & Charles-le-chauve lui donna

le droit d’annoncer pour lui les ordonnances en présence du peuple.

Sous le regne d’Henri premier & de ses successeurs, jusqu’à celui de Louis VIII. il souscrivoit toutes les lettres & chartes de nos rois, avec le grand-maître, le chambrier, le grand boutillier, & le connétable. Depuis 1320 ils cesserent de signer les lettres, & y apposerent seulement le sceau. Il étoit aussi d’usage dès l’an 1365, qu’ils mettoient de leur main le mot visa au bas des lettres, comme ils font encore présentement.

Le pouvoir du chancelier s’accrut beaucoup sous la troisieme race : on voit que dès le tems de Henri premier il signoit les chartes de nos rois, avec le connétable, le boutillier, & autres grands officiers de la couronne.

Frere Guerin, évêque de Senlis, fut d’abord garde des sceaux sous Philippe Auguste, pendant la vacance de la chancellerie ; il fut ensuite chancelier sous le regne de Louis VIII. & releva beaucoup la dignité de cette charge ; il abandonna la fonction du secrétariat aux notaires & secrétaires du roi, se réservant seulement sur eux l’inspection : il assista avec les pairs au jugement qui fut rendu en 1224 contre la comtesse de Flandres. Dutillet rapporte que les pairs voulurent contester ce droit aux chancelier, boutiller, chambrier & connétable ; mais la cour du roi décida en faveur de ces officiers. Au sacre du roi c’est le chancelier qui appelle les pairs chacun en leur rang.

Dès le tems de Philippe-Auguste, le chancelier portoit la parole pour le roi, même en sa présence. On en trouve un exemple dans la harangue que frere Guerin fit à la tête de l’armée, avant la bataille de Bouvines en 1214, & la victoire suivit de près son exhortation.

On voit aussi dans Froissart que dès 1355 le chancelier parloit pour le roi, en sa présence, dans la chambre du parlement ; qu’il exposa l’état des guerres, & requit que l’on délibérât sur les moyens de fournir au roi des secours suffisans.

Le chancelier étoit alors précédé par le connétable & par plusieurs autres grands officiers dont les offices ont été dans la suite supprimés ; au moyen de quoi celui de chancelier est présentement le premier office de la couronne, & le chancelier a rang, séance, & voix délibérative, après les princes du sang.

Dans les états que le roi envoyoit autrefois de ceux qui devoient composer le parlement, le chancelier est ordinairement nommé en tête de la grand’chambre ; il venoit en effet y siéger fort souvent. Le cardinal de Dormans, évêque de Beauvais & chancelier, fit l’ouverture des parlemens des 12 Novembre 1369 & 1370, par de longs discours & remontrances, ce qui ne s’étoit pas encore pratiqué. Arnaud de Corbie fit aussi l’ouverture du parlement en 1405 & 1406, le 12 Novembre, & reçut les sermens des avocats & des procureurs. Pierre de Morvilliers reçut aussi les sermens le 11 Septembre 1461.

Dans la suite les chanceliers se trouvant surchargés de différentes affaires ne vinrent plus que rarement au parlement, excepté lorsque le roi y vint tenir son lit de justice. Le jeudi 14 Mars 1715, M. le chancelier Voisin prit en cette qualité séance au parlement ; il étoit à la petite audience en robe violette, & vint à la grande audience en robe de velours rouge doublée de satin. On plaida devant lui un appel comme d’abus, & il prononça l’arrêt.

Philippe VI. dit de Valois ordonna en 1342, que quand le parlement seroit fini, le roi manderoit le chancelier, les trois présidens du parlement, & dix personnes du conseil, tant clercs que lais, lesquels suivant sa volonté nommeroient des personnes capables pour le parlement à venir. On voit même qu’en