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Toute cette suite de culture méthodique peut être fort bonne pour faire un canton de bois de vingt ou trente arpens, encore dans un pays où le bois seroit très-rare, & tout au plus aux environs de Paris où il est plus cher que nulle part dans ce royaume : mais dans les provinces, la dépense en seroit énorme pour un canton un peu considérable. J’ai vû que pour planter en Bourgogne, dans les terres de M. de Buffon, un espace d’environ cent arpens, où il commença à suivre exactement la direction dont on vient de voir le précis, une somme de mille écus ne fut pas suffisante pour fournir aux frais de plantation & de culture pendant la premiere année seulement : qu’on juge du résultat de la dépense, si l’on avoit continué la même culture pendant huit ou dix ans, comme M. Miller le conseille ; le canton des plantations en question auroit coûté six fois plus cher qu’un bois de même étendue qu’on auroit acheté tout venu & prêt à couper dans un terrein pareil : encore la plantation n’a-t-elle pas pleinement réussi par plusieurs inconvéniens auxquels une culture plus longue & plus assidue n’auroit pas rémédié. Un de ces inconvéniens, c’est de nettoyer le terrein des ronces, épines, genievres, bruyeres, &c. Un plus grand œuvre, qui le croiroit ? c’est de donner plusieurs labours à la terre ; cette opération coûteuse sert, on en convient, à faire bien lever le gland, mais elle tourne bien-tôt contre son progrès : les mauvaises herbes qui trouvent la terre meuble, la couvrent au-dehors, & la remplissent de leurs racines au-dedans ; on ne peut guere s’en débarrasser sans déranger les jeunes plants, parce qu’il faut y revenir souvent dans un terrein qu’on commence à mettre en culture. Mais d’ailleurs, plus la terre a été remuée, plus elle est sujette à l’impression des chaleurs, des sécheresses & sur-tout des gelées du premier hyver, qui déracinent les jeunes plants, & leur font d’autant plus de dommage que la plantation se trouve mieux nettoyée & découverte. Le printems suivant y fait appercevoir un grand dépérissement ; la plûpart des jeunes plants se trouvent flétris & desséchés ; d’autres fort languissans ; & ceux qui se sont soûtenus, auront encore infiniment à souffrir, malgré tous les efforts de la culture la plus suivie, qui n’accelerent point le progrès dans les terres fortes & glaireuses, dures ou humides. En essayant au contraire à faire dans un pareil terrein des plantations par une méthode toute opposée, M. de Buffon a éprouvé des succès plus satisfaisans, & peut-être vingt fois moins dispendieux, dont j’ai été témoin. Ce qui fait juger que dans ces sortes de terreins comme dans ceux qui sont legers & sablonneux, où il a fait aussi de semblables épreuves, on ne réussit jamais mieux pour des plantations en grand, qu’en imitant de plus près la simplicité des opérations de la nature. Par son seul procédé, les bois, comme l’on sçait, se sement & se forment sans autre secours ; mais comme elle y employe trop de tems, il est question de l’accélérer : voici les moyens d’y parvenir : ménager l’abri, semer abondamment & couper souvent ; rien n’est plus avantageux à une plantation que tout ce qui peut y faire du couvert & de l’abri ; les genets, le jonc, les épines & tous les arbrisseaux les plus communs garantissent des gelées, des chaleurs, de la secheresse, & sont une aide infiniment favorable aux plantations. On peut semer le gland de trois façons ; la plus simple & peut-être la meilleure dans les terreins qui sont garnis de quelques buissons, c’est de cacher le gland sous l’herbe dont les terres fortes sont ordinairement couvertes ; on peut aussi le semer avec la pioche dont on frappe un coup qui souleve la terre sans la tirer dehors, & laisse assez d’ouverture pour y placer deux glands ; ou enfin avec la charrue en faisant des sillons de quatre piés en quatre piés, dans

lesquels on répand le gland avec des graines d’arbrisseaux les plus fréquens dans le pays, & on recouvre le tout par un second sillon. On employe la charrue dans les endroits les plus découverts ; on se sert de la pioche dans les plants impraticable à la charrue, & on cache le gland sous l’herbe autour des buissons. Nul autre soin ensuite que de garantir la plantation des approches du bétail, de repiquer des glands avec la pioche pendant un an ou deux dans les plants où il en aura trop manqué, & ensuite de receper souvent les plants languissans, rassaux, étiolés ou gelés, avec ménagement cependant, & l’attention sur-tout de ne pas trop dégarnir la plantation, que tout voisinage de bois, de hayes, de buissons favorise aussi. Voyez dans les Mémoires de l’académie des Sciences, celui de M. de Buffon sur la culture & le rétablissement des forêts, année 1739. On pourroit ajoûter sur cette matiere des détails intéressans que cet ouvrage ne permet pas. J’appuierai seulement du témoignage de Bradley cette méthode aussi simple que facile, qui a réussi sous mes yeux : « Pour éviter, dit-il, la dépense de sarcler les plantations, on en a fait l’essai sur des glands qui avoient été semés ; & les herbes, loin de faire aucun mal, ont défendu les jeunes chênes contre les grandes sécheresses, les grandes gelées, &c. ». Je citerai encore Ellis, autre auteur Anglois plus moderne, qui assûre qu’il ne faut pas sarcler une plantation ou un semis de chênes. Ces auteurs auroient pû dire de plus, que non-seulement on diminue la dépense par-là, mais même que l’on accélere l’accroissement, surtout dans les terreins dont nous venons de parler.

A tous égards, l’automne est la saison la plus propre à semer le gland, même aussi-tôt qu’il est mûr ; mais si l’on avoit des raisons pour attendre le printems, il faudroit le faire passer l’hyver dans un conservatoire de la façon qu’on l’a expliqué au mot Châtaigner ; & ensuite le semer aussi-tôt que la saison pourra le permettre, sans attendre qu’il soit trop germé ; ce qui seroit un grand inconvénient.

Le chêne peut aussi se multiplier de branches couchées, qui ne font pas de si beaux arbres que ceux venus de gland ; & par la greffe, sur des arbres de son espece ; mais on ne se sert guere de ces moyens que pour se procurer des especes curieuses & étrangeres.

Transplantation. Il y a quelques observations à faire sur la transplantation de cet arbre, qui ne gagne jamais à cette opération ; il y résiste mieux à deux ans qu’à tout autre âge, par rapport au long pivot qu’il a toûjours, & qui le prive ordinairement de racines latérales : d’où il suit que, quand on se propose d’employer le chêne en avenues ou autres usages semblables, il faut avoir la précaution de le transplanter plusieurs fois auparavant afin qu’il soit bien enraciné. On ne doit jamais l’étêter en le transplantant ; c’est tout ce qu’il craint le plus, mais seulement retrancher ses principales branches : on ne doit même s’attendre ensuite qu’à de petits progrès, & rarement à voir de beaux arbres.

Usages du bois. Nul bois n’est d’un usage si général que celui du chêne ; il est le plus recherché & le plus excellent pour la charpente des bâtimens, la construction des navires ; pour la structure des moulins, des pressoirs, pour la menuiserie, le charronnage, le mairrain ; pour des treillages, des échalas, des cercles ; pour du bardeau, des éclisses, des lattes, & pour tous les ouvrages où il faut de la solidité, de la force, du volume, & de la durée ; avantages particuliers au bois de chêne, qui l’emporte à ces égards sur tous les autres bois que nous avons en Europe. Sa solidité répond de celle de toutes les constructions dont il forme le corps principal ; sa force le rend capable de soûtenir de pesans fardeaux