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losophique ne l’est point quant à son effet ; la diacrese, pour être chimique, doit séparer des parties spécifiquement dissemblables.

Il faut observer pourtant que quoique certains changemens intestins que la chaleur fait éprouver aux corps aggregés, ne soient chimiques à la rigueur que lorsque leur énergie est telle qu’ils portent jusque sur la constitution intérieure des corpuscules, il faut observer, dis-je, que ces changemens n’étant en général que des effets gradués de la même cause, ils doivent être considérés dans toute leur extension comme des objets mixtes, ou comme des effets dont le degré physique même est très-familier au Chimiste. Ces effets de la chaleur modérée, que nous appellons proprement physiques, sont la raréfaction des corps, leur liquéfaction, leur ébullition, leur vaporation, l’exercice de la force élastique dans les corps comprimés, &c. Aussi les Chimistes sont-ils de bons physiciens sur toutes ces questions ; du moins il me paroît que c’est en poursuivant sur ces effets une analogie conduite de ceux où la cause agit le plus manifestement (or ceux-là sont des objets familiers au seul Chimiste) à ceux où son influence est plus cachée, que je suis parvenu à rapprocher plusieurs phénomenes qui sont généralement regardés comme très-isolés ; à découvrir par exemple que le méchanisme de l’élasticité est le même dans tous les corps, qu’ils sont tous susceptibles du même degré d’élasticité, & que ce n’est que par des circonstances purement accidentelles que les différens corps qui nous environnent ont des différences spécifiques à cet égard ; que l’élasticité n’est qu’un mode de la rareté & de la densité, & qu’au premier égard elle est par conséquent toûjours dûe à la chaleur aussi bien que tous les autres phénomenes attribués à la répulsion Newtonienne, qui n’est jamais que la chaleur. Voy. Feu, Rapport.

2°. Les objets chimiques n’agissent pas sensiblement. L’effet immédiat du feu & celui des menstrues, qui sont les deux grands agens chimiques, sont insensibles. La mixtion se fait dans un tems incommensurable, in instanti ; aussi ces actions ne se calculent-elles point, du moins n’a-t-on fait là-dessus jusqu’à présent que des tentatives malheureuses.

3°. Les Chimistes ne s’honorent d’aucun agent méchanique, & ils trouvent même fort singulier que la seule circonstance d’être éloignés souvent d’un seul degré de la cause inconnue, ait rendu les principes méchaniques si chers à tant de philosophes, & leur ait fait rejetter toute théorie fondée immédiatement sur les causes cachées, comme si être vrai n’étoit autre chose qu’être intelligible, ou comme si un prétendu principe méchanique interposé entre un effet & sa cause inconnue, les rassûroit contre l’horreur de l’inintelligible. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas par le goût contraire, par un courage affecté, que les Chimistes n’admettent point de principes méchaniques, mais parce qu’aucun des principes méchaniques connus n’intervient dans leurs opérations ; ce n’est pas aussi parce qu’ils prétendent que leurs agens sont exempts de méchanisme, mais parce que ce méchanisme est encore inconnu. On reproche aussi très-injustement aux Chimistes de se plaire dans leur obscurité ; pour que cette imputation fût raisonnable, il faudroit qu’on leur montrât des principes évidens & certains : car enfin ils ne seront pas blâmables tant qu’ils préféreront l’obscurité à l’erreur ; & s’il y a quelque ridicule dans cette maniere de philosopher, ils sont tous résolus à le partager avec Aristote, Newton, & cette foule d’anciens philosophes dont M. de Buffon a dit dans son histoire naturelle qu’ils avoient le génie moins limité, & la philosophie plus étendue ; qu’ils s’étonnoient moins que nous des faits qu’ils ne pouvoient expli-

quer ; qu’ils voyoient mieux la nature telle qu’elle est ; & qu’une sympathie, une correspondance n’étoit pour eux qu’un phénomene, tandis que c’est pour nous un paradoxe, dès que nous ne pouvons le rapporter à nos prétendues lois de mouvement. Ces hommes savoient que la nature opere la plûpart de ses effets par des moyens inconnus ; que nous ne pouvons nombrer ses ressources ; & que le ridicule réel, ce seroit de vouloir la limiter, en la réduisant à un certain nombre de principes d’action, & de moyens d’opérations ; il leur suffisoit d’avoir remarqué un certain nombre d’effets relatifs & de même ordre pour constituer une cause. Les Chimistes font-ils autre chose ?

Ils recevroient avec empressement & reconnoissance toute explication méchanique qui ne seroit pas contredite par des faits : ils seroient ravis par exemple de pouvoir se persuader, avec J. Keill & Freind, que le méchanisme de l’effervescence & de la fermentation consiste dans l’action mutuelle de certains corpuscules solides & élastiques, qui se portent avec force les uns contre les autres, qui rejaillissent proportionnellement à leur quantité de mouvement & à leur élasticité, qui se choquent de nouveau pour rejaillir encore, &c. Mais cette explication, aussi ingénieuse qu’arbitraire, est démentie par des faits qui font voir clairement que le mouvement d’effervescence & celui de fermentation sont dûs au dégagement d’un corps subtil & expansible, opéré par les lois générales des affinités, c’est-à-dire par un principe très-peu méchanique. Voyez Effervescence & Fermentation.

Plûtôt que de s’avouer réduits à énoncer simplement qu’une dissolution n’est autre chose que l’exercice d’une certaine tendance ou rapport par lequel deux corps miscibles sont portés l’un vers l’autre, n’aimeroient-ils pas mieux se figurer une dissolution sous l’image très-sensible d’un menstrue armé de parties roides, solides, massives, tranchantes, &c. d’un côté ; sous celle d’un corps percé d’une infinité de pores proportionnés à la masse & même à la figure des parties du menstrue, de l’autre ; & enfin sous celle de chocs réitérés des parties du menstrue contre la masse des corps à dissoudre, de leur introduction forcée dans ses pores, sous celle d’un édifice long-tems ébranlé, & enfin ruiné jusque dans ses derniers matériaux ; images sous lesquelles les Physiciens ont représenté ce phénomene. Ils l’aimeroient mieux sans contredit, parce qu’une explication est une richesse dans l’ordre des connoissances ; qu’elle en grossit au moins la somme ; que le relief que cette espece de faste savant procure n’est pas un bien imaginaire ; & qu’au contraire un énoncé tout nud décele une indigence peu honorable : mais si l’explication dont il s’agit ne suppose pas même qu’on se soit douté des circonstances essentielles du phénomene qu’on a tenté d’expliquer ; si cette destruction de la masse du corps à dissoudre, dont on s’est mis tant en peine, est purement accidentelle à la dissolution qui a lieu de la même façon entre deux liqueurs ; & enfin si cette circonstance accidentelle a si fort occupé le théoricien qu’il a absolument oublié la circonstance essentielle de la dissolution, savoir l’union de deux substances entre lesquelles elle a eu lieu, il n’est pas possible de se payer d’une monnoie de si mauvais aloi. Boerhaave lui-même, que nous sommes ravis de citer avec éloge lorsque l’occasion s’en présente, a connu parfaitement le vice de cette explication, qu’il a très-bien refutée. Voyez Boerhaave, de menstruis, Element. Chymia, part. II.

Nous voudrions bien croire encore avec Freind que la précipitation est de toutes les opérations chimiques celle qui peut être ramenée le plus facilement aux lois méchaniques, & en admettre avec lui ces