Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 3.djvu/439

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toutes choses dont la découverte ne peut appartenir qu’à un esprit divin, bien qu’un simple manœuvre puisse les exécuter, une fois qu’elles sont trouvées… Des ouvriers peu instruits de la Chimie peuvent, à la vérité, traiter des mines sous la conduite d’un directeur : mais le premier inventeur a dû être chimiste, ce directeur ne peut se passer de cet art.... Le premier brûleur de charbon préparera maintenant la poudre-à-canon : mais son procédé a coûté de profondes méditations, soit à Barthold Swartz, soit à Roger Bacon...... C’est au chimiste Cornélius Drebbel, qu’on doit l’usage du thermometre & la découverte de l’écarlate, que les ouvriers les plus ignorans préparent aujourd’hui si parfaitement...... Ce n’est qu’après avoir consumé leur vie à des expériences de toute espece, que les inventeurs parviennent à établir les arts sur des fondemens solides & invariables ». Donc le malleator Tubalcain étoit un grand chimiste. Le Vulcain des anciens & le Tubalcain de l’Ecriture, sont assez unanimement reconnus pour un seul & même personnage : comment se refuser sur cela à l’autorité de Vossius, à celle de Bochart, & à la ressemblance des noms ? Or l’antiquité payenne a attribué à Vulcain l’invention des ouvrages en fer, en airain, en or, & en argent, & des autres opérations qui s’exécutent par le moyen du feu. L’histoire profane & l’histoire sacrée, sont donc évidemment d’accord sur l’existence de la Chimie ante-diluvienne.

On se doute bien que Borrichius n’a négligé ni l’or de la terre d’Hevilat du quatrieme chapitre de la Genese, ni les témoignages de Diodore de Sicile, d’Homere, de Pindare, &c. ni celui de Philon de Biblos : selon ce dernier, le Chrysor ou Chrysaor, sixieme successeur du Protogonos de Sanchoniathon, ou de l’Adam de l’Ecriture sainte, est le même que Vulcain ; mais quel sentiment de reconnoissance le chimiste Borrichius n’auroit-il point eu pour un littérateur de son tems, s’il s’en étoit rencontré quelqu’un d’assez instruit sur l’origine & la succession des anciens peuples, pour lui annoncer, ainsi que M. de Fourmont l’a fait depuis, que ce Chrysaor existoit trois générations avant Tubalcain, à qui il prétend que l’Ecriture n’attribue pas en propres termes l’invention des ouvrages en fer, mais seulement de s’être mêlé du métier plus qu’un autre, & d’avoir été un illustre propagateur des ouvrages en fer. M. de Fourmont qui reconnoît clairement dans l’Ecriture tous les personnages du fragment de Sanchoniathon, n’y retrouve point le Chrysaor ; il ne sait si c’étoit ou non le même que celui d’Hesiode : mais n’importe, Borrichius vous dira qu’il n’en fut pas moins chimiste ; car selon l’étymologie Phénicienne de son nom proposée par Bochart & adoptée par M. de Fourmont, il signifie celui qui travaille ou au feu ou dans le feu ; ou, selon M. Leclerc (rem. sur Hesiode), celui qui garde le feu. Or la qualité de chimiste est également attachée à l’une ou l’autre de ces fonctions ; car que peut-on avoir à faire au feu, dans le feu, ou autour du feu, sinon de la Chimie ? Donc, &c. C. q. f. d.

Après cette démonstration fondée sur les passages de la Genese que nous avons rapportés ci-dessus, Borrichius a recours à des autorités qu’un auteur célebre a mises à leur juste valeur dans un discours historique très-estimé, sur l’origine & les progrès de la Chimie. « L’utilité, les connoissances curieuses & étendues ; voilà, dit cet auteur, le mérite d’une science. Mais ce n’est pas assez pour les Chimistes : ils sont remontés dans les tems les plus reculés, pour y chercher l’origine de la Chimie ; jaloux comme les autres savans de leurs contemporains, ils diminuent toûjours la gloire qu’ils ne peuvent leur enlever ; prodigues à l’égard des anciens, ils leur transportent l’invention & la perfection de

leur science : ils seroient, ce semble, moins estimables si des anciens n’avoient pensé comme eux.

» Dans ces idées, ils ont fouillé dans les siecles qui ont précédé le déluge. Moyse dit dans la Genese, que les enfans de Dieu s’allierent aux filles des hommes : là-dessus Zosime Panopolite parle ainsi ; il est rapporté dans les Livres saints qu’il y a des génies qui ont eû commerce avec les femmes ; Hermès en fait mention dans ses livres sur la nature : il n’est presque point de livre reconnu ou apocryphe, où l’on ne trouve des vestiges de cette tradition. Ces génies aveuglés d’amour pour les femmes, leur découvrirent les merveilles de la nature ; pour avoir appris aux hommes le mal & ce qui étoit inutile aux ames, ils furent bannis du ciel : c’est de ces génies que sont venus les géans. Le livre où furent écrits leurs secrets, fut intitulé kema, & de là est sorti le nom de Chimie.

» Voilà un des plus anciens écrivains chimistes, selon le témoignage de Conringius : ce qu’il avance est appuyé d’un auteur beaucoup plus ancien. Ajoûtons, dit Clément d’Alexandrie dans ses tapisseries, que les anges choisis pour habiter le ciel, s’abandonnerent aux plaisirs de l’amour : alors ils découvrirent aux femmes des secrets qu’ils devoient cacher ; c’est d’eux que nous vient la connoissance de l’avenir, & ce qu’il y a de plus relevé dans les Sciences. Il ne manque à ce témoignage, ajoûte Borrichius, que le terme de Chimie. Mais la Chimie n’est-elle pas comprise dans ce qu’il y a de plus relevé dans les Sciences ? Ce qui embarrasse cet auteur, c’est la source d’où Clement & Zosime ont tiré ce qu’ils avancent : il décide cependant qu’il y a apparence qu’ils ont lû ces faits dans les fragmens des livres d’Enoch. Comment douter de cela ? Les anges, dit Enoch, au rapport de Sincel, apprirent aux femmes & aux hommes de ; enchantemens & les remedes pour leur maladie. Exael, le dixieme des premiers anges, apprit aux hommes l’art de fabriquer des épées, des cuirasses, les machines de guerre, les ouvrages d’or & d’argent qui peuvent plaire aux femmes, l’usage des pierres précieuses & du fard. Sincel, selon Borrichius, est un auteur très-digne de foi : plusieurs faits historiques sont venus jusqu’à lui de Manethon, de Jule Africain, d’Eusebe ; d’ailleurs le passage qu’on vient de lire, n’est-il pas soûtenu de l’autorité de Tertullien ? Les anges qui ont péché, dit ce pere, découvrirent aux hommes l’or, l’argent, l’art de les travailler, d’orner les paupieres, de teindre la laine ; c’est pour cela que Dieu les condamna, comme le rapporte Enoch.

» Borrichius regarde ces passages comme des témoignages authentiques : il dit cependant qu’Enoch s’est trompé. Ces anges dont il parle ne sont pas des véritables anges ; ce n’est que les descendans de Seth & de Tubalcain, peu dignes de leurs peres. Ils se livrerent aux plaisirs honteux avec les femmes qui descendoient de Caïn : c’est parmi ces voluptés, qu’ils divulguerent les secrets que Dieu leur avoit confiés. Après cette découverte, Borrichius laisse paroître un remords ; ce n’est pas sans peine qu’il reconnoît que la Chimie ne vient pas des anges : un passage de l’Exode le console. Dieu dit à Moyse : j’ai choisi Beseléel de la tribu de Juda, je l’ai rempli de l’esprit du Seigneur & de sagesse, pour travailler sur l’or, l’argent, le cuivre, le marbre, les pierres précieuses, le bois ». Nouveau cours de Chimie, selon les principes de Newton & de Stahl, Disc. prélim.

Borrichius, après avoir un peu repris courage, ajoûte une réflexion qui est d’un digne & zélé chimiste ; c’est que cet art de traiter les métaux,